(New York) Ce ne sont que des mots, lancés par Joe Biden lors du premier débat présidentiel de 2020, en réponse à une promesse répétée à plusieurs reprises par Donald Trump au modérateur Chris Wallace, soit de dévoiler ses déclarations de revenus.

« Quand ? », a demandé le candidat démocrate après l’une de ces promesses. « Inch’Allah ? »

Ce ne sont que des mots, mais ce « si Dieu le veut », prononcé sur un ton sarcastique de circonstance, a enflammé le coin de la Toile où s’expriment les Arabo-Américains. Pour la première fois de l’histoire américaine, des mots arabes étaient entendus lors d’un débat présidentiel.

« Un moment historique aux États-Unis », a tweeté Hamed Aleaziz, journaliste au New York Times.

« Joe Biden : ‟Inch’Allah.” Mes chéris, c’est arrivé », a exulté Siraj Hashmi, animateur de la balado Habibi Bros, sur le même réseau social.

PHOTO PATRICK SEMANSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Joe Biden, lors du débat présidentiel du 29 septembre 2020

« Si mes parents m’avaient dit, lorsque j’étais jeune, qu’un candidat présidentiel important prononcerait un jour les mots ‟inch’Allah” lors d’un débat télévisé national, j’aurais pensé qu’ils étaient fous. Mais tout est possible en 2020 », a renchéri Shadi Hamid, éditorialiste au Washington Post.

Quel poids ont eu ces mots sur le vote arabo-américain en 2020 ? Impossible de le mesurer. Ce qui est mesurable, cependant, c’est le plongeon vertigineux de la popularité de Joe Biden auprès de cet électorat, dont certains membres ont vu en lui une sorte de héros culturel, en ce 29 septembre 2020.

Un mois et quelques jours plus tard, 59 % des électeurs arabo-américains ont voté pour Joe Biden. Or, en novembre dernier, seuls 17 % d’entre eux ont dit avoir l’intention de l’appuyer en novembre 2024, selon un sondage mené par l’Institut arabo-musulman.

Sondage dont les résultats reflétaient un sentiment de trahison inspiré par l’appui indéfectible à Israël de celui que certains partisans de la cause palestinienne surnomment désormais « Genocide Joe ».

Dans certains États clés où les électeurs arabo-américains sont concentrés, une telle défection pourrait contribuer à priver Joe Biden de victoires cruciales. C’est notamment le cas au Michigan, où une primaire démocrate offrira mardi un premier aperçu de l’impact électoral de la position du président par rapport à la guerre dans la bande de Gaza.

« Non engagé »

Des militants et des dirigeants démocrates de la communauté arabo-américaine du Michigan invitent les électeurs à voter « uncommitted » (« non engagé », en français) mardi pour transmettre un message au président Biden sur l’urgence d’appeler à un cessez-le-feu permanent dans la bande de Gaza. Cette option est offerte sur les bulletins de vote au Michigan à l’occasion des primaires. Elle permet aux démocrates et aux indépendants d’envoyer à la convention démocrate des délégués qui ne sont attachés à aucun candidat, moyennant un nombre suffisant de votes.

« C’est ainsi que vous pouvez faire entendre notre voix », a déclaré Rashida Tlaib, représentante démocrate du Michigan et unique élue d’origine palestinienne au Congrès, dans une vidéo diffusée le 17 février dernier. « À l’heure actuelle, nous nous sentons complètement négligés et invisibles. »

Layla Elabed, sœur cadette de Rashida Tlaib et organisatrice communautaire, est à la tête de Listen to Michigan, le groupe qui appelle les électeurs de l’État à voter « uncommited ». Abdullah Hammoud, maire de Dearborn, « capitale arabe » du Michigan, soutient cette campagne, de même que l’organisation Our Revolution, fondée par des partisans du sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders (ce dernier s’est dissocié de cet effort).

Ma plus grande crainte est que l’on ne se souvienne pas de M. Biden comme du président qui a sauvé la démocratie américaine en 2020, mais plutôt comme du président qui l’a sacrifiée pour Benyamin Nétanyahou en 2024.

Le maire Abdullah Hammoud dans une tribune publiée la semaine dernière par le New York Times

Listen to Michigan espère qu’au moins 10 000 électeurs du Michigan voteront « uncommitted » mardi, soit le nombre de voix qui a permis à Donald Trump de remporter l’État en 2016.

Joe Biden, lui, a battu l’ancien président par 154 000 voix au Michigan en 2020. Cet État industriel du Midwest compte 200 000 électeurs musulmans inscrits sur les listes électorales et 300 000 qui revendiquent des origines au Proche-Orient ou en Afrique du Nord. D’autres États clés, dont la Géorgie, la Pennsylvanie et l’Arizona, ont également des minorités arabes et musulmanes importantes.

Mais cet électorat n’est pas le seul à lâcher Joe Biden. Les sondages indiquent que le président perd aussi des appuis chez les jeunes et les Noirs, dont certains s’indignent du sort réservé à la population de Gaza, où près de 30 000 personnes ont perdu la vie depuis le début des représailles israéliennes à l’attaque terroriste du Hamas qui a tué 1200 personnes en Israël, le 7 octobre dernier.

PHOTO SALEH SALEM, REUTERS

Une jeune Palestinienne réfugiée nourrit son petit frère dans le camp de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Au Michigan et ailleurs, un certain nombre de ces électeurs disent qu’ils ne voteront pas pour Joe Biden, à moins qu’il ne se prononce en faveur d’un cessez-le-feu et qu’il supprime l’aide militaire qui permet à Israël de mener sa guerre dans la bande de Gaza. Ils ne se satisfont pas des déclarations du président sur les bombardements « indiscriminés » ou les tactiques « excessives » de Tsahal.

D’autres ont déjà conclu qu’ils ne peuvent plus voter pour Joe Biden, le considérant comme complice des « crimes de guerre » dont ils accusent le premier ministre israélien et les membres de son gouvernement d’extrême droite. Le 8 novembre prochain, ils voteront donc pour un candidat indépendant ou resteront à la maison.

Et ils refusent déjà de porter le blâme d’une victoire possible de Donald Trump, dont ils savent pourtant que les positions vis-à-vis des Palestiniens ou des musulmans risquent d’être pires encore que celles de Joe Biden.

Ils sont déterminés à punir le président démocrate.

Inch’Allah ?