Le chercheur canadien Marc Tessier-Lavigne se retire après qu’un examen eut révélé des lacunes dans des études qu’il a supervisées.

Après des mois d’examen minutieux de ses travaux scientifiques, Marc Tessier-Lavigne a annoncé mercredi qu’il démissionnait de son poste de président de l’Université de Stanford. Un examen indépendant de ses recherches a révélé d’importantes lacunes dans des études qu’il avait supervisées.

L’examen, réalisé par un groupe de scientifiques externes, a rejeté l’allégation la plus grave concernant les travaux de M. Tessier-Lavigne, à savoir qu’une importante étude sur la maladie d’Alzheimer réalisée en 2009 avait fait l’objet d’une enquête qui aurait révélé des données falsifiées et que M. Tessier-Lavigne aurait dissimulé le problème.

Le groupe a conclu que ces allégations, publiées en février par The Stanford Daily, le journal du campus, « semblent erronées » et qu’il n’existe aucune preuve de falsification des données ou de fraude de la part de M. Tessier-Lavigne.

Toutefois, l’étude de 2009, réalisée alors que M. Tessier-Lavigne était cadre dans la société de biotechnologie Genentech, présentait de « nombreux problèmes » et « ne répondait pas aux normes habituelles de rigueur et de processus scientifiques », en particulier pour une étude dont les retombées étaient importantes.

À la suite de cet examen, M. Tessier-Lavigne a déclaré qu’il rétracterait un article publié en 1999 dans la revue Cell et deux autres publiés dans Science en 2001. Deux autres articles publiés dans Nature, dont l’étude de 2009 sur la maladie d’Alzheimer, feront également l’objet de ce qui a été décrit comme une correction complète.

Stanford est réputée pour son leadership en matière de recherche scientifique, et même si les allégations concernent des travaux publiés avant l’arrivée de M. Tessier-Lavigne à l’université en 2016, elles ne reflètent pas l’intégrité de l’université.

Dans une déclaration décrivant les raisons de sa démission, M. Tessier-Lavigne a indiqué : « Je m’attends à ce que le rapport et ses conclusions fassent l’objet d’une discussion continue, du moins à court terme, ce qui pourrait conduire à un débat sur ma capacité à diriger l’université au cours de la nouvelle année universitaire. »

M. Tessier-Lavigne, 63 ans, quittera la présidence à la fin du mois d’août, mais restera à l’université à titre de professeur de biologie.

L’Université a nommé Richard Saller, professeur d’études européennes, au poste de président par intérim, à compter du 1er septembre.

Failles révélées

Le rapport de 89 pages du groupe d’experts, basé sur plus de 50 entretiens et l’examen de plus de 50 000 documents, conclut que des membres des laboratoires de M. Tessier-Lavigne se sont livrés à une manipulation inappropriée des données de recherche ou à des pratiques scientifiques déficientes, ce qui a entraîné des lacunes importantes dans cinq articles dont M. Tessier-Lavigne était l’auteur principal.

Dans plusieurs cas, le panel a constaté que M. Tessier-Lavigne n’avait pas pris de mesures suffisantes pour corriger les erreurs, et il a remis en question sa décision de ne pas demander de correction dans l’article de 2009 après que des études de suivi eurent révélé que sa principale conclusion était incorrecte.

Les failles citées par le panel comprennent également sept autres articles dans lesquels M. Tessier-Lavigne figure à titre d’auteur principal ou coauteur.

Neuroscientifique réputé, M. Tessier-Lavigne a publié plus de 200 articles portant principalement sur la cause et le traitement des maladies cérébrales dégénératives.

À partir des années 1990, il a travaillé dans plusieurs établissements, dont Stanford, l’Université Rockefeller, l’Université de Californie à San Francisco et Genentech, une société de biotechnologie.

Les accusations sont apparues pour la première fois il y a plusieurs années sur PubPeer, un site de collaboration en ligne (crowdsourcing) pour la publication et la discussion de travaux scientifiques. Mais elles ont refait surface après que le journal étudiant, The Stanford Daily, eut publié une série d’articles mettant en doute l’exactitude et l’honnêteté des travaux produits dans les laboratoires supervisés par M. Tessier-Lavigne.

Allégations de fraude démenties

Le journal étudiant a d’abord rapporté, en novembre dernier, des allégations selon lesquelles des images avaient été manipulées dans des articles publiés mentionnant M. Tessier-Lavigne comme auteur principal ou coauteur.

En février, The Stanford Daily a publié un article contenant des allégations plus sérieuses de fraude concernant l’article de 2009 que M. Tessier-Lavigne a publié lorsqu’il était chercheur principal chez Genentech.

The Stanford Daily affirme qu’une enquête menée par Genentech a révélé que l’étude de 2009 contenait des données falsifiées et que M. Tessier-Lavigne avait tenté de dissimuler les résultats de l’étude.

Il avance également qu’un chercheur postdoctoral ayant travaillé sur l’étude a été surpris par Genentech en train de falsifier des données.

Tant M. Tessier-Lavigne que l’ancien chercheur, aujourd’hui médecin exerçant en Floride, ont fermement démenti ces allégations, qui s’appuient largement sur des sources anonymes.

Notant que, dans certains cas, il n’a pas été en mesure d’identifier les sources anonymes citées dans l’article du Stanford Daily, le comité d’examen a déclaré que l’affirmation du Daily selon laquelle « Genentech avait mené une enquête sur la fraude et conclu à une fraude » dans l’étude « semble erronée ». Aucune enquête de ce type n’a été menée, selon le rapport.

À la suite du rapport initial du journal sur les études manipulées en novembre, le conseil d’administration de Stanford a formé un comité spécial pour examiner les allégations, sous la direction de Carol Lam, administratrice de Stanford et ancienne procureure fédérale. Le comité spécial a ensuite engagé Mark Filip, ancien juge fédéral de l’Illinois, et son cabinet d’avocats, Kirkland & Ellis, pour diriger l’examen.

En janvier, il a été annoncé que M. Filip avait également fait appel à un groupe de cinq scientifiques, dont un lauréat du prix Nobel et un ancien président de Princeton, pour examiner les allégations d’un point de vue scientifique.

Conclusion erronée

Genentech avait présenté l’étude de 2009 comme une percée, M. Tessier-Lavigne ayant qualifié les résultats, lors d’une présentation aux investisseurs de Genentech, de manière totalement nouvelle et différente d’envisager le processus de la maladie d’Alzheimer.

L’étude s’est concentrée sur le rôle jusqu’alors inconnu d’une protéine cérébrale – le récepteur DR6 – dans le développement de la maladie d’Alzheimer.

Comme c’est le cas pour de nombreuses nouvelles théories sur la maladie d’Alzheimer, l’une des principales conclusions de l’étude s’est révélée erronée. Après plusieurs années de tentatives pour reproduire les résultats, Genentech a finalement abandonné la recherche.

M. Tessier-Lavigne a quitté Genentech en 2011 pour diriger l’Université Rockefeller, mais il a publié, en même temps que l’entreprise, des travaux ultérieurs reconnaissant l’incapacité à confirmer des éléments clés de la recherche.

Plus récemment, M. Tessier-Lavigne a déclaré à la publication STAT NEWS qu’il y avait eu des incohérences dans les résultats des expériences, qu’il attribuait à des échantillons de protéines impurs.

L’incapacité du laboratoire Genentech de M. Tessier-Lavigne à garantir la pureté des échantillons est l’un des problèmes de processus scientifique cités par le groupe d’experts, qui a également critiqué la décision de M. Tessier-Lavigne de ne pas corriger l’article original, la qualifiant de « sous-optimale », mais dans les limites de la pratique scientifique.

Dans sa déclaration, M. Tessier-Lavigne a indiqué qu’il avait déjà tenté d’apporter des corrections aux articles de Cell et de Science, mais que Cell avait refusé de publier une correction et que Science n’en avait pas publié après avoir accepté de le faire.

Les conclusions du groupe d’experts confirment un rapport publié en avril par Genentech, qui a déclaré que son propre examen interne des affirmations du Stanford Daily n’avait trouvé aucune preuve de « fraude, de fabrication ou d’autres actes répréhensibles intentionnels ».

La majeure partie du rapport du groupe d’experts, environ 60 pages, est une annexe détaillée de l’analyse des images dans 12 articles scientifiques publiés dans lesquels M. Tessier-Lavigne a été auteur ou coauteur, certains datant d’il y a 20 ans.

Le groupe d’experts a trouvé de nombreux exemples d’images dupliquées ou assemblées dans les articles, mais a conclu que M. Tessier-Lavigne n’avait pas participé à la manipulation, qu’il n’en était pas conscient à l’époque et qu’il n’avait pas fait preuve d’insouciance en ne les détectant pas.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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