(Bryn Athyn, Pennsylvanie) Les républicains ne manquent pas de candidats hauts en couleur au Sénat américain. Le DMehmet Oz, ancien protégé d’Oprah Winfrey et actuel favori de Donald Trump, fait partie du lot. Mais, à six mois des élections de mi-mandat, sa candidature en Pennsylvanie semble être une arme à deux tranchants, a observé La Presse lors d’un reportage.

Le Dr Oz au chevet de la Pennsylvanie

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Partisane du Dr Mehmet Oz lors d’un rassemblement récent en Pennsylvanie

À l’entendre, Robert Beiswenger n’aurait pas pu défendre la liberté dans l’armée de l’air américaine s’il n’avait pas défié la médecine traditionnelle. Après avoir reçu un diagnostic de myopie et d’astigmatisme au collège, il a réussi à retrouver une acuité visuelle digne d’un pilote d’avion de chasse en se livrant aux exercices proposés dans un livre intitulé Comment voir sans lunettes.

Puis, une fois dans l’armée de l’air, il a évité d’être cloué au sol par le chirurgien de son escadron en traitant la goutte dont il souffrait avec de l’extrait de pissenlit.

Ainsi, cet homme de 73 ans, dont le parterre est parsemé d’affiches appelant à l’élection de Donald Trump en 2024, n’a pas attendu le signal de l’ancien président avant d’appuyer la candidature du DMehmet Oz à l’élection sénatoriale de Pennsylvanie.

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Robert Beiswenger

Car, à ses yeux, l’ancien protégé d’Oprah Winfrey incarne depuis longtemps une des libertés qui lui sont les plus chères. « Il s’est toujours battu pour la liberté médicale », dit Robert Beiswenger en faisant allusion aux thérapies alternatives que le DOz a défendues dans le cadre de sa populaire émission de télévision.

« Vous ne pouvez pas avoir de liberté si vous n’avez pas de choix », ajoute-t-il, assis sous la véranda de sa maison de Bryn Athyn, petite municipalité située dans la banlieue nord-ouest de Philadelphie. « Et cela s’applique aux restrictions liées à la pandémie. Vous voulez vous faire vacciner, c’est correct. Vous ne voulez pas vous faire vacciner, c’est correct aussi. C’est la liberté. C’est ce que je veux. C’est la raison pour laquelle j’ai été dans l’armée de l’air pendant 20 ans. »

Le pouvoir de la télévision

Mais Mehmet Oz n’inspire pas à tous la même admiration. Des collègues du chirurgien cardiaque l’ont traité de « charlatan » en raison de sa promotion de produits douteux. Des conservateurs ont réagi avec consternation à la décision de Donald Trump de le soutenir. Et des électeurs du Keystone State l’ont accueilli avec scepticisme. « Je suis surprise qu’il ait décidé de se présenter comme candidat républicain en Pennsylvanie », dit Toni Ouattare, une femme dans la cinquantaine, en sortant d’un magasin d’aubaines de Bryn Athyn. « Je pensais qu’il était progressiste et qu’il vivait au New Jersey. »

De fait, le DOz a vécu pendant 20 ans à Cliffside, au New Jersey, près de Manhattan, où il a animé son émission de télévision quotidienne et pratiqué la médecine.

Avant de déménager en décembre dernier à Bryn Athyn, patelin de ses beaux-parents, il n’avait vécu en Pennsylvanie qu’au cours de ses années d’études à l’École de médecine de l’Université de Pennsylvanie.

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Le Dr Oz vérifie la pression d’un de ses partisans venus l’écouter lors d’un rassemblement à Bristol, le 21 avril dernier.

Mais ces considérations n’ont pas pesé dans la décision de Donald Trump de l’appuyer en vue de la primaire républicaine pour l’élection sénatoriale de Pennsylvanie, qui aura lieu le 17 mai. Car l’ancienne vedette de l’émission de téléréalité The Apprentice a reconnu chez le DOz des qualités qu’il considère comme bien plus importantes que sa familiarité avec l’État qu’il aspire à représenter à Washington.

« Quand vous êtes à la télévision pendant 18 ans, c’est comme un sondage. Ça veut dire que les gens vous aiment », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement en Caroline du Nord, où il faisait campagne pour un autre candidat.

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Une élection importante

L’appui de Donald Trump au DOz a eu l’effet d’une bombe chez les conservateurs.

Il s’ajoute aux soutiens accordés par l’ex-président à d’autres candidats controversés qui briguent des sièges au Sénat, dont l’ancien footballeur professionnel Herschel Walker en Géorgie et l’investisseur en capital-risque J. D. Vance en Ohio. Des soutiens qui pourraient permettre à Donald Trump d’exercer une influence indéniable sur une éventuelle majorité républicaine au Sénat après les élections de mi-mandat.

  • Herschel Walker auprès de Donald Trump, le 26 mars dernier, en Géorgie

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    Herschel Walker auprès de Donald Trump, le 26 mars dernier, en Géorgie

  • J. D. Vance sera le candidat républicain de l’élection sénatoriale en Ohio.

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    J. D. Vance sera le candidat républicain de l’élection sénatoriale en Ohio.

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L’élection sénatoriale en Pennsylvanie est particulièrement importante. Elle met en jeu le siège occupé par le sénateur républicain Pat Toomey, qui a annoncé sa retraite. Tenue dans un État où Joe Biden a triomphé en 2020, elle représente pour les démocrates une des meilleures occasions de réaliser un gain.

Les républicains, eux, s’attendaient à ce que Donald Trump soutienne un autre candidat, en l’occurrence David McCormick, vétéran de la première guerre du Golfe et ex-PDG d’un fonds spéculatif.

Ce dernier compte d’ailleurs dans son équipe de campagne plusieurs anciens collaborateurs du 45président, dont Dina Powell, Stephen Miller et Hope Hicks. Aussi, tout de suite après l’annonce du soutien de Donald Trump au DOz, les conservateurs ont exprimé leur déception, rappelant les positions passées du médecin âgé de 61 ans sur plusieurs enjeux importants, dont l’avortement, les armes à feu et le port du masque, positions qui étaient celles d’un progressiste.

« Oz est l’antithèse de tout ce qui a fait de Trump le meilleur président de ma vie », a lancé Sean Parnell, qui a joui de l’appui de l’ancien président jusqu’à son retrait de la course sénatoriale de Pennsylvanie dans la foulée d’allégations de violence familiale, qu’il a niées.

Dans un tweet adressé au DOz, il a ajouté : « Vous n’êtes pas un conservateur. Vous n’êtes même pas de Pennsylvanie. »

Les effets d’un soutien

N’empêche : le soutien de Donald Trump pourrait faire la différence dans cette course serrée, selon Donna Hughes, une électrice républicaine.

« Il y a encore beaucoup de personnes qui croient en Donald Trump, dit cette retraitée du secteur de la santé. Le DOz récoltera probablement les votes de la plupart d’entre elles. »

Après avoir voté pour l’ancien président en 2016, Donna Hughes a quitté les rangs de ses fidèles. En 2020, elle a choisi de donner une chance à Joe Biden. Un an et demi plus tard, elle ne semble pas impressionnée par la performance du démocrate à la Maison-Blanche.

« Il n’est pas bon, n’est-ce pas ? », demande-t-elle d’une voix hésitante.

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Donna Hughes, électrice de la Pennsylvanie

C’est un vieil homme. Il s’affaiblit. Bien sûr, ce n’est pas une attaque personnelle. Mais il semble faible, mentalement et physiquement.

Donna Hughes, électrice de la Pennsylvanie, au sujet de Joe Biden

Scott Rubin, souscripteur en assurance, se réjouit pour sa part de l’appui de Donald Trump au DOz, et ce, même s’il n’a aucune intention de voter pour le candidat républicain, quel qu’il soit, à l’occasion de l’élection sénatoriale de novembre.

Son choix se portera sur le gagnant de la primaire démocrate, dont le lieutenant-gouverneur John Fetterman et le représentant Conor Lamb sont les principaux candidats en lice.

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Scott Rubin, électeur de la Pennsylvanie

« Si le DOz remporte la primaire républicaine, les électeurs démocrates auront la motivation additionnelle de battre le candidat préféré de Donald Trump », dit cet électeur de Glenside, une autre ville de la banlieue de Philadelphie. « Du moins, c’est ce que j’espère. »

Le même scénario pourrait se présenter dans plusieurs autres États, avec des issues encore incertaines.

Sept autres États à suivre

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Le tiers des sièges du Sénat américain sera en jeu à l’occasion des élections de mi-mandat. Mais seulement huit de ces sièges peuvent être considérés comme compétitifs. C’est donc dans autant d’États, en comptant la Pennsylvanie, que se jouera probablement la prochaine majorité de la chambre haute du Congrès, contrôlée aujourd’hui par les démocrates avec 50 sièges.

Géorgie

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Herschel Walker

Le 5 janvier 2021, Raphael Warnock a créé la surprise en battant la sénatrice républicaine Kelly Loeffler par plus de 93 000 votes lors d’une élection spéciale. Le sénateur démocrate tentera en novembre de décrocher un mandat complet. Il affrontera vraisemblablement l’ancienne vedette du football universitaire et professionnel Herschel Walker, qui jouit de l’appui de Donald Trump, mais qui traîne plusieurs casseroles.

Nevada

  • Adam Laxalt suivi du sénateur texan Ted Cruz

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    Adam Laxalt suivi du sénateur texan Ted Cruz

  • Catherine Cortez Masto, sénatrice démocrate sortante du Nevada

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    Catherine Cortez Masto, sénatrice démocrate sortante du Nevada

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La sénatrice démocrate du Nevada Catherine Cortez Masto est l’une des cibles prioritaires des républicains. Si elle ne parvient pas à mobiliser tous les membres de la coalition démocrate, et notamment les Latinos et les Asio-Américains, elle pourrait se retrouver en difficulté. Elle affrontera vraisemblablement l’ancien procureur général de l’État Adam Laxalt, qui a tenté en vain de se faire élire au poste de gouverneur en 2018. Appuyé par Donald Trump, Laxalt se fait le promoteur du grand mensonge concernant l’élection présidentielle de 2020.

Wisconsin

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Ron Johnson, sénateur républicain sortant du Wisconsin

Ron Johnson, farouche allié de Donald Trump et bête noire de la gauche démocrate, est considéré comme le sénateur républicain sortant le plus vulnérable. Il n’est guère plus populaire que Joe Biden au Wisconsin, et les démocrates sont prêts à dépenser une fortune pour lui arracher son siège. Il jouit cependant d’un avantage : les primaires du Wisconsin auront lieu le 9 août. Les principaux candidats démocrates, le lieutenant-gouverneur Mandela Barnes et le dirigeant des Bucks de Milwaukee Alex Lasry, devront se battre entre eux pendant des mois avant de pouvoir attaquer directement Johnson.

Arizona

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Mark Kelly, sénateur démocrate d’Arizona

Le sénateur démocrate d’Arizona Mark Kelly peut s’estimer heureux, jusqu’à un certain point. Dans un État où la popularité de Joe Biden est en chute libre, sa réélection est loin d’être assurée. Mais l’ancien astronaute pourrait profiter des divisions au sein du camp adverse. L’un des principaux candidats des républicains, le procureur général de l’État Mark Brnovich, s’est notamment mis à dos Donald Trump en refusant de dire que l’élection présidentielle de 2020 avait été truquée.

New Hampshire

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Chris Sununu accueillant le président Biden à l’aéroport de Portsmouth, au New Hampshire, le 19 avril dernier

Les républicains ont exercé beaucoup de pression sur le populaire gouverneur du New Hampshire, Chris Sununu, pour qu’il tente de ravir le siège de la sénatrice démocrate Maggie Hassan. Sununu a choisi de ne pas quitter son État, exprimant un mépris certain pour la façon dont les républicains de Washington font de la politique. Plusieurs candidats républicains briguent le siège de Hassan, qui demeure vulnérable pour la simple raison que toutes les élections se jouent dans un mouchoir de poche au New Hampshire.

Ohio

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J. D. Vance

Les primaires de l’Ohio ont déterminé mardi les candidats des deux grands partis à l’élection sénatoriale de l’État. Le républicain J. D. Vance, fort de l’appui de Donald Trump, affrontera le démocrate Tim Ryan pour le siège que libérera le sénateur républicain Rob Portman. Dans un État de plus en plus rouge, Vance a d’excellentes chances de l’emporter, tout néophyte politique qu’il soit. Mais ce nationaliste ne peut prendre à la légère le représentant Ryan, un tribun proche de la classe ouvrière.

Floride

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Marco Rubio

Compétitive, la course sénatoriale de Floride ? L’État semble de moins en moins hospitalier aux démocrates. Et la cote de popularité de Joe Biden n’y est pas moins déclinante qu’ailleurs. Le sénateur républicain sortant Marco Rubio est donc le grand favori. Mais sa propre cote de popularité ne dépasse pas la barre des 50 %, ce que les démocrates interprètent comme un signe de vulnérabilité. Et ces derniers sont encouragés par la campagne que mène l’adversaire probable de Rubio, la représentante démocrate Val Demings.