La révélation que le bureau du procureur de Manhattan a informé les avocats de Donald Trump que ce dernier pourrait bientôt faire l’objet de poursuites pénales constitue un rebondissement majeur dans une enquête qui plane sur l’ancien président depuis près de cinq ans.

Cela a également soulevé un certain nombre de questions sur les contours de l’affaire potentielle contre M. Trump, qui pourrait devenir le premier ancien président des États-Unis à être inculpé.

Alvin L. Bragg, le procureur, se concentre sur l’implication de Trump dans le paiement d’une somme occulte à une star du porno qui disait avoir eu une liaison avec lui. Michael D. Cohen, l’homme de confiance de Donald Trump à l’époque, a effectué ce versement dans les derniers jours de la campagne présidentielle de 2016.

Si les faits sont spectaculaires, l’affaire contre M. Trump reposerait vraisemblablement sur un ensemble complexe de lois. Et une condamnation est loin d’être assurée.

Voici ce que nous savons, et ce que nous ignorons, sur l’enquête la plus ancienne concernant M. Trump.

Comment tout cela a-t-il commencé ?

En octobre 2016, au cours des dernières semaines de la campagne présidentielle, la star du porno Stormy Daniels a tenté de vendre son histoire de liaison avec M. Trump.

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La star du porno Stormy Daniels, en 2018

Au départ, les représentants de Mme Daniels ont contacté le National Enquirer pour lui offrir les droits exclusifs sur son histoire. David Pecker, éditeur du tabloïd et allié de longue date de Donald Trump, avait accepté d’être à l’affût d’histoires potentiellement préjudiciables à son sujet pendant la campagne de 2016, et avait même accepté à un moment donné d’acheter l’histoire de la liaison d’une autre femme avec Donald Trump et de ne jamais la publier, une pratique connue sous le nom de catch and kill (« attraper et tuer »).

Mais M. Pecker n’a pas acheté l’histoire de Mme Daniels. Au lieu de cela, lui et le rédacteur en chef du tabloïd, Dylan Howard, ont aidé à négocier un accord distinct entre M. Cohen et l’avocat de Mme Daniels.

M. Cohen a payé 130 000 $ US, et M. Trump l’a ensuite remboursé par la Maison-Blanche.

En 2018, M. Cohen a plaidé coupable à un certain nombre de chefs d’accusation, notamment des crimes fédéraux liés au financement des campagnes électorales concernant l’argent caché. Le paiement, ont conclu les procureurs fédéraux, équivalait à un don inadmissible à la campagne de Trump.

Quelques jours après que M. Cohen eut plaidé coupable, le bureau du procureur a ouvert sa propre enquête criminelle sur l’affaire. Alors que les procureurs fédéraux se concentraient sur M. Cohen, l’enquête du procureur s’est concentrée sur M. Trump.

Qu’est-ce que Donald Trump a bien pu faire de mal ?

Lorsqu’il a plaidé coupable devant le tribunal fédéral, M. Cohen a pointé son patron. Selon lui, c’est Donald Trump qui lui a ordonné de payer Mme Daniels, une affirmation que les procureurs ont corroborée par la suite.

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Me Michael D. Cohen (à droite) était l’homme de confiance de l’ancien président Donald Trump à l’époque des faits allégués.

Les procureurs ont également soulevé des questions concernant les chèques mensuels de remboursement de M. Trump à M. Cohen. Ils ont déclaré dans des documents judiciaires que la société de M. Trump avait « faussement comptabilisé » les paiements mensuels comme des frais juridiques et que les documents de la société faisaient état d’un contrat d’honoraires avec M. Cohen. Bien que M. Cohen soit avocat et qu’il soit devenu l’avocat personnel de M. Trump après son entrée en fonction, il n’existait pas de contrat de représentation, et le remboursement n’avait aucun rapport avec les services juridiques fournis par M. Cohen.

M. Cohen a déclaré que M. Trump était au courant du faux contrat de représentation, une accusation qui pourrait constituer la base de l’affaire contre l’ancien président.

À New York, la falsification de documents commerciaux peut constituer un crime, même s’il s’agit d’un délit mineur. Pour que l’accusation devienne un crime, les procureurs de M. Bragg doivent démontrer que l’« intention de frauder » de M. Trump incluait l’intention de commettre ou de dissimuler un second crime.

Dans ce cas, ce second crime pourrait être une violation de la loi électorale de l’État de New York. Bien que les pots-de-vin ne soient pas illégaux en soi, les procureurs pourraient faire valoir que le versement de 130 000 $ US est en fait devenu un don inadmissible à la campagne de M. Trump, en vertu de la théorie selon laquelle il a bénéficié à sa candidature parce qu’il a réduit Mme Daniels au silence.

L’affaire sera-t-elle difficile à prouver ?

Même si M. Trump est inculpé, il sera difficile de le condamner ou de l’envoyer en prison. D’une part, les avocats de M. Trump ne manqueront pas d’attaquer la crédibilité de M. Cohen en citant son casier judiciaire.

D’autre part, l’accusation portée contre l’ancien président repose probablement sur une théorie juridique non testée et donc risquée, impliquant un jeu complexe de lois.

Combiner l’accusation de falsification de documents commerciaux avec une violation de la loi électorale de l’État constituerait une théorie juridique inédite dans une affaire pénale, a fortiori contre l’ancien président, ce qui soulève la possibilité qu’un juge ou une cour d’appel rejette l’affaire ou réduise l’accusation d’infraction grave à une infraction mineure.

Et même si le chef d’inculpation est maintenu, il s’agit d’un délit de faible gravité. Si M. Trump était finalement reconnu coupable, il encourrait une peine maximale de quatre ans, bien que l’emprisonnement ne soit pas obligatoire.

Comment les procureurs ont-ils fait savoir qu’il était probable que des poursuites soient engagées ?

Les procureurs du bureau du procureur ont récemment informé les avocats de M. Trump qu’il pourrait faire l’objet de poursuites pénales.

Ils l’ont fait en lui proposant de témoigner la semaine prochaine devant le grand jury qui a recueilli des éléments de preuve dans le cadre de cette affaire potentielle, ont indiqué des personnes ayant connaissance de l’affaire. De telles offres indiquent presque toujours qu’un acte d’accusation est proche ; il serait inhabituel que les procureurs informent un accusé potentiel sans chercher à l’inculper.

À New York, les accusés potentiels ont le droit de répondre aux questions du grand jury avant d’être inculpés, mais ils témoignent rarement, et il est probable que M. Trump décline l’offre.

Donald Trump sera-t-il assurément inculpé ?

Il est encore possible que M. Trump ne soit pas inculpé. Les avocats de M. Trump pourraient s’entretenir en privé avec les procureurs dans l’espoir d’éviter des poursuites pénales.

Bien que les procureurs de M. Bragg aient déjà interrogé au moins six autres personnes devant le grand jury, ils n’ont pas terminé la présentation des preuves. M. Cohen, par exemple, n’a pas encore comparu devant le grand jury.

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Le procureur du district de Manhattan, Alvin Bragg Jr

Les procureurs devront ensuite présenter les charges aux grands jurés, qui voteront sur un acte d’accusation.

D’ici là, M. Bragg pourrait décider de freiner des quatre fers. À l’heure actuelle, cela semble toutefois peu probable.

Qu’a dit M. Trump pour sa défense ?

M. Trump a qualifié l’enquête de « chasse aux sorcières » à son encontre, qui a commencé avant qu’il devienne président, et a qualifié M. Bragg, qui est Noir et démocrate, de « raciste » motivé par la politique.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Lisez l’article original du New York Times (en anglais, abonnement requis)