(New York) On a longtemps dit de la Californie qu’elle est un peu le laboratoire de ce qui va se passer dans le reste des États-Unis. Si c’est encore vrai, les progressistes américains devraient s’alarmer des résultats des scrutins tenus mardi dernier à San Francisco et à Los Angeles.

À San Francisco, bastion de la gauche, 60 % des électeurs ont voté en faveur de la destitution du procureur progressiste Chesa Boudin, chargé de l’application des lois dans la ville, lors d’un référendum qui leur a permis d’exprimer leur ras-le-bol face aux problèmes de la criminalité et des sans-abri.

À Los Angeles, autre château fort progressiste, Rick Caruso, promoteur immobilier milliardaire et ancien républicain, a récolté plus de suffrages que la représentante démocrate Karen Bass lors du premier tour de l’élection à la mairie de la ville. Les principaux thèmes de sa campagne ? La criminalité et les sans-abri.

Photo Alex Gallardo, ARCHIVES Associated Press

Rick Caruso, candidat milliardaire à la mairie de Los Angeles, a reçu le plus de votes au premier tour, organisé le 7 juin dernier. Il affrontera une autre candidate démocrate, Karen Bass, en novembre.

La presse nationale n’a pas manqué de voir dans ces verdicts un message pour les démocrates à cinq mois des élections de mi-mandat.

« Les électeurs californiens ont lancé un avertissement sévère au Parti démocrate, mardi, sur la puissance de la loi et de l’ordre comme message politique en 2022 », a analysé le New York Times.

Mais Lara Bazelon, professeure de droit à l’Université de San Francisco, a également vu, dans le verdict électoral de sa ville, le pouvoir de l’argent.

« Une quantité massive d’argent a été dépensée pour destituer Boudin, principalement par de riches élites de la tech et des donateurs républicains », a-t-elle déclaré en entrevue.

Fernando Guerra, politologue à l’Université Loyola Marymount, a fait entendre le même son de cloche depuis Los Angeles.

« Caruso a puisé 40 millions de dollars dans son compte bancaire pour se faire connaître aux électeurs et exploiter la question des sans-abri et la perception d’une hausse de la criminalité », a-t-il dit en entrevue.

Des crimes « visuels »

Selon lui, cette « perception » est liée en partie à l’omniprésence des caméras de surveillance. Ces caméras fournissent notamment aux médias des images spectaculaires de braquages de gens qui sortent de restaurants chics ou de cambriolages dans des magasins de luxe.

« Nous avons des images de la criminalité que nous n’avions pas auparavant. C’est très visuel, a dit Fernando Guerra. De plus, cette criminalité se produit dans les secteurs de la ville où vivent les gens riches, contrairement aux années 1980 ou 1990, où la criminalité, qui représentait un problème beaucoup plus sérieux qu’aujourd’hui, était concentrée dans les quartiers latinos et afro-américains. »

« Or, les gens riches ont tendance à voter davantage, à s’énerver davantage lorsque leur qualité de vie est perturbée », a ajouté celui qui est également directeur du Centre d’études sur Los Angeles à l’Université Loyola Marymount.

À San Francisco, la misère des accros au fentanyl et des sans-abri côtoie la richesse des entreprises technologiques dont les sièges pullulent dans le centre-ville.

Élu en novembre 2019, Chesa Boudin, 41 ans, a fait partie d’un groupe de procureurs de gauche qui ont promis de réformer la justice pénale dans plusieurs villes américaines pendant la présidence de Donald Trump. Fils de militants d’extrême gauche condamnés à de longues peines de prison, il a notamment refusé d’envoyer en prison les petits délinquants toxicomanes, diminué la population carcérale et établi un précédent à San Francisco en inculpant un policier pour homicide.

Ses critiques l’ont dépeint comme un procureur prêt à sacrifier la sécurité publique sur l’autel de ses dogmes progressistes, tout en établissant un lien entre ses réformes et une vague de crimes très médiatisés.

Les Asio-Américains se rebiffent

Bon nombre de ces crimes visaient des membres de la communauté asio-américaine de San Francisco, qui ont voté massivement en faveur de la destitution de Chesa Boudin.

« Les Asio-Américains font partie de la coalition progressiste qui gère San Francisco. Ils sont aussi importants là-bas que les Latinos à Los Angeles », a commenté Fernando Guerra, politologue de l’Université Loyola Marymount. « Boudin a perdu le référendum à cause des problèmes de la ville, mais aussi parce que les Asio-Américains ont quitté la coalition. »

Après le référendum, la présidente de la campagne pour destituer Chesa Boudin a juré que son camp n’avait pas abandonné les idéaux progressistes de San Francisco.

« Cette élection ne signifie pas que San Francisco a dérivé vers l’extrême droite en ce qui a trait à son approche de la justice pénale, a déclaré Mary Jung. En fait, San Francisco est un phare national pour la réforme progressiste de la justice pénale depuis des décennies et continuera à l’être avec une nouvelle direction. »

À Los Angeles, le deuxième tour de l’élection à la mairie aura lieu le 8 novembre prochain, date des élections de mi-mandat. On verra alors si cette ville, de même que le reste de la Californie et des États-Unis, aura dérivé vers la droite.