L’administration Biden a annoncé son intention d’imposer de nouvelles mesures beaucoup plus strictes qui permettraient aux États-Unis de refouler des dizaines de milliers de migrants tentant de franchir la frontière américano-mexicaine. Cette politique contraste avec les mécanismes d’accueil que le Canada doit respecter en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Pourquoi ce qui pourrait se faire au sud ne pourrait-il pas se faire au nord ?

Quelles sont ces nouvelles mesures ?

La proposition permettrait d’expulser toute personne qui n’a pas demandé la protection d’un autre pays avant d’entrer aux États-Unis, ou qui n’a pas informé les autorités frontalières américaines à l’avance de son intention de demander l’asile.

Comme les migrants qui se présentent à la frontière sud des États-Unis arrivent nécessairement du Mexique, et qu’ils ont souvent foulé le sol d’autres pays avant de poser le pied au Mexique, la mesure frapperait un très grand nombre de personnes.

Seuls les migrants qui ont fait une demande d’asile en ligne, par l’entremise d’une application mobile, avant d’arriver aux États-Unis pourraient être admissibles. Mais cette option n’est pas toujours praticable.

« Cette politique, qui va dans le même sens que celle que Trump pratiquait, contrevient au droit international », soutient Eva Gracia-Turgeon, de Foyer du monde, maison d’hébergement temporaire pour demandeurs d’asile, à Montréal.

« C’est un cran de plus dans la déchéance du droit d’asile », ajoute François Crépeau, professeur de droit international public à l’Université McGill.

« Ça va réduire le nombre de passages pendant un certain temps, dit-il, mais ça va augmenter la clandestinité et ça va faire gagner beaucoup plus d’argent à tous les passeurs qui vont se présenter aux portes, parce que si les États-Unis ne prennent pas la responsabilité de gérer cette mobilité, d’autres vont le faire. »

Quand cette politique doit-elle entrer en vigueur ?

La proposition, annoncée le 22 février, a été publiée au Registre fédéral pour être soumise à des commentaires pour 30 jours.

Elle doit entrer en vigueur en mai, une fois levée la règle liée à la pandémie de COVID-19 de l’ère Trump. Appelée Title 42, cette règle permettait l’expulsion rapide de migrants sans visa, y compris les demandeurs d’asile.

Pourquoi le président Biden serre-t-il la vis ?

Le but est bien sûr de dissuader les migrants de traverser la frontière américaine sans autorisation.

Au-delà des jugements politiques que l’on peut porter, il faut situer ces mesures dans leur contexte. Entre octobre 2020 et août 2021, pendant la pandémie, les autorités américaines ont interpellé 1,5 million de personnes à la frontière avec le Mexique. Au cours de la même période, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a intercepté 316 personnes au chemin Roxham.

Pour l’année budgétaire 2022, le nombre d’entrées d’immigrants sans-papiers a atteint 2,76 millions, selon les données de la Customs and Border Protection1. Ces chiffres illustrent bien que les enjeux auxquels font face les deux pays ne sont pas de même ampleur.

Le Canada pourrait-il imiter son voisin ?

La réponse est non, parce que le Canada n’est pas les États-Unis.

Si le Canada décidait de renvoyer aux États-Unis toutes les personnes qui se présentent à sa frontière en quête de protection, « il serait traîné devant les tribunaux très rapidement », croit François Crépeau.

« Le Canada a des obligations internationales en matière de non-refoulement et il a la Charte canadienne des droits et libertés de la personne », précise le professeur.

En principe, ces obligations internationales sont les mêmes aux États-Unis qu’au Canada. Mais en raison de ses traditions, et de sa moindre taille qui lui donne un rapport de forces défavorable, le Canada est plus soucieux de les respecter.

Quant à la Charte, elle pourrait amener les tribunaux canadiens à bloquer de telles mesures.

Déjà, la légalité du régime actuel fait l’objet de contestations judiciaires.

L’Entente sur les tiers pays sûrs, qui permet au Canada de refouler les demandeurs d’asile qui se présentent à un poste frontalier officiel et les force à passer par un chemin détourné, comme Roxham, a fait l’objet d’un vaste débat juridique.

Des défenseurs des migrants, qui s’y opposent depuis longtemps, ont eu gain de cause devant la Cour fédérale en juillet 2020. Celle-ci avait conclu que l’entente avait pour effet de condamner à la prison aux États-Unis les demandeurs déclarés inadmissibles. Cette décision a toutefois été infirmée par la Cour d’appel fédérale en août 2021. La Cour suprême du Canada a depuis accepté d’entendre la cause et doit rendre sa décision sous peu.

On pourrait donc s’attendre, si le gouvernement canadien suivait la voie américaine, à un déploiement de contestations judiciaires.

Le Canada veut-il suivre l’exemple des États-Unis ?

C’est probablement la vraie question ! L’attitude du Canada face à l’immigration, qu’elle soit régulière ou non, est différente de celle des États-Unis. Les entrées irrégulières, si elles suscitent des débats au Canada, n’ont pas provoqué un clivage social et politique comme aux États-Unis. Par exemple, aucun politicien canadien n’a traité les migrants de « criminels » et de « violeurs » comme l’a fait Donald Trump.

Il y a un consensus entre les grands partis politiques d’ici sur les bienfaits de l’immigration et sur le rôle du Canada comme pays d’accueil. Le nombre d’immigrants est plus élevé en proportion au Canada qu’aux États-Unis, avec 432 000 en 2022, tandis que l’immigration nette aux États-Unis a été de 1,01 million entre juillet 2021 et juillet 2022.

Est-ce que la politique américaine aura des impacts ici ?

Probablement. Si l’administration Biden met en place ces nouvelles mesures, il risque d’y avoir moins de migrants aux États-Unis et, par conséquent, moins de demandeurs d’asile qui tenteront d’entrer au Canada.

« C’est un jeu de dominos, illustre Eva Gracia-Turgeon. S’il y a moins de gens qui passent aux États-Unis, il y a moins de gens qui vont passer au Canada par la suite. »

Que dit le droit international ?

Le droit international en matière de demandeurs d’asile est régi par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Selon cette convention, les États ont l’obligation de ne pas renvoyer ou refouler un réfugié dans un pays où il risquerait d’être persécuté, et de fournir protection et assistance aux réfugiés qui sont sur son territoire. Le droit international reconnaît aussi la notion de non-refoulement qui interdit à un État de renvoyer un demandeur d’asile dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée.

1. Consultez les données de la Customs and Border Protection