(Washington) Les juges de la Cour suprême des États-Unis ont exposé mardi leurs différends sur la question raciale lors de l’examen d’une carte des circonscriptions dans l’État de l’Alabama accusée de diminuer l’influence des électeurs noirs, qui penchent vers les démocrates.

Le dossier suscite beaucoup d’attention, car la haute juridiction, à majorité conservatrice, pourrait en profiter pour rogner la portée de la grande loi sur les droits civiques de 1965, qui a entravé les efforts des anciens États ségrégationnistes pour priver les Afro-Américains du droit de vote.

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« Le Voting Rights Act est l’un des grands progrès de notre démocratie […] et vise à assurer que les Afro-Américains aient le même pouvoir politique que les Américains blancs », a rappelé la juge progressiste Elena Kagan, en regrettant qu’il ait déjà été affaibli à deux reprises par la haute cour.  

« Que va-t-il en rester ? » après ce nouveau dossier, s’est-elle demandé.

Concrètement, celui-ci porte sur une carte redessinée en 2021 par les élus républicains de l’Alabama pour attribuer les sièges à la Chambre des représentants. Selon le découpage retenu, les électeurs noirs – qui représentent 27 % de la population – sont majoritaires dans une seule des sept circonscriptions et disséminés dans les six autres.

Or, en Alabama comme dans plusieurs États du Sud, les Afro-Américains votent majoritairement démocrates et les électeurs blancs, républicains. La nouvelle carte est donc soupçonnée de favoriser le parti républicain.

Pour la faire invalider, des citoyens et des associations avaient saisi la justice en accusant les législateurs d’avoir violé le « Voting Rights Act » qui interdit de diluer le vote des Afro-Américains.

Pour eux, la nouvelle carte passe au milieu d’une région majoritairement noire, la « Black Belt », et la coupe en deux. Ils estiment que l’Alabama aurait dû créer une seconde circonscription à majorité noire.

« Pas aveugle »

En début d’année, un tribunal de première instance leur avait donné raison et ordonné aux élus locaux de rendre une nouvelle copie. Les autorités républicaines s’étaient alors tournées en urgence vers la Cour suprême.

En février, cinq des neuf sages de la prestigieuse institution les ont autorisées à conserver le découpage de 2021 pour l’instant – et donc pour les élections de mi-mandat en novembre – tout en reportant à plus tard l’examen du dossier sur le fond.

Celui-ci a eu lieu mardi et duré près de deux heures, dans une Cour suprême tout juste rouverte au public, et a donné lieu à de vifs échanges.

Au-delà du débat sur sa carte, l’Alabama a plaidé par la voix de son avocat que la Constitution des États-Unis interdisait de prendre en compte des critères ethniques lors des découpages électoraux. Le juge conservateur Samuel Alito a semblé soutenir l’idée, en insistant à plusieurs reprises sur l’importance d’avoir « des cartes neutres sur le plan racial ».

La juge afro-américaine Ketanji Brown Jackson, qui siège depuis lundi seulement à la Cour suprême, a vivement contesté cette lecture. Pour elle, le principe d’égalité entre tous les Américains « n’est pas un concept auquel la question raciale est étrangère » et a été adopté après l’affranchissement des anciens esclaves « pour assurer que des gens victimes de discriminations dans le passé […] soient traités comme des égaux ».

L’avocat général de l’Alabama, Edmund LaCour, a rétorqué que ce principe « interdisait les actions discriminatoires de la part des États, mais n’était pas une obligation de mener des actions de discrimination positive ».

Cet échange préfigure d’autres débats à venir : la Cour suprême doit examiner à la fin du mois d’octobre les programmes mis en place dans les universités américaines pour favoriser la mixité ethnique, jugés discriminatoires envers les étudiants blancs par les républicains.

Elle doit rendre toutes ces décisions avant le 30 juin.