Plusieurs groupes conservateurs déterminés à restreindre l’accès à l’avortement à l’échelle des États-Unis misent pour y parvenir sur une loi adoptée en 1873 à l’initiative d’un militant puritain qui voulait « supprimer le vice ».

La loi Comstock, du nom d’Anthony Comstock, a été rédigée de manière à empêcher l’envoi par voie postale d’articles « indécents » ou « immoraux » et devait s’appliquer notamment aux écrits, à la contraception ainsi qu’à toute « drogue, tout médicament ou tout objet » pouvant entraîner une interruption de grossesse.

Il s’agit d’un « outil ridicule » pour tenter de bloquer aujourd’hui l’accès à l’avortement aux États-Unis, mais c’est une « menace réelle » dans un contexte où des juges ont montré leur volonté de faire fi, au besoin, de toute jurisprudence, prévient Amy Friedrich-Karnik, directrice des politiques fédérales du Guttmacher Institute.

Rachel Rebouché, professeure de droit rattachée à l’Université Temple, note que la loi Comstack a été appliquée brièvement dans les décennies ayant suivi son adoption avant de voir sa portée restreinte et de tomber dans l’oubli.

Elle a notamment été modifiée pour exclure le passage limitant l’envoi de contraceptifs, mais la section sur les produits abortifs est demeurée inchangée et revient à l’avant-plan avec le renversement de l’arrêt Roe c. Wade en 2022 par la Cour suprême.

Certains groupes, comme le Heritage Foundation, avancent que la loi Comstack rend illégal l’envoi par courrier de mifépristone et de misoprostol, qui sont utilisés dans la majorité des avortements survenant aux États-Unis.

Ils maintiennent par ailleurs qu’elle bloque même l’envoi d’articles requis pour le fonctionnement de cliniques médicales pratiquant des avortements et pourrait du coup entraîner l’équivalent d’un interdit national.

Bien que la portée du texte ne s’applique selon la jurisprudence qu’aux avortements illégaux, il pourrait « créer des problèmes » s’il est interprété de manière plus énergique et compliquer l’accès à l’avortement, prévient Mme Rebouché.

Des contestations en vue ? 

Deux magistrats de la Cour suprême ont évoqué la loi Comstock dans une cause récente visant à restreindre l’accès à la mifépristone, même si la question ne se retrouvait pas au cœur des enjeux. Le juge Clarence Thomas a notamment demandé lors d’une audience à l’avocat de la firme produisant le médicament comment elle répondrait à l’argument que l’envoi du produit par la poste contrevient à la loi.

La professeure Rebouché note que la cause en question, lancée par une organisation texane, risque d’être rejetée pour une question technique sans que le tribunal se prononce sur le fond de l’affaire. Il ne serait cependant pas surprenant, selon elle, que les deux magistrats soulignent dans ce contexte l’intérêt juridique potentiel de la loi Comstock.

Mary Ziegler, professeure de droit de l’Université de Californie à Davis, pense qu’une telle initiative galvaniserait les organisations antiavortement et les pousserait à lancer d’autres contestations judiciaires en vue de permettre éventuellement à la Cour suprême de se pencher directement sur le sujet.

La loi, dit-elle, ne peut être interprétée sur le plan juridique de manière aussi restrictive que le prétendent ses partisans.

La vraie question est plutôt de savoir si leur argument est « trop ridicule » pour empêcher la Cour suprême de le reprendre à son compte, souligne la juriste en critiquant l’influence de la majorité conservatrice au sein du tribunal.

La composition du prochain gouvernement américain pourrait avoir une incidence importante sur la suite des choses.

Alors que l’administration du président Joe Biden a statué que la loi Comstock avait une portée limitée et ne pouvait s’appliquer qu’à des avortements illégaux, un nouveau gouvernement chapeauté par Donald Trump pourrait en faire une lecture plus large et lancer des poursuites contre des fournisseurs de médicaments agissant en toute légalité.

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Certains groupes avancent que la loi Comstack rend illégal l’envoi par courrier de mifépristone, pilule utilisée dans plus de la moitié des avortements aux États-Unis.

Le candidat républicain à l’élection présidentielle a déclaré lundi qu’il n’était pas intéressé par une interdiction nationale de l’avortement et entendait laisser aux États eux-mêmes le choix de décider de la politique à appliquer.

Son discours est inspiré par des considérations électoralistes et reflète les réserves de la population américaine face à un interdit à grande échelle, souligne la professeure Rebouché, qui ne serait pas étonnée de le voir réclamer une application énergique de la loi Comstock en cas de victoire.

Elisa Wells, l’une des fondatrices de Plan C, une organisation favorisant un large accès à l’avortement médicamenteux, pense que les autorités fédérales ne seront pas capables de stopper la distribution par voie postale de la mifépristone et du misoprostol.

Le volume de courrier en circulation ainsi que la grande diversité de fournisseurs et de « chemins » permettant d’obtenir ces médicaments font en sorte que l’exercice serait un échec, dit-elle. L’évocation de la loi Comstock constitue dans ce contexte un « effort désespéré » des organisations antiavortement.

« Elles ne réussiront pas à empêcher l’accès à ces médicaments aux États-Unis », juge Mme Wells.

L’Arizona juge valide une interdiction quasi totale de l’avortement

La plus haute juridiction de l’Arizona a estimé mardi qu’une loi de 1864 interdisant la quasi-totalité des avortements était applicable, une décision symbolique avec d’importantes implications électorales à quelques mois de la présidentielle dans cet État clé du sud-ouest des États-Unis. Cette loi interdit tout avortement dès le moment de la conception, sauf si la vie de la mère est en danger. Le viol ou l’inceste ne sont pas considérés comme des exceptions valables. La procureure générale de l’Arizona, la démocrate Kris Mayes, a toutefois prévenu de longue date qu’elle n’engagerait aucune poursuite.

Agence France-Presse