(New York) Après plusieurs jours d’un silence presque complet sur les engins volants dont tout le monde a jasé, Joe Biden a fini par en parler à son tour jeudi. S’adressant à la nation américaine de la Maison-Blanche, il a tenté d’éteindre au moins l’un des deux feux provoqués par ces intrusions dans le ciel nord-américain, celui qui relève de la politique intérieure.

L’autre feu, qui menace les relations entre les États-Unis et la Chine, devra faire l’objet d’une démarche distincte, selon le président américain. Ce dernier a annoncé son intention de s’entretenir bientôt avec son homologue chinois Xi Jinping pour dénoncer la violation de l’espace aérien américain par le ballon chinois qui a volé pendant plusieurs jours au-dessus de son pays.

Tout au long de cet épisode, les États-Unis et la Chine ont confirmé leur difficulté à discerner leurs intentions respectives, situation qui survient au moment même où les deux puissances militaires et économiques tentaient d’améliorer leurs relations.

Jusqu’à jeudi, Joe Biden n’avait fait aucun commentaire direct ou substantiel concernant le ballon chinois ou les trois autres engins qui ont également été abattus.

Lors d’une brève allocution, il a d’abord tenté de rassurer les Américains sur la nature bénigne, à première vue, de ces trois appareils.

« L’opinion actuelle de la communauté du renseignement est que ces trois objets étaient très probablement des ballons liés à des entreprises privées, des institutions de loisirs ou de recherche étudiant la météo ou menant d’autres recherches scientifiques », a déclaré le chef de la Maison-Blanche.

Il a ajouté que rien ne permettait de croire à une hausse soudaine du nombre d’objets dans le ciel. « Nous en voyons maintenant tout simplement plus, en partie grâce aux mesures que nous avons prises pour améliorer nos radars », a-t-il dit, tout en affirmant avoir donné le feu vert à la destruction des engins « par excès de prudence ».

« Je ne m’excuse pas »

Les critiques de l’administration Biden avaient déploré son manque de transparence concernant la nature des engins abattus et réclamé de nouvelles directives sur la façon de gérer des situations semblables à l’avenir. Le président a annoncé trois mesures en ce sens, la première étant la création d’un meilleur inventaire des objets aériens non habités dans l’espace au-dessus du territoire américain.

Il a par ailleurs rejeté les critiques, tant républicaines que démocrates, sur la façon dont il a géré l’affaire du ballon chinois, abattu le 4 février dernier au large de la Caroline du Sud après avoir survolé le territoire américain pendant plusieurs jours.

« J’espère que nous allons aller au fond de cette affaire. Mais je ne m’excuse pas d’avoir abattu ce ballon », a déclaré Joe Biden.

Quand est venu le temps d’évoquer l’autre feu provoqué par le ballon chinois, le président a réitéré que les États-Unis cherchaient « la compétition, pas le conflit », avec la Chine. « Nous ne cherchons pas une nouvelle guerre froide », a-t-il précisé.

Erreur de calcul

Joe Biden aura l’occasion de répéter ce message lors de son entretien éventuel avec Xi Jinping. En attendant, des responsables de son administration ont présenté à certains médias, sous le couvert de l’anonymat, une version plus détaillée des évènements qui ont mené à la destruction du ballon chinois.

Cette version donne à penser que les dirigeants chinois ont mal jugé la façon dont les États-Unis réagiraient à la violation de leur espace aérien.

Selon des comptes rendus publiés par le New York Times et le Washington Post, entre autres, les renseignements et les militaires américains ont suivi la trajectoire du ballon dès son décollage du Hainan, île du sud de la Chine.

Cette trajectoire devait conduire le ballon au-dessus d’un territoire américain, Guam, et d’un État américain, Hawaii, situés dans le Pacifique, où la Chine a déjà mené de brèves opérations de surveillance par le passé, selon des sources américaines.

Or, la trajectoire du ballon a changé soudainement, prenant un virage inattendu vers le nord. Ce virage fait croire aux Américains que la Chine ne prévoyait pas de pénétrer le cœur des États-Unis avec son ballon, sur lequel ses opérateurs avaient un contrôle limité. Ceux-ci auraient cependant pu le détruire en plein vol avant qu’il ne pénètre l’espace aérien américain.

La Chine n’a rien fait

Qu’à cela ne tienne : selon le récit américain, la Chine est restée insensible à une démarche effectuée par les deux plus hauts diplomates des États-Unis – le secrétaire d’État Antony Blinken et son adjointe, Wendy Sherman –, auprès de son gouvernement, le 1er février dernier. Le message de M. Blinken et de Mme Sherman aux Chinois se résumait ainsi, en substance : « Faites quelque chose avec votre ballon. »

La Chine n’a rien fait, laissant le ballon poursuivre sa course. Plus de 24 heures plus tard, et une demi-journée après que le Pentagone eut confirmé la présence du ballon dans l’espace aérien américain, la Chine a informé l’administration américaine en privé que le ballon n’était qu’un engin civil sans importance qui avait dévié de sa course. Elle allait répéter plus tard ce message en public.

L’administration Biden a réagi en annonçant l’annulation du séjour en Chine que devait effectuer Antony Blinken.

Après la tempête politique provoquée aux États-Unis par son ballon, la Chine a envoyé un autre message privé à l’administration Biden, l’avisant qu’elle tenterait d’accélérer la course de l’engin pour le faire sortir plus rapidement de l’espace aérien américain.

Ce message a été transmis au moment où le ballon s’apprêtait à survoler l’océan Atlantique, où il a été abattu.

Depuis, la Chine multiplie les accusations à l’endroit des États-Unis, affirmant qu’ils auraient eux-mêmes envoyé des ballons de surveillance dans l’espace aérien de la Chine, notamment au-dessus du Tibet et du Xinjiang.

Les spécialistes de la Chine voient dans ces accusations un effort de Pékin destiné à détourner les critiques concernant ses ballons de surveillance.

L’appel de M. Biden à M. Xi ne viendra pas trop tôt.