Enfermées et abandonnées dans une semi-remorque, au moins 51 personnes, vraisemblablement des migrants, sont mortes lundi au Texas, par une chaude journée d’été. Un drame appréhendé par les spécialistes en immigration, qui dénoncent des politiques très restrictives – et difficiles à changer dans le contexte clivé de la politique américaine.

Comment ce drame s’est-il produit ?

Lundi, un employé de la Ville de San Antonio a découvert 46 cadavres et 16 personnes encore en vie dans la caisse surchauffée d’une semi-remorque, après avoir entendu un appel à l’aide. Le bilan a grimpé à au moins 51 morts mardi, sans précision sur les circonstances des décès ajoutés au total. « Pour ceux d’entre nous qui travaillent sur le sujet, ce n’est pas inattendu », commente au téléphone Sarah Sherman-Stokes, professeure agrégée au programme sur les droits des immigrants et sur le trafic humain de l’Université de Boston.

Deux politiques sont particulièrement montrées du doigt par les experts pour expliquer les conditions périlleuses dans lesquelles les migrants traversent la frontière : « Rester au Mexique », officiellement appelée Protocoles de protection des migrants, et le Titre 42. La première, mise en place en 2019, consiste à retourner les demandeurs d’asile vers le Mexique en attendant l’examen de leur dossier. Le Titre 42 est lié à la pandémie de COVID-19 : datant de 1944, cette clause permet à la Santé publique, avec l’autorisation du président, de fermer l’accès au territoire en raison d’une maladie contagieuse.

Pourquoi ces politiques sont-elles dénoncées ?

Le droit à l’asile est reconnu aux États-Unis : une personne persécutée, dont les droits fondamentaux sont violés, peut s’y rendre et demander refuge. La requête est ensuite évaluée et doit être acceptée ou rejetée. Il est maintenant plus difficile pour les demandeurs d’asile de franchir cette étape. Depuis 2020, avec le Titre 42, les migrants mexicains, mais aussi du Guatemala, du Honduras et du Salvador, sont retournés au Mexique, en vertu d’une entente entre le gouvernement mexicain et son voisin américain. Comme il n’y a pas d’autres conséquences, certains multiplient les tentatives.

« Donc, pour les migrants de la semi-remorque, qui étaient principalement de ces quatre pays, la frontière est plus fermée que jamais, souligne au téléphone Aaron Reichlin-Melnick, directeur de politiques pour l’organisme American Immigration Council. S’ils essaient de traverser et qu’ils sont arrêtés, ils sont renvoyés au Mexique. C’est ce qui les pousse à prendre ces options de trafic dangereuses. » Parmi les migrants retrouvés dans le camion lundi, il y aurait au moins 22 Mexicains, 7 Guatémaltèques et 2 Honduriens, selon des informations transmises par l’Agence France-Presse.

À quels dangers les migrants clandestins font-ils face ?

Si les ressortissants d’autres pays d’Amérique centrale ou du Sud ne sont pas renvoyés vers le Mexique, les points d’entrée pour demander l’asile ne leur sont quand même pas ouverts, précise M. Reichlin-Melnick. « Ça les pousse à traverser la frontière et à se livrer à la police frontalière, explique-t-il. Mais c’est dangereux aussi, parce que plusieurs migrants qui traversent le Rio Grande, où le courant est fort, se sont noyés. » C’est d’ailleurs la première cause de mort pour les migrants de la région : 1750 personnes ont péri de cette façon depuis 2014, selon les chiffres répertoriés par l’Organisation mondiale pour les migrations, qui proviennent des médias et de sources officielles et médicales. D’autres sont victimes de violence. Joe Biden a réagi mardi en appelant à la lutte contre les passeurs, une « industrie criminelle qui brasse des milliards de dollars », a-t-il dit.

Est-ce que la frontière est plus ouverte depuis l’élection de Joe Biden ?

« Il n’y a aucun doute que le président Trump était plus ouvertement anti-immigration, plus ouvertement raciste, fait remarquer Mme Sherman-Stokes. Mais c’est aussi vrai que plusieurs des pires politiques de Trump ont continué sous l’administration Biden. » Depuis l’élection du président démocrate Joe Biden, l’arrivée de migrants clandestins a augmenté. Le gouverneur du Texas, le républicain Greg Abbott, a attribué les morts à la « politique mortelle d’ouverture des frontières » de Joe Biden. Une affirmation qui ne tient pas la route, estime l’avocate en immigration Kate Lincoln-Goldfinch, jointe à Austin, au Texas. « Ça n’a aucun sens, dit-elle. Si nos frontières étaient ouvertes, les migrants ne seraient pas morts dans la caisse d’un camion. »

L’administration Biden a tenté de révoquer la politique « Rester au Mexique » en janvier 2021, mais s’est heurtée à des contestations judiciaires menées par des républicains. La cause est actuellement entre les mains de la Cour suprême. L’administration a aussi tenté de lever la mesure du Titre 42 en mai dernier, mais là encore, une bataille judiciaire est en marche. « À mon avis, ces procédures offrent à l’administration Biden une couverture qu’elle recherche, parce qu’elle ne veut pas vraiment changer les politiques, estime MLincoln-Goldfinch. Si elle le voulait, elle se battrait, comme Trump l’a fait pour passer ses propres politiques. »

Avec l’Agence France-Presse