(New York) « Dieu nous appelle à prendre l’épée et à combattre, et le Christ régnera dans l’État de l’Idaho. »

Quelques jours avant les primaires de l’État dont elle est la lieutenante-gouverneure, Janice McGeachin a lancé cette prophétie, espérant convaincre les électeurs républicains de la choisir comme candidate au poste de gouverneur.

Malgré cet appel et l’appui de Donald Trump, Mme McGeachin s’est inclinée devant le gouverneur républicain sortant, Brian Little, le 17 mai dernier. Mais l’élue de l’Idaho demeure à l’avant-garde d’un mouvement politico-religieux qui a pour objectif d’établir le royaume de Dieu aux États-Unis et d’instituer les valeurs chrétiennes comme partie intégrante des politiques américaines.

Ce mouvement, dont les adhérents se défendent de vouloir créer une théocratie, a connu son plus grand succès électoral le même jour lorsque le sénateur d’État de Pennsylvanie, Doug Mastriano, a remporté la primaire républicaine de son État pour le poste de gouverneur.

En novembre, nous allons reprendre notre État ; mon Dieu fera en sorte qu’il en soit ainsi.

Doug Mastriano, sénateur d’État de Pennsylvanie et allié de Donald Trump, le soir de sa victoire

« Choisissons ce jour pour servir le Seigneur », a-t-il ajouté en faisant référence au 8 novembre 2022, date des élections de mi-mandat.

Doug Mastriano refuse d’être lié au nationalisme chrétien, l’idéologie qui l’anime tout autant que Janice McGeachin et leurs partisans les plus convaincus, selon les experts. Mais il n’hésite pas à qualifier de « mythe » un des piliers de la démocratie américaine, à savoir la séparation de l’Église et de l’État, dont le premier amendement de la Constitution se veut la garantie.

Récemment, la représentante républicaine du Colorado, Lauren Boebert, a résumé à sa façon la pensée des nationalistes chrétiens sur ce principe défini par deux des plus importants Pères fondateurs, Thomas Jefferson et James Madison.

L’Église est censée diriger le gouvernement ; le gouvernement n’est pas censé diriger l’Église. J’en ai marre de cette séparation de l’Église et de l’État à la con.

Lauren Boebert, représentante républicaine du Colorado, devant les fidèles d’une église d’Aspen

Lauren Boebert a été ovationnée.

Moins nombreux, plus fervents

Le nationalisme chrétien a toujours été marginal aux États-Unis. Selon une enquête menée en 2017 par les sociologues Andrew Whitehead et Samuel Perry, un Américain sur cinq approuve les fondements de cette idéologie, qui prête notamment aux États-Unis une mission divine et aspire à déclarer ce pays comme une nation chrétienne.

Une décennie plus tôt, un Américain sur quatre partageait ces idées. Or, ce que les nationalistes chrétiens ont perdu en nombre, ils l’ont gagné en ferveur et en violence, autant dans le discours que dans l’action.

Leur présence parmi les émeutiers du 6 janvier 2021 à Washington était vraisemblablement plus importante que celle des adeptes du mouvement complotiste QAnon ou des membres de groupes extrémistes.

Le sentiment religieux n’est d’ailleurs pas exclusif à l’un ou à l’autre de ces groupes. Avant de prendre d’assaut le Capitole, des Proud Boys et des Oath Keepers se sont agenouillés pour prier. Et le « chaman QAnon » a lui-même prononcé une prière bien sentie dans l’enceinte du Sénat.

Mais le plus grand changement tient sans doute au fait que ce mouvement marginal possède désormais dans la nouvelle majorité conservatrice de la Cour suprême une alliée dont la puissance et l’influence rendent possible l’atteinte de plusieurs de ses objectifs. Figurent parmi ceux-ci l’abolition du mariage entre personnes de même sexe et le retour de la prière dans les écoles publiques.

« Je suis heureuse que la [Cour suprême] ait décidé de me rejoindre parmi la FRANGE ! », a ironisé le 3 juillet dernier Kandiss Taylor, candidate républicaine au poste de gouverneur de Géorgie, sur ses divers réseaux sociaux, ajoutant en guise de conclusion son slogan électoral : « Jesus, Guns & Babies. »

Kandiss Taylor a publié ce message après les décisions de la Cour suprême mettant fin au droit constitutionnel à l’avortement, ouvrant la porte à un plus grand financement des écoles religieuses par l’État ainsi qu’au retour de la prière dans les écoles publiques.

« Une vision qui privilégie la tribu »

Au sein de la « frange » dont fait partie Mme Taylor, certains élus républicains ne se gênent pas pour se réclamer du nationalisme chrétien. La représentante de Géorgie Marjorie Taylor Greene fait partie de ce groupe. Elle voit dans cette idéologie une façon de combattre les « mondialistes » et les « mensonges » concernant l’identité de genre.

Dans The Flag and The Cross, leur tout nouveau livre, les sociologues Philip Gorski et Samuel Perry insistent sur le caractère « tribal » de ces « nationalistes chrétiens blancs » qui ont en commun, selon eux, des principes et des croyances antidémocratiques.

Ce sont des croyances qui, estimons-nous, reflètent un désir de restaurer et de privilégier les mythes, les valeurs, l’identité et l’autorité d’une tribu ethnoculturelle particulière.

Extrait du livre The Flag and The Cross des sociologues Philip Gorski et Samuel Perry

« Ces croyances s’additionnent pour former une vision qui privilégie la tribu. Et elles cherchent à remettre les autres tribus à leur place », soulignent-ils.

Aux yeux des sociologues, l’attachement de cette tribu aux armes à feu et au deuxième amendement n’est pas un hasard, même s’il peut sembler contradictoire eu égard au message de Jésus.