(New York) Le 5 janvier 2020, Nury Martinez, née dans la vallée de San Fernando de parents originaires du Mexique, a écrit une page d’histoire en devenant la première Latina à occuper de plein titre le poste de président du conseil municipal de Los Angeles.

Le 12 octobre 2022, cette politicienne démocrate à qui l’on prêtait l’ambition de briguer la mairie de la deuxième ville des États-Unis a été forcée de démissionner de son poste, dont elle aura sans doute été l’une des titulaires les plus racistes.

Entre les deux dates, les citoyens de Los Angeles — et ceux du reste des États-Unis — ont été confrontés à une réalité souvent ignorée ou camouflée : le racisme anti-Noirs de certains Latinos.

Rappelons les faits : le 9 octobre dernier, le Los Angeles Times publie l’enregistrement d’une rencontre remontant à 2021 et à laquelle participent Nury Martinez, deux de ses collègues latinos du conseil municipal et le chef d’un syndicat local, qui est également latino.

Durant la rencontre, Mme Martinez tient les propos les plus racistes et vulgaires. Elle utilise les mots « petit singe » en espagnol pour parler d’un enfant noir adopté par un conseiller municipal blanc.

Elle pourfend le procureur de Los Angeles, George Cascón, un Latino d’origine cubaine, en disant : « Qu’il aille se faire foutre, il est avec les Noirs. »

Elle manifeste du mépris pour les migrants indigènes d’Oaxaca, État situé dans le sud-ouest du Mexique, qui vivent en grand nombre à Koreatown, quartier populaire de Los Angeles. Ils sont « laids », dit-elle après les avoir décrits comme des gens de petite taille à la peau foncée.

PHOTO RINGO H.W. CHIU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des autocollants ont été apposés en guise de protestation sur les portraits de Gil Cedillo et Nury Martinez, à l’entrée de la salle où se réunissent les élus.

Pendant la rencontre, les interlocuteurs de Mme Martinez — tous des démocrates — ne se formalisent pas de ses propos racistes. Ils tiennent eux-mêmes un discours douteux sur les juifs et les Arméniens. L’un des conseillers municipaux se moque également de l’enfant noir de son collègue blanc, qui est gai, en affirmant qu’il le tient comme s’il s’agissait d’un « sac Louis Vuitton ».

Le contexte de ce dégobillage est important. Les quatre participants discutent du redécoupage des circonscriptions municipales qui a lieu tous les dix ans après le recensement. Leur objectif est d’augmenter la représentation et le pouvoir des Latinos au sein du conseil municipal, et ce, au détriment des Noirs.

Cet objectif est lié à l’évolution démographique de Los Angeles. Les Latinos représentent aujourd’hui près de la moitié de la population de la ville, alors que les Noirs ne sont plus que 8,8 %. Or, les Latinos ne détiennent que 4 des 15 sièges du conseil municipal, soit seulement un de plus que les Noirs.

En public, Nury Martinez et ses collègues latinos se targuent d’être les alliés de la communauté afro-américaine. Après le meurtre de George Floyd à Minneapolis, la présidente du conseil municipal a elle-même annoncé une réduction du budget de la police, affichant ainsi sa solidarité avec le mouvement Black Lives Matter.

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Veronica Sance participait mardi dernier à un rassemblement devant l’hôtel de ville de Los Angeles pour demander la démission des élus qui ont tenu des propos racistes.

En privé, c’est évidemment une autre histoire. Une histoire à laquelle les Latinos ne peuvent plus se dérober, selon Tanya Kateri Hernández, professeure de droit à l’Université Fordham, à New York.

Fin août, Mme Hernández a fait paraître Racial Innocence, un livre sur les préjugés anti-Noirs de certains Latinos. L’« innocence raciale » à laquelle le titre de cet ouvrage fait référence est une forme de déni collectif. Les Latinos se croiraient à tort « immunisés » contre le racisme en raison de leur propre appartenance à des cultures mixtes sur le plan racial.

Selon Mme Hernández, le racisme des Latinos prend souvent la forme du colorisme, concept qui désigne la différence de traitement social entre les personnes à la peau claire et les personnes à la peau sombre.

L’auteure de Racial Innocence ne croyait pas que la présidente du conseil municipal de Los Angeles lui permettrait d’illustrer de façon aussi frappante ce qu’elle dénonce dans son livre, à savoir la « complicité des Latinos dans le racisme américain ».

Cette complicité n’est sans doute pas unique à la communauté latino. Dans une certaine mesure, elle est également présente au sein même de la communauté afro-américaine. La droite se plaît d’ailleurs à dénoncer le racisme anti-Blancs des Noirs qui se réclament de la théorie critique de la race ou qui insistent trop sur le passé raciste des États-Unis.

La gauche réplique en affirmant que la présence du racisme au sein de certains groupes minoritaires est tout simplement un produit du suprémacisme blanc, et ne diffère guère de ce que l’on pouvait observer en Afrique du Sud au temps de l’apartheid.

Mais ce débat n’est pas le plus pressant à Los Angeles, où de nombreux Latinos se sont joints à leurs concitoyens de toutes les origines ethniques pour réclamer la démission de Nury Martinez et de ses collègues du conseil municipal, Gil Cedillo et Kevin de León.

Los Angeles doit aujourd’hui tenter de panser ses blessures. Blessures dont Nury Martinez ne semblait pas encore avoir mesuré la profondeur en annonçant sa démission.

« À toutes les petites Latinas de cette ville, j’espère que je vous ai inspirées à rêver au-delà de ce que vous pouvez voir », a dit l’ancienne présidente du conseil municipal.