(New York) Par l’ouverture de sa tente, Synthia Vee explique pourquoi elle tient tête au maire de New York, Eric Adams, en refusant de quitter le campement où elle vit avec d’autres sans-abri, sous un échafaudage de la 9e Rue, à Manhattan.

« Ce campement signifie beaucoup pour moi », dit-elle d’une voix éraillée en ce premier mercredi d’avril. « Ce n’est pas seulement un campement de sans-abri. C’est aussi une déclaration politique selon laquelle la solution au problème des sans-abri est le logement, et non les refuges. »

Nous ne sommes pas des malades mentaux ou des toxicomanes, ajoute-t-elle. Il n’y a rien qui cloche chez nous. Nous avons juste besoin d’un logement abordable.

Synthia Vee

Une foule hétéroclite est rassemblée sous la pluie devant le campement. On y trouve des policiers, dont l’ordre aux sans-abri d’évacuer leur campement, donné 24 heures plus tôt, a été ignoré.

Il y a aussi des cols bleus, venus pour nettoyer le site, des travailleurs communautaires, des militants, des journalistes et quelques résidants du quartier East Village, où se déroule la scène.

PHOTO SETH WENIG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des cols bleus ont jeté les tentes et les effets personnels des sans-abri qui vivaient dans le campement de la 9e Rue, à Manhatttan, mercredi dernier.

La confrontation dure plusieurs heures. Un par un, les sans-abri finissent par quitter volontairement le campement, sauf un, qui est menotté et arrêté avec six militants.

Pendant ce temps, les cols bleus déblayent le site, jetant tentes, matelas et autres objets, y compris quelques seringues, dans des bennes à ordures.

Depuis la mi-mars, la Ville de New York a détruit plus de 300 campements du genre. Or, seulement cinq des sans-abri qui y vivaient ont accepté d’aller dans un des refuges de la ville, les jugeant trop dangereux ou restrictifs. Aucun d’entre eux ne se trouvait dans le campement de la 9e Rue.

Le jour de l’évacuation de ce site, Donna Lieberman, directrice de l’Union new-yorkaise pour les libertés civiles, a accusé le maire de New York d’avoir voulu faire « un exemple cruel d’une poignée de New-Yorkais ».

Des résultats mitigés

Eric Adams, lui, s’est défendu en affirmant que les auteurs des Évangiles l’auraient appuyé dans sa campagne pour éliminer les campements de sans-abri à New York.

« En tant que ville, nous sommes sur la mauvaise voie », a-t-il déclaré jeudi dernier lors d’une conférence de presse tenue en présence de dirigeants religieux. « Nous avons toléré la situation des sans-abri, nous sommes passés devant nos frères et sœurs qui vivent dans des tentes dans la rue, et nous avons trouvé cela normal. »

PHOTO EDUARDO MUNOZ, ARCHIVES REUTERS

Eric Adams, maire de New York

Je ne peux m’empêcher de penser que si Matthieu, Marc, Luc et Jean étaient là aujourd’hui, ils seraient dans la rue avec moi, à aider les gens à sortir des campements.

Eric Adams, maire de New York

Cette campagne et cette déclaration peuvent servir à résumer les 100 jours d’Eric Adams à la mairie de New York, qui se sont terminés dimanche. À la fois ambitieuse et controversée, la campagne n’a pas encore donné les résultats escomptés. Selon un recensement récent, quelque 2400 sans-abri dorment encore dans les rues de New York, refusant de rejoindre les 48 000 autres qui vivent dans les refuges de la ville.

Mais ces résultats mitigés ne semblent pas entamer la popularité du maire démocrate de 61 ans, pas plus que ses déclarations parfois douteuses ou provocatrices. Selon un sondage récent, 61 % des New-Yorkais approuvent sa performance.

Performance marquée par le déploiement d’une énergie inépuisable en apparence. Chaque incident d’une certaine importance semble justifier la présence d’Eric Adams, qui se targue en outre de mener ses propres enquêtes nocturnes pour étudier la situation des sans-abri dans le métro ou dans la rue.

« Quand j’ai visité certains de ces campements à 1 h, 2 h ou 3 h du matin, j’ai regardé à l’intérieur, j’ai parlé à des sans-abri et j’ai vu des personnes vivant dans leurs déjections. […] Ce n’est pas digne, ce n’est pas acceptable », a-t-il dit vendredi dernier lors d’une entrevue radiophonique.

Crimes majeurs en hausse

Les résultats de la lutte contre la criminalité engagée par Eric Adams sont encore plus décevants. Cet ancien capitaine du NYPD avait promis de rendre sa ville plus sûre après une hausse de la violence par armes à feu et d’agressions dans le métro au cours des deux dernières années.

Or, depuis son entrée en fonction, le 1er janvier dernier, la criminalité a augmenté dans presque toutes les catégories.

En date du 3 avril 2022, les crimes dits majeurs avaient grimpé de 44 % par rapport à la même période l’année dernière, selon des données publiées par Politico.

Les évènements de coups de feu, qui avaient doublé l’année dernière par rapport au niveau de 2019, ont encore augmenté de 14 % cette année, selon la même source. Les vols ont augmenté de 47 %, les cambriolages, de 31 % et les agressions, de 19 %. Les homicides représentent le seul crime majeur à avoir diminué, de 9 %.

La plupart des experts s’accordent pour dire qu’il est trop tôt pour conclure à l’échec des politiques du maire de New York. Celui-ci a notamment mis sur pied une nouvelle escouade policière dont la mission est de s’attaquer aux armes à feu illégales. Il a aussi lancé un partenariat entre la police et les professionnels de la santé mentale pour endiguer le problème des sans-abri dans le métro, où certains d’entre eux ont commis des agressions ou des meurtres retentissants.

Et il a exhorté les élus de l’État à durcir les conditions de libération sous caution, déplorant le nombre de crimes commis par des individus après avoir été libérés dans l’attente de leur procès. La semaine dernière, il s’est adressé à eux, de même qu’à ses critiques, après avoir visité la famille d’un garçon de 12 ans tué à Brooklyn par une balle qui ne lui était pas destinée.

« Quel enfant sera le prochain ? Quel enfant sera le prochain ? », a-t-il répété sur un ton indigné devant des journalistes et des résidants. « Quand j’agis avec urgence et que des gens me disent de ralentir, je réponds : ‟Bon sang, qu’est-ce qui cloche chez vous ?” »

Les quatre évangélistes ne seront pas davantage en mesure d’aider Eric Adams à répondre à cette question.