(Minneapolis) Il fallait quitter le Texas, et vite. Les mesures visant les mineurs transgenres se multipliaient, alors Mary a passé en revue les États américains où son enfant pourrait pleinement vivre son identité. C’est ainsi que la famille a fait ses bagages, direction le Minnesota.

« L’idée que l’État (du Texas) nous trahisse de cette manière, je n’arrive toujours pas vraiment à m’y faire », dit à l’AFP Mary, assise dans un jardin public de Minneapolis aux côtés de Jasper, 16 ans, par une journée d’avril inhabituellement chaude.

La blessure est d’autant plus vive que Mary et Jasper — des noms d’emprunt qu’ils ont choisis pour se protéger — ont comme beaucoup de Texans un fort sentiment d’appartenance à leur État. Leur famille élargie et leurs amis leur manquent. Cet après-midi, Jasper, qui s’identifie désormais comme garçon, est venu avec un tee-shirt barré du nom de sa ville natale, Austin.

PHOTO STEPHEN MATUREN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jasper et sa mère Mary

Mais dans le Minnesota, où ils se sont installés l’été dernier, « on se sent beaucoup, beaucoup plus en sécurité », affirme Mary. L’accueil a été si chaleureux malgré les rudes mois hivernaux, les procédures pour voir le prénom de Jasper reconnu à l’école si simples que sa mère a plus d’une fois pleuré d’émotion alors qu’elle s’apprêtait à sortir les griffes, raconte-t-elle.

Cet État du Nord s’y est en effet engagé : il sera un « refuge » pour les familles fuyant l’avalanche de législations visant à restreindre les droits des enfants transgenres ailleurs.

« Le cercueil » ou « le placard »

Comme l’avortement ou le racisme, la question des mineurs transgenres est au cœur des « guerres culturelles » qui creusent toujours plus le fossé entre États américains.

Dans les régions qu’ils contrôlent, les conservateurs ont lancé l’offensive pour prohiber les traitements de transition pour les adolescents ou interdire aux élèves transgenres d’utiliser les toilettes du sexe auquel ils s’identifient.

Pas d’élève né avec un sexe masculin dans les toilettes des filles, martèlent-ils, en dépit des statistiques ne montrant aucune hausse des agressions.

Au Texas, des parents ont même fait l’objet d’enquêtes des services de protection de l’enfance.

Au contraire, des États dirigés par l’autre camp comme l’Illinois ou la Californie veulent être des « sanctuaires » pour les jeunes trans.

Le capitole du Minnesota vient, lui, d’adopter une loi garantissant des soins aux personnes trans venant d’ailleurs.  

« Nous essayons de ne pas seulement dire qu’être trans est acceptable, mais que vous pouvez venir ici et être en sécurité », explique à l’AFP Leigh Finke, première élue ouvertement transgenre du Minnesota, qui a porté la législation.

Car, rappelle-t-elle, « la durée de vie moyenne des personnes trans est très basse ». « Nous savons ce que cela signifie de forcer les gens à ne pas être eux-mêmes : c’est soit le cercueil, soit le placard ».

C’est pourquoi les soins prodigués aux mineurs transgenres « sauvent des vies », affirme à l’AFP la pédiatre Angela Goepferd, directrice de programme à Children’s Minnesota, un important centre médical.

« Souffle coupé »

Les enfants y ayant accès « sont moins dépressifs, pensent moins souvent au suicide et passent moins souvent à l’acte », insiste-t-elle.

Au-delà des clivages partisans, qui voient un camp accuser l’autre de « mutiler » les enfants, certains parents, même de sensibilité progressiste, disent craindre que des traitements irréversibles ne soient proposés trop tôt à des mineurs en plein questionnement sur leur identité et qui pourraient plus tard regretter leur choix.

Selon Angela Goepferd, la chirurgie est « presque exclusivement réservée aux personnes de plus de 18 ans », même si certains mineurs — « moins de 1 % des adolescents plus âgés, 16 ou 17 ans » — peuvent avoir accès à des mastectomies (ablation des seins).

Les soins consistent principalement, affirme-t-elle, à « rencontrer les familles, répondre aux questions, aider à voir comment soutenir une jeune personne à l’école ».

« Puis, pour certains enfants qui sont à l’âge de la puberté ou plus âgés, cela peut impliquer des médicaments » : des bloqueurs d’hormones, la pilule (pour ne plus avoir de règles), de la testostérone ou de l’œstrogène.

La bataille entre conservateurs et progressistes ne montrant pas de signe d’essoufflement, Leigh Finke s’attend à ce que des « milliers de familles » viennent s’installer dans le Minnesota.

Mary est consciente qu’avec son mari et Jasper, ils ont eu de la chance d’avoir les moyens de partir du Texas. Elle dit connaître des familles « qui ne peuvent pas et qui retiennent juste leur souffle ».

Jasper est encore très nostalgique de son État natal et a hâte d’y retourner en vacances cet été, mais sa mère est confiante sur son adaptation au Minnesota.  

Quant à elle, elle continue à avoir « le souffle coupé » de soulagement chaque fois que le Minnesota adopte une mesure en faveur des personnes transgenres, dit-elle.