Des centaines de milliers de détenus américains sont contraints de travailler dans des « conditions dégradantes » qui feraient scandale dans tout autre milieu, déplorent les auteurs d’un nouveau rapport dénonçant l’« exploitation » de la population carcérale des États-Unis.

L’American Civil Liberties Union (ACLU) relève dans une étude exhaustive produite avec des chercheurs de l’Université de Chicago que le gouvernement fédéral et de nombreux États tirent profit d’une exemption constitutionnelle pour abuser de cette « main-d’œuvre captive ».

Le 13e amendement, introduit en 1865 pour interdire l’esclavage et la servitude involontaire, prévoit une exemption pour la « punition » des criminels, les privant ainsi d’une protection légale efficace.

« La plupart des gens ne sont pas particulièrement choqués par l’idée que des détenus soient forcés de travailler. Mais ils ne se rendent pas compte des conditions qui y sont associées », affirme en entrevue Mariana Olaizola, coauteure de l’étude.

Faible rémunération

Les détenus travaillant dans les prisons fédérales ou celles des États gagnent en général très peu d’argent, leur salaire horaire excédant rarement 1 $ — même pour des emplois à risque comme celui de détenus californiens mobilisés pour lutter contre les incendies de forêt.

En se basant notamment sur une série de demandes d’accès à l’information et une longue série d’entrevues, les auteurs ont calculé que le salaire horaire moyen était de 13 cents l’heure.

Ils ont recensé sept États qui ne versent tout simplement aucune rémunération aux détenus contraints de travailler.

Ceux qui gagnent un peu d’argent doivent par ailleurs composer avec le fait que les prisons déduisent jusqu’à 80 % de leurs revenus pour couvrir des frais de diverses natures.

Près de 70 % des personnes ayant travaillé en détention ont indiqué qu’elles ne gagnaient pas assez d’argent pour couvrir le coût de produits de base, comme des produits hygiéniques, des médicaments ou des vêtements chauds, facturés par les prisons.

Des familles devant composer avec la perte de revenus découlant de l’incarcération d’une personne sont forcées d’intervenir pour la soutenir financièrement, souvent en s’endettant, note le rapport.

Hypocrisie

Tout en gagnant des sommes dérisoires, les détenus produisent des biens et services d’une valeur estimée de 2 milliards de dollars par année et fournissent des services d’entretien estimés à 9 milliards de dollars aux établissements qui les encadrent.

Près de 80 % des détenus qui travaillent sont affectés à l’entretien. Une autre tranche de 10 % est affectée à des travaux publics, comme l’entretien de routes ou de parcs. Une fraction minime est employée par des entreprises privées qui paient les prisons.

« Les avantages financiers pour les gouvernements sont énormes », relève Mme Olaizola.

La coauteure de l’étude juge « hypocrite » de voir les États-Unis dénoncer le recours au travail forcé dans des pays étrangers tout en bénéficiant de pratiques abusives au sein du système carcéral américain.

Près des deux tiers des détenus sondés ont indiqué qu’ils avaient travaillé en prison, ce qui représente environ 800 000 personnes à l’échelle du pays.

Parmi ceux qui ont travaillé, pas moins de 75 % ont indiqué qu’ils risquaient d’être sanctionnés en cas de refus. L’isolement cellulaire et la perte de droits de visite familiale sont quelques-unes des sanctions signalées.

Emplois à risque

Des détenus affirment par ailleurs avoir été contraints d’occuper des emplois à risque sans avoir reçu de formation ou d’équipement approprié.

Les auteurs de l’étude notent que nombre d’entre eux ont fait face à un tel scénario pendant la pandémie de COVID-19 en se voyant confier des tâches où ils étaient susceptibles d’être exposés au virus.

Des détenus ont été chargés de produire du désinfectant pour les mains, des masques, des tenues médicales, des protecteurs faciaux qu’on leur interdisait ensuite d’utiliser pour leur propre protection.

Extrait de l’étude de l’American Civil Liberties Union

Souvent, les programmes de travail sont justifiés par le fait qu’ils permettent aux détenus de développer des compétences qui faciliteront leur réinsertion sociale.

« Mais la majorité assure des activités d’entretien qui n’apportent pas de compétences particulières même si c’est ce que les détenus souhaiteraient obtenir », relève Mme Olaizola.

Les auteurs du rapport notent qu’il est urgent de s’assurer que les détenus travaillent sur une base volontaire et ne sont pas menacés s’ils refusent de le faire.

Ils demandent que la Constitution soit révisée et que les prisonniers aient accès aux mêmes protections légales que l’ensemble des travailleurs américains, plutôt que de se retrouver sans défense face à des institutions étatiques agissant à la fois comme « geôliers et patrons ».