Une vive controverse sévit aux États-Unis, où une enseignante d’université a perdu sa charge de cours après avoir montré dans une classe d’histoire de l’art des tableaux du prophète Mahomet datant de l’époque médiévale. Un acte qualifié « d’islamophobe » par l’université.

La polémique a débuté en octobre dernier à l’Université d’Hamline, située dans l’État du Minnesota, dans le nord des États-Unis. La chargée de cours en histoire de l’art Erika Lopez Prater a montré en classe l’une des plus anciennes illustrations d’histoire islamique au monde, a rapporté le New York Times. L’image montrant le prophète Mahomet se trouve dans une série de chroniques du XIVsiècle réalisées par Rashid-al-Din (1247-1318). Un autre tableau du XVIsiècle montrant le prophète voilé a aussi été affiché.

Sachant le sujet sensible – l’islam, dans son interprétation stricte, interdit toute représentation du prophète Mahomet –, Mme Lopez Prater avait informé au préalable ses étudiants, les invitant à quitter la salle s’ils préféraient ne pas y être exposés.

Personne ne s’y est opposé. Puis, à la fin du cours, une étudiante, présidente de l’Association étudiante musulmane de l’université, lui a fait part de son malaise, avant de faire une plainte officielle.

« J’étais comme : ‟ça ne peut pas être vrai » », a témoigné cette étudiante à l’Oracle, le journal étudiant de l’université. « En tant que musulmane et personne noire, je n’ai pas l’impression d’avoir ma place, et je ne crois pas que je la trouverai un jour dans cette communauté si ses membres ne m’estiment pas, et s’ils ne font pas preuve à mon égard du même respect que je leur porte. »

Contrat non renouvelé 

La charge de cours d’Erika Lopez Prater n’a pas été renouvelée à la suite de la controverse, malgré ses excuses.

« Le respect pour les étudiants observant la foi musulmane dans cette classe aurait dû supplanter la liberté de l’enseignement », a estimé la présidente de l’université, Fayneese Miller, dans un courriel cité par le New York Times.

L’évènement a aussi été qualifié « d’islamophobe » par l’université.

Le 4 janvier, la polémique est sortie des murs de l’établissement pour trouver une résonance nationale quand l’association de défense des libertés civiles FIRE a déposé une plainte auprès d’un conseil de l’enseignement supérieur américain.

« Si un professeur d’histoire de l’art ne peut pas montrer à des étudiants d’université une œuvre d’art essentielle de peur que des étudiants ou un groupe offensés puissent le faire renvoyer, alors il n’y a aucune garantie de liberté de l’enseignement dans cet établissement et aucun engagement envers l’enseignement supérieur », a réagi de son côté l’association Academic Freedom Alliance dans un courrier à l’université exigeant la réintégration immédiate d’Erika Lopez Prater.

Une pétition sur le site Change. org en soutien à l’universitaire et réclamant une enquête a recueilli plus de 7600 signatures depuis le 24 décembre.

Un tabou qui n’a pas toujours existé

La controverse n’est pas sans rappeler l’affaire de la professeure Verushka Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa, en octobre 2020. Cette enseignante avait aussi été suspendue après avoir prononcé le mot qui commence par un N devant une classe d’art féministe, provoquant un débat pancanadien sur la liberté universitaire.

« La spécificité par rapport à l’affaire d’Ottawa, c’est qu’ici il y a une dimension religieuse », souligne Rachad Antonius, sociologue spécialiste des sociétés arabo-musulmanes à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les gens qui agissent par rapport à leur religion, pour eux, c’est absolu, c’est Dieu. Ça rend leur position non négociable.

Rachad Antonius, sociologue spécialiste des sociétés arabo-musulmanes à l’UQAM

À son sens, la position de l’étudiante qui a déposé la plainte fait écho à une idéologie plus « conservatrice » et à « l’extrême droite » de l’islam – soit le wahhabisme –, très présent dans le monde musulman depuis une cinquantaine d’années. « L’un des aspects de cette idéologie-là, c’est qu’on ne doit absolument pas faire de photo ou de sculpture du prophète, parce que c’est de l’idolâtrie, explique M. Antonius. Et que cette croyance ne doit pas être contredite publiquement. »

Or, le fait que des tableaux du prophète existent depuis l’époque médiévale montre bien que le tabou n’a pas toujours existé de cette façon, affirme le spécialiste, qui a copublié en janvier un nouvel ouvrage intitulé Islam et islamisme en Occident.


Une vision partagée par Muriel Gomez-Perez, historienne et spécialiste du monde musulman à l’Université Laval. « Ces incidents sont révélateurs de la non-connaissance de l’histoire des arts islamiques et de la montée et de l’influence du wahhabisme à partir du XIXsiècle et encore plus au cours du XXsiècle », a-t-elle indiqué par courriel.

La représentation du Prophète se voit notamment dans les arts mogols et ottomans, à partir du milieu du XIIIsiècle, de l’Andalousie à la Perse, chez les Mongols Ilkanides et chez les Ottomans.

Muriel Gomez-Perez, historienne et spécialiste du monde musulman à l’Université Laval

Le problème, selon M. Antonius, est que les adeptes de l’idéologie wahhabite ne veulent pas seulement imposer cette norme à eux-mêmes, mais aussi aux autres. « C’est pour ça que la réaction de l’université est honteuse », assène-t-il.

Avec l’Agence France-Presse

Écho douloureux en France

En France, un professeur d’histoire-géographie avait été poignardé puis décapité près de son collège en 2020 par un jeune homme de 18 ans, radicalisé, qui lui reprochait d’avoir montré en classe des caricatures de Mahomet.

L’attentat avait bouleversé un pays déjà fragilisé depuis le début de la décennie par une vague d’attaques djihadistes, et relancé les débats passionnels autour de la liberté d’expression, de la religion, de la laïcité et du droit de blasphémer.