L'interpellation musclée d'un responsable du journal de gauche Libération dans une simple affaire de diffamation a suscité un tollé en France et contraint lundi le gouvernement à se justifier, dans un climat de méfiance entre presse et pouvoir.

 

   Poursuivi pour la parution en 2006 sur le site du journal d'un commentaire de lecteur sur les démêlés judiciaire du fondateur d'un des principaux fournisseurs d'accès internet du pays, Vittorio de Filippis a relaté avoir été interpellé sans ménagement à son domicile, vendredi vers 6H40, par des policiers qui l'ont insulté devant ses jeunes enfants, au motif qu'il n'aurait pas répondu à une convocation.

   Il aurait ensuite été emmené menotté, puis enfermé et déshabillé à deux reprises avant d'être conduit devant la juge d'instruction qui l'a mis en examen pour «diffamation publique».

   L'affaire, dans laquelle le journaliste estime avoir été «traité comme un criminel», a suscité une condamnation unanime dans la presse. Le quotidien de droite Le Figaro dénonçait lundi «une dérive de la justice et de ses pratiques incompatible avec un État de droit».

   Dans l'opposition, le Parti socialiste a critiqué «des méthodes inadmissibles qui n'ont pour but, encore une fois, que d'entraver la liberté de la presse».

   Alors que l'incident faisait des remous jusque dans les rangs de la majorité, le président Nicolas Sarkozy a été contraint de s'exprimer sur le sujet.

   «Le président de la République comprend l'émoi suscité par les conditions d'exécution d'un mandat de justice à l'occasion d'une affaire de diffamation», a fait savoir la présidence dans un communiqué, annonçant une mission chargée de réfléchir à «une procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes».

   «La méthode utilisée dans une simple affaire de diffamation semble tellement disproportionnée qu'elle nous paraît devoir donner lieu à une enquête», avait auparavant déclaré le porte-parole du parti au pouvoir UMP, Frédéric Lefebvre.

   La ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel s'est pour sa part déclarée «surprise et émue» par l'incident, souhaitant que «toute la lumière» soit faite.

   Libération a appelé à manifester vendredi devant le Palais de justice de Paris. Des syndicats ou associations de journalistes ont relevé que les intimidations à l'égard des journalistes se multipliaient.

   Pour certains, cet incident s'inscrit dans un contexte marqué par les projets du président Sarkozy dans le secteur des médias. Dans l'audiovisuel public, les salariés sont particulièrement inquiets du projet de loi, en cours d'examen à l'Assemblée, qui prévoit notamment que leur patron sera désormais nommé par le pouvoir politique et plus par l'autorité de régulation du secteur.

   «Cette affaire a des relents de chasse aux sorcières contre la presse», a réagi la Fédération européenne des journalistes (FEJ).

   La ministre de la Justice, Rachida Dati, a répliqué que la procédure était «tout à fait régulière».

   «Dans cette affaire, il y a une personne qui est mise en cause, à trois reprises on lui envoie une convocation, il ne défère pas aux convocations à trois reprises, le juge d'instruction, en toute indépendance, délivre un mandat d'amener, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des procédures», a-t-elle expliqué.

    Dans le cadre d'une enquête judiciaire, la police exécute en France les décisions prises par les juges.

   Selon des rapports parvenus à l'AFP, les policiers incriminés affirment être «restés courtois et patients» alors que le journaliste leur tenait des «propos méprisants» lors de cette interpellation.