(Phoenix, Arizona) Brianna était enceinte de sept semaines quand elle a commencé à craindre de ne pas vivre jusqu’à la date de son accouchement. Elle a une trachée étroite, gravement cicatrisée par les opérations subies lorsqu’elle était enfant, et au fur et à mesure de sa grossesse, elle a commencé à avoir une respiration sifflante et à devoir faire des efforts pour respirer.

Elle n’avait pas prévu de tomber enceinte à 30 ans et a déclaré que son médecin l’avait avertie que la grossesse était à haut risque et pouvait menacer sa vie. Ce mois-ci, elle s’est empressée d’aller se faire avorter près de chez elle, à Phoenix, craignant que si la Cour suprême agissait avant elle, elle perde cette option.

« Je ne serais probablement pas arrivée à terme. Ou je serais morte », a déclaré Brianna, une aide-soignante qui a demandé à n’être identifiée que par son prénom. « Cela m’a certainement sauvé la vie. »

PHOTO CAITLIN O’HARA, THE NEW YORK TIMES

Brianna, aide-soignante de l’Arizona, a subi un avortement pour mettre fin à une grossesse à haut risque qui aurait pu menacer sa vie.

Qu'est-ce que l'arrêt Roe c. Wade ?

L'arrêt Roe c. Wade a été promulgué par la Cour suprême des États-Unis le 22 janvier 1973. Selon l'instance, le droit au respect de la vie privée, garanti par la Constitution, s'applique également à l'avortement.

En 1969, Norma McCorvey, connue sous le nom d'emprunt Jane Roe, est enceinte de son troisième enfant et souhaite se faire avorter. Les lois texanes ne lui permettant pas, elle demande aux avocates Linda Coffee et Sarah Weddington de la représenter. Les deux juristes transforment la cause en recours collectif. Au moment où trois juges d'une cour fédérale ont décrété que la loi texane était inconstitutionnelle, Norma McCorvey avait accouché et avait ensuite donné l'enfant en adoption. L'État du Texas a porté la décision en appel et c'est la Cour suprême qui a finalement statué qu'une femme pouvait mettre un terme à sa grossesse au premier trimestre sans ingérence de l'État.

Source : Britannica

Alors que l’on s’attend à ce que la Cour suprême renverse bientôt un précédent vieux de 50 ans et invalide le droit à l’avortement, des grossesses comme celle de Brianna, en danger en raison d’un état pathologique grave, deviennent des points de tension compliqués dans la lutte pour la santé des femmes.

L’Arizona fait partie d’une vingtaine d’États où l’avortement pourrait être interdit ou fortement restreint après l’intervention de la Cour suprême. Une loi centenaire, qui pourrait entrer en vigueur en cas d’annulation de l’arrêt Roe c. Wade, interdirait aux femmes de se faire avorter « sauf si cela est nécessaire pour sauver leur vie ». Une nouvelle interdiction des avortements après 15 semaines, promulguée en mars, prévoit une dérogation pour les urgences médicales.

Des exceptions similaires sont en place dans presque tous les États où l’avortement serait interdit. Pour les militants du droit à l’avortement, cependant, ces clauses sont trop restreintes — ou formulées de manière trop vague — et mettraient la vie des femmes en danger.

Les femmes ayant une grossesse à haut risque et leurs médecins se demandent déjà quelle barrière médicale elles doivent franchir pour justifier légalement un avortement.

La Dre Leilah Zahedi, médecin spécialiste de la médecine maternelle et fœtale au Tennessee, spécialisée dans les grossesses à risque et pratiquant des avortements, s’interroge : « Jusqu’à quel point une personne doit-elle être presque morte ? Dois-je me contenter de regarder quelqu’un se vider de son sang ? Ou fournir les soins et ensuite être dénoncée et aller en prison ? Je ne sais pas. »

Les opposants à l’avortement affirment que ces spéculations sont exagérées et que les médecins sont formés pour prendre chaque jour des décisions de vie ou de mort. Il est plus probable qu’ils se trompent en protégeant la mère plutôt que le fœtus, selon eux.

« L’exception sanitaire a permis que des avortements aient lieu jusqu’au moment de la naissance », a déclaré Cathi Herrod, présidente du Center for Arizona Policy, organisation conservatrice. « La vie de la mère va signifier empêcher la mort de la mère. »

PHOTO NANCY ANDREWS, THE NEW YORK TIMES

Tracee Miller cherche à obtenir un test plus définitif de son liquide amniotique pour déterminer si elle doit mettre fin à sa grossesse, mais elle a déclaré qu’elle ne peut pas obtenir le test dont elle a besoin avant d’être enceinte de 16 semaines, un stade de développement où l’avortement serait interdit dans de nombreux États.

Où tracer la ligne ?

La question peut être particulièrement compliquée dans le cas de grossesses dans lesquelles le fœtus a peu de chances de survivre. La poursuite de ces grossesses peut mettre en danger la santé de la femme, mais les médecins affirment que, dans de nombreux cas, les anomalies prénatales graves ne peuvent être confirmées qu’après le premier trimestre, lorsque la plupart des avortements seraient interdits dans ces États. Le fait d’être obligée de porter un bébé mourant jusqu’à son terme a non seulement des répercussions physiques, mais aussi sur la santé mentale de la femme et, selon certains médecins, peut mettre sa vie en danger.

Mais seuls cinq États où l’avortement est interdit et où les législateurs sont contrôlés par les républicains — la Caroline du Sud, la Louisiane, l’Utah, le Mississippi et la Géorgie — prévoient des exceptions pour les malformations fœtales fatales, selon le Guttmacher Institute, groupe de recherche qui soutient le droit à l’avortement. D’autres États ne font aucune exception pour les cas où la survie du fœtus est improbable. Et les lois de certains États, notamment l’Ohio et l’Arizona, interdisent spécifiquement les avortements pratiqués sur la base d’un diagnostic de trisomie 21 ou d’autres situations non mortelles.

Avant la décision de la Cour, les spécialistes de la médecine materno-fœtale se démènent pour comprendre les nouvelles normes floues en vigueur dans leurs États. Ils cherchent à déterminer ce qui constitue un avortement légalement autorisé dans une Amérique post-Roe. Une patiente atteinte d’un cancer fulgurant ? Une grossesse dans laquelle le fœtus a 10 % de chances de survivre hors de l’utérus ?

Il n’y a pas de ligne de démarcation claire en médecine ou en science qui dise : « OK, vous êtes officiellement en train de mourir », a déclaré le DJen Villavicencio, du Collège américain des obstétriciens et gynécologues.

Si les médecins évitent les avortements médicalement nécessaires parce qu’ils craignent que la loi ne soit pas claire, davantage de femmes mèneront des grossesses à haut risque à terme ou retarderont l’interruption de grossesse jusqu’à ce qu’elles puissent se rendre dans un autre État. Selon eux, les effets se feront plus durement sentir sur les femmes à faible revenu et sur les Noires, les Hispaniques et les Autochtones, dont le taux de mortalité pendant la grossesse est déjà trois fois plus élevé que celui des femmes blanches.

Exceptions liées à la vie

Les opposants à l’avortement ont défendu les exceptions étroites liées à la « vie », affirmant que les lois protégeraient les fœtus tout en permettant aux femmes de se faire avorter en cas d’urgence médicale — des situations qui entraîneraient « l’altération d’une fonction corporelle majeure », selon la formulation de plusieurs interdictions d’avortement dans les États.

Beau LaFave, représentant républicain antiavortement de l’État du Michigan, a défendu les lois qui ne prévoient aucune exception pour les anomalies fœtales graves, affirmant que les cas d’anomalies fœtales étaient rares et que l’avortement était utilisé pour éliminer les fœtus handicapés. M. LaFave est né avec des malformations congénitales qui ont nécessité de multiples interventions chirurgicales et, à l’âge de 18 mois, l’amputation de sa jambe gauche.

Les démocrates auraient voulu que je sois avorté, et je pense que tuer des gens simplement parce qu’ils ont un handicap est immoral et devrait être illégal. Ce n’est pas de la compassion.

Beau LaFave, représentant républicain de l’État du Michigan

Mais les femmes qui ont mis fin à des grossesses autrement désirées pour des raisons médicales ont déclaré que les lois aggraveraient la douleur et la confusion d’une expérience déjà angoissante. Depuis que le projet de décision de la Cour suprême annulant l’arrêt Roe c. Wade a été divulgué, en mai, de nombreuses femmes se sont tournées vers les babillards et les groupes de soutien pour exprimer leur frustration et poser leurs questions.

Dans plus d’une douzaine d’entrevues, des femmes qui ont interrompu leur grossesse pour des raisons médicales ont déclaré qu’elles s’étaient longtemps senties comme des marginales oubliées dans le débat sur l’accès à l’avortement. Aujourd’hui, selon elles, leur cas illustre le gouffre qui existe entre la rédaction des restrictions à l’avortement et les réalités déchirantes du déroulement d’une grossesse. (La plupart se sont exprimées à condition de n’être identifiées que par un prénom.)

À Ann Arbor, au Michigan, Hannah, 33 ans, a reçu un diagnostic grave concernant sa grossesse, le lendemain de la publication du projet de décision de la Cour suprême. Elle et son mari étaient ravis d’attendre leur premier enfant. Mais un dépistage génétique et une échographie ont révélé que son bébé avait du liquide dans le cerveau, un grave gonflement dans tout le corps et une malformation cardiaque qui nécessiterait des interventions chirurgicales intensives et pourrait le tuer.

Tout en essayant d’absorber la nouvelle, Hannah a réfléchi à ses options juridiques. Au Michigan, une loi de 1931 est toujours en vigueur et interdit tout avortement, bien qu’elle ait été bloquée par un juge de l’État. La loi ne prévoit aucune exception pour les malformations fœtales catastrophiques.

J’étais tout simplement terrifiée. Cela signifierait-il qu’au moment où nous prendrions une décision, je ne serais plus capable de la prendre ? Cela signifierait-il que je devrais me rendre dans un autre État ?

Hannah, qui a dû avorter pour des raisons médicales

Comme plusieurs femmes qui ont avorté pour des raisons médicales, Hannah n’a pas fait de distinction entre sa décision d’avorter et d’autres femmes qui se font avorter parce qu’elles n’ont pas les moyens d’élever un enfant, qu’elles sont trop jeunes, qu’elles ne sont pas prêtes ou pour toute autre raison.

« Personne ne fait ça par hasard, a-t-elle déclaré. Les gens sont beaucoup plus compréhensifs pour ce genre d’interruptions de grossesse lorsque l’enfant n’est pas viable, qu’il n’aurait pas de qualité de vie. Mais mon avortement n’est pas plus valable que celui d’une autre personne. Toutes les femmes doivent y avoir accès. »

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.

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    La Dre Alice Mark, conseillère médicale de la Fédération nationale de l’avortement, a déclaré qu’une patiente du Texas avait fait 10 heures de route pour se rendre au Nouveau-Mexique, afin de mettre fin à une dangereuse grossesse non viable dans laquelle un embryon s’était implanté hors de l’utérus.
    SOURCE : THE New York Times