Le gouvernement américain s’inquiète du fait qu’une firme contrôlée par un membre de la famille royale saoudienne figure parmi les principaux actionnaires de Twitter après l’acquisition de l’entreprise par l’homme d’affaires Elon Musk.

L’administration du président Joe Biden craint que la situation permette au régime du prince héritier Mohammed ben Salmane d’accéder à des informations confidentielles facilitant l’identification et la persécution de dissidents.

Des élus se demandent par ailleurs s’il sera plus facile désormais pour Riyad de mener des campagnes de propagande ou de faire censurer des informations jugées contraires à ses intérêts sur le réseau social, en plein chambardement.

 Nous devrions nous alarmer que les Saoudiens, qui souhaitent manifestement réprimer le discours politique et influencer la vie politique américaine, soient désormais le second actionnaire en importance [de Twitter].

Chris Murphy, sénateur démocrate

L’élu du Connecticut a déclaré qu’il était impératif que le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), qui regroupe une dizaine d’agences gouvernementales, se penche sur la vente de Twitter afin de déterminer si elle représente un risque pour la sécurité nationale.

Un autre sénateur démocrate, Ron Wyden, a déclaré qu’il était crucial pour le gouvernement de protéger les données des Américains contre des « gouvernements étrangers meurtriers », en rappelant au passage le rôle allégué par la CIA de Mohammed ben Salmane dans l’organisation du meurtre sordide du journaliste Jamal Khashoggi, en 2018.

Selon le Washington Post, le département du Trésor a contacté Twitter au cours des derniers jours pour obtenir plus de détails sur la nouvelle structure de l’entreprise et l’existence d’ententes confidentielles liant M. Musk aux investisseurs étrangers ayant soutenu la transaction.

Le plus important de ces investisseurs est le prince saoudien Al-Walid ben Talal, qui s’est félicité il y a quelques jours d’être devenu le « second actionnaire » de Twitter en transférant une participation préexistante d’une valeur de deux milliards de dollars détenue par Kingdom Holding dans la nouvelle société privée.

Structure changeante

Selon Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, il n’y a rien d’illogique pour les États-Unis de s’alarmer de la situation, même si les capitaux saoudiens étaient déjà présents par le passé dans l’entreprise.

« La présence saoudienne n’a pas changé, mais Twitter oui. Est-ce que la nouvelle structure va amplifier les risques de dérapage ? », demande l’analyste, qui s’inquiète notamment de voir qu’Elon Musk souhaite réduire sensiblement le personnel.

Est-ce que les Saoudiens vont avoir accès formellement ou informellement à plus d’informations sensibles sur les utilisateurs de Twitter ? S’il y a moins de rigidité dans la structure, les contrôles risquent d’être moins efficaces et ça ouvre la porte à des opérations clandestines par Riyad.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa

Un ex-employé de Twitter détenant les citoyennetés américaine et libanaise a été jugé coupable en août aux États-Unis d’avoir fourni des informations sur les comptes anonymes de dissidents à un proche conseiller de Mohammed ben Salmane. Un autre ex-employé ciblé pour des pratiques similaires s’est enfui en Arabie saoudite avec toute sa famille en 2015 et a reçu un poste dans une fondation liée au prince héritier.

Al-Walid ben Talal moins puissant qu’avant

Les liens existants entre Al-Walid ben Talal et Riyad sont de nature à alimenter les inquiétudes américaines, note M. Juneau.

Le richissime ressortissant saoudien a longtemps mené une vie flamboyante, multipliant les investissements et les déplacements à l’étranger, avant d’être ciblé il y a cinq ans par le régime saoudien dans le cadre d’une purge anticorruption qui l’a privé d’une partie substantielle de sa fortune.

« Il a beaucoup moins de marge de manœuvre par rapport à Mohammed ben Salmane qu’il n’en avait par le passé », souligne l’universitaire.

Sarah Bauerle Danzman, professeure associée à l’Université d’Indiana, qui connaît bien le fonctionnement du CFIUS, note qu’il peut se pencher sur des transactions ciblant des entreprises d’importance stratégique même si l’investisseur étranger ne devient pas l’actionnaire de contrôle.

Le président Biden a souligné dans un récent décret que le comité devait accorder une attention particulière aux acquisitions susceptibles d’affecter la protection des données personnelles de la population américaine.

Bien que le blocage de la vente de Twitter soit en théorie possible, il est plus probable que les membres du comité recommandent au besoin des mesures limitées visant à garantir que les investisseurs saoudiens ne puissent avoir un accès inapproprié aux données, relève Mme Bauerle Danzman.

Des investissements étrangers moins importants venant du Qatar et d’une firme d’origine chinoise pourraient aussi être évalués dans le processus.

Ces interrogations quant à l’impact de la vente de Twitter en matière de sécurité nationale surviennent alors que les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sont particulièrement tendues.

Le président américain, qui avait juré de faire de Mohammed ben Salmane un « paria » en raison de l’affaire Khashoggi, est revenu sur sa promesse et l’a rencontré durant l’été dans l’espoir, finalement vain, de le convaincre de rehausser la production pétrolière du pays et de faire chuter le prix de l’essence.