Ce jeudi soir à 23 h 59 prendra fin l’application de la politique du « Titre 42 », dispositif utilisé par l’administration Trump pour refouler les immigrants illégaux sous prétexte d’éviter la propagation de la COVID-19. Mais ce retrait entraîne pagaille et confusion quant à savoir si les futures politiques migratoires seront plus souples ou plus contraignantes.

Qu’est-ce que le « Titre 42 » ?

De son vrai nom « Title 42 », cette politique migratoire a été mise en place à la fin du XIXe siècle par le Congrès pour fermer le territoire américain aux étrangers en cas de crise sanitaire. Elle a été utilisée en 1929 pour fermer les ports aux navires chinois et philippins en raison d’une épidémie de méningite. Sa version moderne date de 1944 avec l’adoption du Public Health Service Act. En mars 2020, l’administration Trump l’a employée comme moyen de lutte contre la propagation de la COVID-19. D’aucuns y ont vu un mécanisme pour endiguer le flux migratoire illégal.

Quels pouvoirs le « Titre 42 » donne-t-il aux autorités ?

Celui de refouler les immigrants illégaux après une audition sommaire de quelques minutes. Dans le passé, ceux qui réussissaient à entrer sur le territoire américain et demandaient l’asile politique pouvaient être accueillis en attendant que leur dossier soit traité. Ce qui pouvait prendre des années. Avec le « Titre 42 », les gens traversant la frontière illégalement étaient rapidement refoulés, sans droit de demander l’asile, ou embarqués sur des vols d’expulsion vers leur pays d’origine.

PHOTO PATRICK T. FALLON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le « Titre 42 » prendra fin ce jeudi soir.

Pourquoi la mesure prend-elle fin ?

Parce que la pandémie de COVID-19 a beaucoup régressé. Récemment, l’administration Biden a décrété mettre fin, ce jeudi 11 mai à 23 h 59, à l’état d’urgence sanitaire lié à la COVID-19. La logique fait en sorte que l’application du « Titre 42 » prendra fin en même temps.

Quel a été l’effet du « Titre 42 » ?

En trois ans, les services frontaliers ont comptabilisé quelque 2,8 millions de cas de renvois. Comme ces renvois viennent sans pénalité, des migrants ont fait plusieurs tentatives. Mais ce ne sont pas tous les demandeurs d’asile qui ont été refoulés. Durant la même période, 1,8 million de personnes ont été admises temporairement. « Cette mesure d’expulsion sans audition est devenue la raison pour laquelle tant de gens ont fait des tentatives répétées. Après quatre ou cinq tentatives, ils pouvaient y arriver », note Muzaffar Chishti, de l’organisme Migration Policy Institute, dans une entrevue au magazine Time. « Je pense que tout le monde est d’accord pour dire que le “Titre 42” a été un couvercle sur une marmite qui bout », indique à La Presse Alexandre Couture-Gagnon, professeure associée au département de science politique de l’Université du Texas Rio Grande Valley.

Le « Titre 42 » fera donc place à une nouvelle politique migratoire ?

Exactement ! Et c’est pourquoi la confusion règne ! Craignant que les règles migratoires soient plus sévères après la levée du « Titre 42 », des milliers de migrants se sont empressés d’entrer illégalement aux États-Unis. Croyant au contraire que les règles seront plus souples, des milliers d’autres sont arrivés dans des villes mexicaines frontalières avec pour projet de traverser aux États-Unis à compter de vendredi, minuit, a expliqué la journaliste du New York Times Miriam Jordan dans un épisode de la balado The Daily. Les passeurs ne sont pas étrangers à cette croyance.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Détentions à la frontière sud des États-Unis

Et dans les faits ?

D’aucuns s’attendent à ce que l’administration Biden remette en place la politique antérieure, le « Titre 8 », dont certains éléments sont plus contraignants. Alors que le « Titre 42 » ne prévoit aucune pénalité envers les illégaux, le « Titre 8 » prévoit une condamnation pour délit et une possible amende pour une première infraction et des pénalités plus sévères aux récidivistes. L’administration Biden prévoit aussi adopter de nouvelles mesures visant à réduire la pression sur la frontière. On a ainsi créé une application en ligne (CBP One) pour faire sa demande d’immigration. Des centres de gestion de demandes d’asile seront aussi ouverts loin de la frontière, notamment en Colombie et au Guatemala.

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Migrants interceptés à El Paso, mercredi

En attendant, quel est l’impact sur les villes frontalières ?

Celles-ci débordent de migrants. Tant dans les villes du Texas (Brownsville, El Paso, Laredo) que dans celles du Mexique (Matamoros, Ciudad Juárez), les services d’urgence et les organismes d’aide humanitaire sont très sollicités. « Au centre-ville de Brownsville, très près de la frontière, il y a des migrants partout. Mais je n’en ai pas vu qui dorment dehors, comme à El Paso », dit Alexandre Couture-Gagnon. Elle note que beaucoup sont très amaigris. « Beaucoup ont souffert de la faim et il ne leur reste que la peau et les os. C’est vraiment triste à voir. Mais les organismes de charité étaient prêts. Il y a des collectes de denrées partout. Les gens reçoivent de la nourriture, des vêtements propres, etc. »

Avec The New York Times, PBS, Agence France-Presse et Time

En savoir plus
  • De 10 000 à 12 000
    « J’ai visité Ciudad Juárez la semaine dernière. Les migrants ne sont pas dans les abris. Ils sont dans les rues. Et il y en a beaucoup. Je crois qu’entre 10 000 et 12 000 personnes attendent de traverser la frontière. »
    Oscar Leeser, maire d’El Paso, en entrevue à PBS