Le Quai 39 de San Francisco, aménagé pour y accueillir les lions de mer, est envahi par 2000 spécimens venus s’y prélasser.

Le tourisme à San Francisco n’a pas remonté au niveau prépandémique ; pas chez les humains, en tout cas. Les otaries, en revanche, nagent vers la ville en plus grand nombre que jamais.

Cette semaine, on a dénombré 2000 de ces créatures dodues et moustachues dans l’eau, le long de la marina du Quai 39, à l’extrémité nord de la ville. C’est 600 de plus que le précédent record de 1400 établi au début des années 1990, selon Sheila Chandor, capitaine du port de la marina depuis 1985.

Elle éclate de rire en faisant remarquer que les lions de mer (l’autre nom de l’otarie) votent avec leurs nageoires, ignorant les récentes nouvelles sur le soi-disant déclin de San Francisco : « C’est une invasion ! », dit-elle.

Un spectacle son et odeur

Adam Ratner, spécialiste des otaries au Marine Mammal Center de Sausalito, de l’autre côté du pont Golden Gate, s’émerveille devant cet afflux « vraiment remarquable » : « Tous les quais sont pleins ! C’est quelque chose à voir ; à sentir, aussi… »

PHOTO IAN C. BATES, THE NEW YORK TIMES

Les quais flottants aménagés pour les otaries sont surpeuplés, et il y a parfois des bousculades.

Les otaries ont d’abord été attirées par un grand banc d’anchois un peu au large du Golden Gate, mais on ne sait pas trop pourquoi elles restent, dit Mme Chandor. Mais ce qu’on sait, c’est que les otaries attirent touristes et habitants de la région.

Les spectateurs sont accueillis par la cacophonie de 2000 poids lourds qui grognent, bêlent, rugissent, ronflent et se jettent à l’eau ; une bande sonore inoubliable.

Attraction touristique

Le Quai 39, à une extrémité de Fisherman’s Wharf, est un des lieux touristiques les plus populaires de San Francisco, avec un carrousel, des boutiques de t-shirts et des restaurants reconnus pour la chaudrée de palourdes locale. Il y a trois décennies, l’administration du Quai 39 a eu l’idée d’installer des plateformes flottantes pour inciter les otaries à s’y chauffer au soleil (et pour retenir les touristes).

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Le Quai 39 est aménagé pour accueillir tant les otaries que leurs spectateurs.

Mais aujourd’hui, ces quais flottants sont surpeuplés.

Les otaries sont bien trop nombreuses et il y a parfois des bousculades, comme cette semaine, quand ces lutteurs sumo de la mer se sont projetés les uns sur les autres pour se faire de la place.

Les éjectés se sont rabattus sur d’autres plateformes un peu plus loin, dont une qui commence déjà à s’enfoncer sous le poids des mastodontes de 200 kg. L’approvisionnement en eau potable d’un des quais de la marina a dû être coupé quand un gros mâle a arraché un robinet en se déplaçant.

Julian de La Cruz, 36 ans, a pris le traversier à partir de Vallejo, en Californie, pour montrer ces volumineuses créatures à ses deux jeunes enfants. « J’adore ces animaux ; ils font partie de San Francisco, de la Californie. Les gens viennent du monde entier pour les voir », dit-il.

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Cette semaine, on a dénombré 2000 otaries le long de la marina du Quai 39.

Erica Schmierer, 31 ans, vit tout près, dans le quartier Castro, mais n’avait jamais mis les pieds au Quai 39 jusqu’à cette semaine. Elle y a amené un ami en visite d’un autre État. Comme bien des Franciscanais, elle considérait l’endroit comme un piège à touristes : « Je pensais qu’il n’y avait que le manège et des boutiques », dit-elle.

J’ignorais que j’avais 2000 lions de mer comme voisins.

Erica Schmierer, une Franciscanaise qui n’avait jamais mis les pieds au Quai 39 avant cette année

San Francisco souffre encore de la pandémie, qui a ébranlé le tourisme et vidé le centre-ville. Or, ses otaries sont un atout, tout comme en 1990, quelques mois après le grand tremblement de terre de 1989, qui avait lui aussi mis à mal le tourisme. À l’époque, les otaries étaient apparues sur les quais de la marina, causant des dégâts et provoquant la colère des membres qui ne pouvaient pas se rendre à leurs bateaux, se souvient Mme Chandor, la capitaine du port.

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Les lions de mer du Quai 39 font la joie des touristes et des résidants de San Francisco.

Quelqu’un au Quai 39 a alors eu l’idée d’ancrer un peu plus loin des plateformes flottantes pour déplacer les otaries et pour en faire, du même coup, une attraction touristique. Depuis, les otaries reviennent, plus ou moins nombreuses.

Il y a 250 000 otaries au large de la Californie. Les îles Channel, près de Los Angeles, sont leur principal territoire de reproduction.

Chaque printemps, les femelles s’y installent pour mettre bas et allaiter leurs petits. Les mâles, eux, partent, suivant les poissons dont ils se nourrissent. Certains vont aussi loin que l’Alaska.

Ce qui explique leur visite chaque printemps au Quai 39, où ils se reposent de leurs pérégrinations.

Réchauffement climatique

Mais plus au sud, aux îles Channel, les mères et les bébés vivent un printemps difficile. Des biologistes ont compté des centaines de bébés otaries morts sur le rivage, apparemment nés prématurément.

Les chercheurs estiment que la population actuelle des otaries demeure saine, mais ils s’inquiètent des nombreuses naissances prématurées, qui semblent liées au changement climatique, a déclaré Michael Milstein, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (l’équivalent d’Environnement Canada). L’eau plus chaude a éloigné les poissons des zones de reproduction des lions de mer, ce qui oblige les otaries enceintes à nager plus loin pour les atteindre et mettre bas des petits en bonne santé.

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Les plateformes flottantes installées pour les otaries à partir de 1990 ne suffisent plus.

Devant le Quai 39, par contre, tout va à merveille. Un peu trop, peut-être, au goût de Mme Chandor.

Elle pense que les mâles partiront probablement d’ici quelques semaines. Elle espère que d’autres n’arriveront pas d’ici là : n’en jetez plus, la cour est pleine, dit-elle.

« Tout le monde aime les histoires d’animaux, ça fait du bien », a-t-elle souligné. « Mais du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Visionnez la webcam de la marina du Quai 39 de San Francisco Lisez l’article original du New York Times (en anglais, abonnement requis)