(New York) En bras de chemise la plupart du temps, le menton relevé et le physique nerveux d’un homme qui s’entraîne encore six jours par semaine, Jim Jordan donne l’impression de vouloir en découdre à tout moment.

Âgé de 58 ans et élu pour la première fois à la Chambre des représentants en 2006, le républicain d’Ohio cultive sans doute cette image à dessein. Après tout, le corps-à-corps est quasiment dans son ADN.

Car, bien avant de se lancer en politique, ce fils d’une région agricole du Buckeye State s’est fait connaître comme champion de lutte. Il a remporté pas moins de quatre titres d’État au secondaire, subissant une seule défaite en 151 combats, et deux titres nationaux à l’université, dont l’un contre un futur médaillé d’or olympique.

Allié indéfectible de Donald Trump et invité régulier de Fox News, Jim Jordan est aujourd’hui l’homme fort de la Chambre, n’en déplaise à Kevin McCarthy, dont il sera question plus loin.

Si les républicains finissent par entamer une procédure de destitution contre Joe Biden ou un autre membre de son administration, ce que certains de ses collègues réclament déjà, Jim Jordan mènera la charge à titre de président de l’importante commission judiciaire de la Chambre.

En fait, il a déjà lancé sa première enquête, vendredi dernier, quelques jours à peine après avoir été confirmé à son nouveau poste. Celle-ci ne portera pas seulement sur la « mauvaise gestion » de documents classés confidentiels par le président démocrate, mais également sur l’enquête du ministère de la Justice sur cette affaire qui embarrasse la Maison-Blanche.

« Les actions du ministère ici semblent s’écarter de la façon dont il a agi dans des circonstances similaires », a écrit Jim Jordan dans une lettre adressée au procureur général des États-Unis, Merrick Garland.

Traduction : contrairement à Donald Trump, Joe Biden n’a pas eu à subir l’affront d’une perquisition de son domicile par le FBI.

Sur Twitter, Jim Jordan a simplifié encore davantage les choses après l’annonce de la découverte d’une deuxième série de documents confidentiels dans le garage de la résidence de Joe Biden à Wilmington : « Où est le raid ? »

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, ARCHIVES REUTERS

Jim Jordan

La question illustre à la fois la manière et l’objectif de Jim Jordan. D’abord, un rappel : le FBI a exécuté à Mar-a-Lago un mandat de perquisition approuvé par un juge et non un « raid ».

Ensuite, cette perquisition découlait du refus de Donald Trump de rendre tous les documents confidentiels que réclamaient depuis plusieurs mois les Archives nationales et le ministère de la Justice.

À l’opposé, Joe Biden coopère avec le ministère de la Justice après avoir découvert et rendu des documents confidentiels qu’on ne lui avait pas réclamés.

Mais Jim Jordan n’a jamais fait dans la nuance.

Et sa première enquête s’inscrit parfaitement dans un de ses plus chers projets, qui a vu le jour la semaine dernière. Lors d’un vote strictement partisan, la Chambre a adopté une résolution créant une « commission spéciale sur l’instrumentalisation [weaponization en anglais] » des agences fédérales.

Présidée par Jim Jordan, cette commission enquêtera donc sur la manière dont « l’exécutif collecte des informations sur les citoyens américains, y compris dans des enquêtes pénales en cours ».

Jim Jordan et d’autres républicains ont comparé cette commission à celle que le Sénat a créée en 1975 pour enquêter sur les abus véritables et troublants de la CIA, de la NSA et du FBI, entre autres agences fédérales.

Pour mémoire : 82 sénateurs sur 86 avaient voté en faveur de la résolution créant ce qui allait être connu sous le nom de commission Church.

La nouvelle commission spéciale de la Chambre ne s’engage pas sur la même voie bipartisane. Des démocrates ont estimé que son principal objectif était de miner ou d’entraver les enquêtes pénales du ministère de la Justice et du FBI visant Donald Trump et ses alliés, dont certains siègent à la Chambre.

Des historiens, eux, ont exprimé la crainte d’une répétition de la commission dirigée dans les années 1950 par le sénateur Joseph McCarthy. Ce dernier, grand complotiste devant l’Éternel, avait lancé une enquête sensationnelle en alléguant faussement que des centaines de communistes s’étaient infiltrés dans le département d’État et d’autres agences fédérales.

Jim Jordan rejette les critiques en bloc. Il a notamment évoqué la semaine dernière « les dizaines de lanceurs d’alerte » qui auraient contacté le personnel républicain de la commission judiciaire de la Chambre pour témoigner de la politisation des agences fédérales.

Chose certaine, la création de la commission spéciale est l’une des concessions majeures qui ont permis à Kevin McCarthy de s’assurer l’appui de Jim Jordan et de plusieurs autres membres du Freedom Caucus, ce groupe d’environ 40 représentants ultraconservateurs.

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Jim Jordan discute avec Matt Gaetz, également membre du Freedom Caucus, en marge du long scrutin pour élire le président de la Chambre des représentants, qui s’est échelonné sur plusieurs jours.

En 2015, Jim Jordan a été l’un des cofondateurs du Freedom Caucus avec son collègue et ami de Caroline du Nord, Mark Meadows, qui allait devenir le dernier chef de cabinet de la Maison-Blanche sous Donald Trump.

Il y a huit ans, Jordan, Meadows et leur nouveau groupe avaient forcé à la démission le président républicain de la Chambre de l’époque, John Boehner, et contribué à torpiller la candidature d’un de ses successeurs potentiels, Kevin McCarthy.

Huit ans plus tard, Kevin McCarthy doit en très grande partie à Jim Jordan d’avoir été élu à la présidence de la Chambre des représentants. En retour, Jordan a désormais toute la liberté dont il rêvait pour mener ses combats.