Un musée allemand conserve les restes d'Africains massacrés lors de ce qu'on qualifie de premier génocide du XXe siècle. La nouvelle, ébruitée récemment par un journaliste, fait scandale. D'autant plus que les crânes ont jadis été utilisés pour démontrer la supériorité de la «race» allemande.

Le musée de la Charité met en scène plusieurs restes humains réunis au fil des décennies au nom de la science: un foie malade baignant dans le formol, un coeur blanchâtre, des foetus difformes ou encore une main tordue par une anomalie osseuse.

 

Bien que les visiteurs la contemplent avec fascination et dégoût, la collection de l'institution, rattachée à un important hôpital de Berlin, ne comporte rien a priori qui puisse faire scandale.

Les dirigeants du musée ont néanmoins été entraînés dans une tempête médiatique d'envergure récemment après qu'un reportage eut révélé qu'ils conservaient, loin des regards, des milliers de crânes et de squelettes parmi lesquels se trouvent les restes de plusieurs Hereros.

De 1904 à 1907, l'armée allemande a massacré des dizaines de milliers de membres de ce peuple africain dans la colonie du Sud-Ouest aujourd'hui devenue la Namibie. Nombre d'historiens spécialisés décrivent l'hécatombe comme «le premier génocide» du XXe siècle.

Cet aspect du passé du pays est très peu connu de la population, souligne le journaliste Markus Frenzel, qui a ébruité l'affaire des crânes avec l'aide d'un étudiant qui lui a permis d'accéder aux réserves du musée de la Charité et d'un autre établissement.

«L'histoire officielle fait très peu de cas de cette période de notre histoire. Lorsque j'étais au lycée, l'Holocauste prenait une place énorme dans les cours, mais je pense que nous n'avons même pas passé une heure, peut-être pas même 20 minutes, sur la période coloniale», souligne M. Frenzel.

La polémique liée à ces crânes, explique-t-il, a été exacerbée par le fait que des chercheurs allemands les faisaient venir au pays, à l'époque, pour procéder à des analyses morphologiques censées démontrer la supériorité de la «race» allemande. Les nazis multiplieront ensuite ad nauseam les analyses de ce type dans un but similaire.

Bien que le musée de la Charité fasse valoir que le fondateur de la collection n'était aucunement intéressé par une telle hiérarchisation, il ne fait guère de doute dans l'esprit de l'historien allemand Joachim Zeller que c'était le cas puisque le darwinisme social était très en vogue dans les pays coloniaux.

«Les chercheurs de l'époque avaient cette idée fixe (de suprématie raciale) qu'ils cherchaient à prouver», explique le spécialiste, qui a consacré des dizaines d'années de recherche au génocide.

Dans un ouvrage qu'il a fait paraître à ce sujet, on peut voir sur une illustration des soldats en train de mettre dans une caisse des crânes de Hereros pour les expédier à Berlin.

Certains d'entre eux, précise M. Zeller, étaient obtenus après que des Hereros eurent été forcés de les évider avec des pièces de verre.

Cette cruauté, souligne l'historien, reflète l'attitude de l'officier allemand Lothar von Trotha, chargé de mater la rébellion des Hereros et d'un autre groupe ethnique, les Namas, qui protestaient contre la confiscation de leurs terres, les abus physiques et l'esclavage.

Plusieurs milliers de Hereros ont péri dans le désert après avoir réussi à échapper aux soldats. «La soif et la faim étaient l'arme de prédilection pour les tuer», souligne l'historien. Les autres ont été regroupés dans des camps de concentration où ils étaient fichés et mis à la disposition d'entreprises allemandes.

«Nous aussi avons été décimés par les Allemands. Tout a commencé en Namibie!» commente Israel Kaunatjike, qui dresse un parallèle entre le sort des Hereros et celui des Juifs victimes de l'Holocauste.

Pour cet Herero de 62 ans, qui vit à Berlin depuis 30 ans, la question du génocide demeure une plaie ouverte. Le gouvernement allemand, déplore-t-il, refuse de présenter des excuses formelles par crainte d'être appelé à verser une compensation pécuniaire. Et le gouvernement namibien se garde de trop hausser le ton de crainte que Berlin ne diminue son aide au développement.

Le fait que des institutions allemandes conservent des crânes de Hereros ajoute l'injure à l'affront, juge M. Kaunatjike, qui, à l'instar de la Namibie, réclame leur restitution. «J'ai l'impression que ce sont mes compatriotes et qu'ils doivent être renvoyés au pays pour être enterrés avec respect. Leurs restes ne devraient pas être conservés dans des sous-sols», conclut-il.

Le musée de la Charité envisage désormais cette possibilité.