Le nombre de livres censurés à la demande de groupes de pression et d’élus qui veulent empêcher des élèves d’accéder à du contenu jugé répréhensible gagne en importance aux États-Unis.
La hausse est alimentée notamment par l’adoption de nouvelles lois restrictives qui vont, dans certains cas, jusqu’à menacer de poursuites criminelles les bibliothécaires et les enseignants responsables de la gestion des ouvrages.
Dans plusieurs États, les lois en question sont formulées de manière « vague », poussant les dirigeants locaux à adopter une approche « exagérément » prudente, particulièrement en ce qui a trait aux questions raciales, d’orientation sexuelle et d’identité de genre qui sont souvent au cœur des contestations.
Christopher Finan, qui chapeaute la Coalition nationale contre la censure, note que le mouvement pour faire interdire des livres gagne encore en intensité au sud de la frontière.
Il y a des groupes qui se sont formés à plusieurs endroits pour contester leur action, mais il y a encore beaucoup à faire pour renverser la tendance.
Christopher Finan, de la Coalition nationale contre la censure
Pen America souligne dans un récent rapport avoir relevé que l’accès à la bibliothèque a été carrément suspendu dans des écoles pendant de longues périodes par crainte de l’impact de nouvelles lois.
Le personnel, souligne l’organisation de défense de la liberté d’expression, a décidé de procéder de cette façon après avoir manqué de temps pour répondre à la demande des autorités, qui exigent le passage en revue de l’ensemble des ouvrages et la production d’un catalogue facile d’accès pour le public.
« Ce type de loi est inquiétant parce qu’il cible des fonctionnaires. Ils travaillent pour le gouvernement alors ils sont très vulnérables face aux pressions venant des responsables élus », dit M. Finan.
Les chercheurs de Pen America ont dénombré 874 livres qui ont été censurés durant la première moitié de l’année scolaire 2022-2023, soit près de 30 % de plus qu’au cours des six mois précédents.
Les États les plus actifs sur ce plan sont le Texas, la Floride, le Missouri, l’Utah et la Caroline du Sud. Les ouvrages traitant de questions raciales ou d’orientation sexuelle et d’identité de genre représentaient 60 % du total.
Près des trois quarts des livres ont été interdits en raison de l’action de groupes de pression et d’élus ou résultent de nouvelles lois restrictives.
Dans certains cas, des représentants de l’État ont décidé de prendre l’initiative sans attendre d’intervention législative.
Un procureur du Michigan a notamment menacé il y a quelques mois de sévir contre une bibliothécaire voulant maintenir dans son catalogue Gender Queer, ouvrage faisant l’objet du plus grand nombre de contestations, selon l’American Library Association (ALA).
Le procureur en question, John Miller, a déclaré que le livre, qui relate sous forme de bande dessinée le parcours d’une personne non binaire, pourrait correspondre au chef d’accusation de « sollicitation d’enfant à des fins immorales » en raison des scènes sexuelles qu’il contient.
La bibliothécaire ciblée, Amy Churchill, a dénoncé ces pressions en arguant que le but du procureur était en fait de réduire la place des « communautés marginalisées » dans les ouvrages offerts.
L’ALA indique que 1269 demandes de censure, ciblant un total de 2571 livres différents, ont été relevées en 2022, comparativement à 729 en 2021. Il s’agit du plus important total observé depuis que l’organisation a commencé à les comptabiliser, il y a 20 ans.
Près de 60 % des livres ciblés se trouvaient dans des salles de classe ou des bibliothèques scolaires. Le reste appartenait plutôt à des bibliothèques publiques.
« Le choix de ce qu’il faut lire doit revenir au lecteur lui-même ou, dans le cas des enfants, aux parents, pas à une police autodéclarée des livres », dénonce dans une déclaration écrite Deborah Caldwell-Stone, de Pen America.
Plusieurs des lois visant à faire retirer des ouvrages utilisent le prétexte qu’ils sont « obscènes » alors qu’ils ne répondent « pas du tout » au seuil légal requis pour en arriver à une telle conclusion, note M. Finan.
Ils sont écartés en raison d’un bref passage ou d’une image unique sans considérer l’ensemble du contenu comme l’exige la jurisprudence, dit-il.
« Il y a eu beaucoup de menaces de poursuites criminelles, mais aucun procureur n’a encore tenté formellement de faire condamner un bibliothécaire ou un enseignant pour avoir diffusé du matériel obscène, parce qu’ils savent très bien qu’ils perdraient une cause comme ça », souligne le militant.
Nombre d’élus républicains, dit-il, cherchent à profiter de la sensibilité de leur base électorale sur ces questions pour faire des gains politiques.
« Ils ont trouvé un point sensible et ils l’utilisent pour servir leur propre cause », conclut M. Finan.