Une ville ravagée, des populations évacuées, un paysage rasé. Les incendies de l’île de Maui, à Hawaii, marqueront la communauté de cet archipel à jamais. Pour des résidants, le traumatisme est d’autant plus grand que cette catastrophe est pour bien des experts un nouvel avertissement de ce que réserve la crise climatique.

« Ce qui s’est passé à Lahaina, ce n’est rien de moins qu’une destruction complète d’un centre historique », résume non sans émotion le Québécois André-Nicolas Chené, installé à Hilo, dans l’est de la « Big Island », depuis une dizaine d’années.

Là où il est, l’humidité du vent de la mer le « protège relativement bien des feux », souffle l’astronome. « Mais il s’agit de conduire juste un peu de l’autre côté de l’île, et on se retrouve dans une vraie poudrière. On sait qu’à tout moment, on peut perdre une partie du patrimoine. »

Jeudi en soirée, on déplorait au moins 53 morts, selon le bilan provisoire des autorités du comté de Maui, l’île la plus touchée. Mais ce chiffre pourrait « largement excéder » les 60 morts, a averti le gouverneur d’Hawaii, Josh Green, sur les ondes de la chaîne américaine CNN.

Et si c’était vraiment le cas, les incendies de Maui deviendraient le pire désastre à avoir frappé l’archipel depuis qu’il est devenu un État américain, en 1959.

Le feu a pratiquement réduit en cendres la ville de Lahaina sur la côte ouest de Maui, en grande partie détruite par les flammes. Ces incendies ont été aggravés notamment par des vents violents, pouvant atteindre 130 km/h, nourris par l’ouragan Dora, qui passe actuellement dans l’océan Pacifique, à plusieurs centaines de kilomètres au sud de l’archipel.

« C’est la plus grosse catastrophe naturelle de l’histoire de l’État d’Hawaii », a insisté le gouverneur Josh Green, jeudi, face à la presse. « Lahaina, à quelques exceptions près, a été complètement rasé », a-t-il ajouté après avoir arpenté les lieux avec le maire de Maui, Richard Bissen.

Sans aucun doute, on dirait qu’une bombe est tombée sur Lahaina.

Josh Green, gouverneur d’Hawaii

Affaires mondiales Canada considère Maui comme un « risque régional » et recommande aux Canadiens d’éviter tout voyage non essentiel ou d’envisager de quitter l’île « en raison d’importants feux de forêt » qui touchent l’endroit.

La compagnie WestJet a aussi annulé trois vols directs entre Vancouver et Maui. Air Canada, de son côté, a dû annuler un vol qui devait partir mardi. Un vol de convoyage a été organisé dans la nuit de mercredi à jeudi pour récupérer les passages bloqués et un second vol était prévu pour jeudi soir.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ-NICOLAS CHENÉ

André-Nicolas Chené, installé à Hilo, dans l’est de BIg Island

Dans son entourage, M. Chené connaît plusieurs personnes touchées par les incendies sur l’île de Maui. « On a autour de nous plein de gens qui ont tout perdu. Pour nous, ça fait un peu l’effet que ça avait été il y a dix ans, lors de la catastrophe de Lac-Mégantic. C’est un grand traumatisme pour la communauté », glisse-t-il.

« Parce que c’est un moment très difficile, très tendu, on essaie d’être présents pour nos amis, pour nos proches. Il y a des personnes qui se sont retrouvées en très peu de temps dans une situation critique à devoir se jeter à la mer pour survivre à des feux, dans un endroit complètement anéanti », ajoute le Québécois.

À ses yeux, Lahaina « faisait partie de ces endroits qui sont particulièrement précieux, où les gens aiment se rassembler, dans une atmosphère unique ».

L’impact climatique

Selon la plupart des experts, ces incendies, aggravés par l’ouragan Dora, sont intimement liés à la baisse des précipitations, une sécheresse accrue et la hausse de la température de l’eau.

« Les gens associent Hawaii aux conditions tropicales, mais en réalité, les précipitations diminuent depuis des décennies en raison du changement climatique, asséchant le paysage luxuriant et le rendant de plus en plus vulnérable aux dommages causés par les incendies de forêt », a résumé jeudi David Ho, spécialiste du climat de l’Université d’Hawaii, sur les réseaux sociaux.

Selon lui, les changements climatiques « ne signifient pas simplement que les choses sont différentes ». En fait, on assiste à « un changement rapide dans le fonctionnement d’un système complexe et interconnecté qui est trop rapide pour que les humains, les autres animaux, les plantes et les écosystèmes s’adaptent ».

Évelyne Thiffault, ingénieure forestière et professeure au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, est aussi de cet avis. « Comme partout ailleurs sur la planète cette année, il y a des conditions de chaleur absolument exceptionnelles à Hawaii, ce qui affecte grandement la température des océans. Ce n’est pas une coïncidence que ça arrive maintenant. C’est l’année El Niño », note-t-elle, en référence à ce phénomène météo amplifiant les effets du réchauffement planétaire.

« Ça nous montre ce que pourrait devenir la norme des conditions de réchauffement d’ici quelques décennies si les changements climatiques continuent dans cette voie. C’est un autre avertissement du type de catastrophes qui seront probablement plus fréquentes », poursuit l’experte à ce sujet.

Pour André-Nicolas Chené non plus, il ne fait aucun doute que le climat change « en accéléré » sur l’archipel d’Hawaii. « Les ouragans comme Dora, ils sont de plus en plus violents, on le voit et on le sent. L’eau de l’océan est plus chaude et les ouragans gagnent beaucoup d’énergie », évoque-t-il.

« Les courants qui avaient tendance à déchiqueter les ouragans avant qu’ils nous atteignent ont changé aussi, ce qui fait qu’on se retrouve avec des ouragans de plus en plus violents qui survivent jusqu’à très près de nous. On s’attend constamment aux vents les plus forts qu’on ait jamais eus », souffle M. Chené.

Même les plus vieux « nous disent que ce n’est pas normal, qu’ils n’ont jamais vu ça depuis des générations », ajoute le père de famille. « Ce sont vraiment des conditions extrêmes. On vit aussi des variations beaucoup plus grandes. L’été, il fait très chaud et c’est très humide, puis l’hiver, il finit par faire froid, sous les 20 degrés. Mais les maisons ne sont pas toutes nécessairement équipées pour ça. Ce sont des températures qu’on ne vivait pas il y a seulement 20 ans. »

Tristesse et soutien

« Plus les informations circulaient, plus la tristesse et la désolation montaient. C’est épouvantable ce qui se passe là-bas. » Karen Paquet, Québécoise actuellement en voyage à Hawaii, a la chance de ne pas se trouver directement à Maui. Elle est plutôt sur l’île d’Oahu, où est située la capitale Honolulu.

Les gens profitent quand même de leurs vacances. « Il n’y a aucune panique […], mais on sentait de l’incertitude », selon Mme Paquet. Ceux qui devaient se rendre à Maui dans les prochains jours, comme elle, sont contraints de revoir leurs plans.

Elle constate « une grande vague de soutien via le sociofinancement qui s’organise » autour d’elle et s’estime chanceuse, car elle avait d’abord songé à commencer son parcours à Maui.

Quand tu vas à Hawaii, il y a une partie de ton cœur qui y reste. Voir ce qui se passe et être impuissant, c’est vraiment désolant.

Karen Paquet, qui en est à son deuxième voyage à Hawaii

Des images diffusées mercredi et jeudi sur les réseaux sociaux montrent l’ampleur des incendies. « Ma maison est partie, ma ville est partie, mon travail est parti. Nous avons tout perdu. C’est la chose la plus effrayante que j’aie jamais vécue. Si incroyablement dévastée », a notamment témoigné Claire Kent, résidante de Lahaina qui a été évacuée à Waiehu.

« La totalité de Lahaina est partie en fumée, des centaines de maisons, la mienne comprise », a aussi brièvement relaté le Français Lucas Robert, lui aussi installé dans la région sinistrée.

Avec l’Agence France-Presse, l’Associated Press et La Presse Canadienne