Des élus du Massachusetts ont proposé un projet de loi controversé devant permettre aux détenus d’obtenir une réduction de leur peine d’emprisonnement en échange d’un don d’organe ou de moelle osseuse.

L’initiative suscite une levée de boucliers d’éthiciens et de juristes, qui s’interrogent sur la possibilité pour des personnes incarcérées de faire un choix libre et éclairé à ce sujet dans un environnement aussi coercitif.

« La prison, c’est l’enfer. Les détenus sont soumis à de sévères restrictions relativement à leurs droits et sont susceptibles, pour réduire leur temps derrière les barreaux, de faire des choses qu’ils n’envisageraient pas dans un autre contexte », prévient Brendan Parent, spécialiste de l’éthique des transplantations rattaché à la New York University.

Austin Sarat, professeur de droit et de science politique à l’Amherst College, au Massachusetts, sert une mise en garde similaire.

« Les prisons ne sont pas des environnements normaux. Le comportement des détenus est constamment surveillé. La notion de consentement dans ce contexte est beaucoup plus compliquée que pour vous et moi », relève l’analyste.

L’idée même de réduction de peine pourrait par ailleurs contrevenir à la loi fédérale sur les dons d’organes, qui interdit toute récompense, y compris sous une forme « non financière », pour éviter tout risque de commercialisation de l’humain.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi HD.3822 prévoit que les détenus acceptant de participer au programme pourront recevoir une réduction de peine allant de 60 à 365 jours.

Un comité spécialisé regroupant des représentants du milieu carcéral, des prisonniers ainsi que des spécialistes de la santé serait chargé de déterminer les critères d’admissibilité ainsi que la réduction à accorder suivant la nature du don effectué.

Le projet de loi, qui pourrait être modifié en réponse aux critiques suscitées par l’initiative, précise qu’aucune commission ni aucun paiement ne sera versé aux services correctionnels.

« Redonner de l’autonomie corporelle »

L’une des instigatrices de l’initiative, Judith Garcia, qui n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse, a expliqué à la fin de janvier dans un tweet qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune voie pour un détenu désirant venir en aide à un proche en attente d’une greffe.

La nouvelle loi, a-t-elle indiqué, permettrait de « redonner de l’autonomie corporelle aux personnes détenues » tout en aidant à résorber la liste des malades en attente de dons d’organes dans l’État.

L’élue a précisé que cet apport pourrait être particulièrement crucial pour des personnes malades d’origine afro-américaine ou latino-américaine, qui attendent en moyenne sensiblement plus longtemps que les personnes blanches pour obtenir un don. À plus forte raison, dit-elle, dans un contexte où ces groupes minoritaires sont particulièrement touchés par les problèmes de surincarcération.

De nombreux internautes ont fustigé l’intervention de Mme Garcia en relevant que le projet de loi était « dégoûtant » et constituait une atteinte inacceptable à la « dignité humaine ».

Carlos Gonzalez, autre élu soutenant l’initiative, a indiqué qu’il avait été inspiré par la situation d’un ami, père de trois enfants, en attente d’un don de rein.

Il a indiqué au site Boston. com que l’élargissement du bassin potentiel de donneurs augmenterait la probabilité que les personnes issues de minorités qui attendent un organe reçoivent les soins critiques dont ils ont besoin.

« Bien intentionnés »

Brendan Parent note que les législateurs semblent « bien intentionnés », mais n’ont visiblement pas envisagé attentivement les enjeux éthiques soulevés par leur proposition.

Leur projet de loi, estime M. Parent, est d’autant plus problématique que les détenus ne reçoivent généralement pas des soins de santé de qualité et sont peu susceptibles d’être pris en charge de manière adéquate en cas de greffe d’organe, une intervention chirurgicale délicate.

Il ne s’agit pas de la première fois qu’un État américain jongle avec un scénario de ce type puisque la Caroline du Sud avait étudié un projet de loi similaire, en 2007, qui n’a jamais été approuvé.

Austin Sarat note que quelques États américains permettent aux détenus de signifier leur volonté de donner leurs organes après leur mort.

C’est le cas notamment, dit-il, de l’Utah et du Texas, qui interdit expressément toute forme de compensation pour une telle décision, y compris sous forme de « traitement préférentiel » de la part des autorités carcérales.

La vaste majorité des États ne permettent cependant aucun don d’organe de détenus, relève M. Sarat, qui se réjouit de constater que les élus du Massachusetts ont évoqué récemment leur intention de revoir le projet de loi pour retirer les éléments éthiquement « dangereux » qu’il contient.

L’élimination de la possibilité de réductions de peine, si elle se concrétise, ne doit pas faire oublier les problèmes posés par la piètre qualité des soins de santé offerts aux détenus, ajoute l’analyste, qui doute de la possibilité que le projet de loi soit ultimement adopté.