(New York) « Sur une échelle de 1 à 10, à quel point diriez-vous que vous êtes fidèle en matière de religion ? », s’est enquis le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham.

« Êtes-vous d’accord avec ce livre qu’on enseigne aux enfants et qui dit que les bébés sont racistes ? », a demandé son collègue républicain du Texas Ted Cruz.

« Pouvez-vous donner une définition du mot “femme’’ ? », a voulu savoir la sénatrice républicaine du Tennessee Marsha Blackburn.

En février dernier, Ketanji Brown Jackson est entrée dans l’histoire en devenant la première Noire à être nommée à la Cour suprême des États-Unis. Mais certains membres de la commission judiciaire du Sénat, qui l’ont interrogée mardi et mercredi, ont transformé en cirque l’examen de sa candidature à la plus haute juridiction américaine.

« Il y a beaucoup d’esbroufe de la part de plusieurs membres de la commission, qui utilisent ces auditions pour faire valoir des idées n’ayant pas grand-chose à voir avec les qualifications de la personne nommée ou le travail de juge », a commenté Nicole Huberfeld, professeure de droit à l’Université de Boston.

« Ce qu’on a vu cette semaine n’est pas vraiment nouveau à cet égard », a-t-elle ajouté.

Mais la juriste dit avoir été particulièrement frappée par un des angles d’attaque adoptés par certains sénateurs républicains, dont Ted Cruz.

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Ted Cruz, sénateur républicain du Texas

Ce dernier a insinué que la juge Jackson était une adepte de la théorie critique de la race, épouvantail de la droite américaine, en raison de la présence de certains livres dans la bibliothèque d’une école élémentaire privée de Washington à laquelle elle est liée en tant que membre du conseil d’administration.

Un premier vote le 4 avril

« Je pense que les questions posées par Ted Cruz, en particulier, mais par d’autres aussi, étaient franchement racistes, dit la professeure Huberfeld. J’ai trouvé cela troublant. Un grand nombre de questions sur l’opinion de la juge Jackson sur la théorie critique de la race et son rôle dans le conseil d’administration d’une école privée à Washington ont signalé à la base du sénateur Cruz qu’il essayait de la définir comme quelqu’un qui n’est pas censé être ce qu’elle est, c’est-à-dire une femme noire aux États-Unis. »

La commission judiciaire du Sénat a mis fin jeudi à son examen de la candidature de la juge Jackson en entendant les témoignages de tierces parties soutenant ou contestant sa confirmation à la Cour suprême. Elle doit se prononcer sur le sujet le 4 avril afin de transmettre sa recommandation pour un vote en séance plénière dans les jours suivants.

La confirmation de la juge Jackson est hautement probable. L’une des questions en suspens est de savoir si des républicains se joindront aux 50 sénateurs du groupe démocrate pour ajouter leurs noms à cette page d’histoire.

En attendant, des démocrates ont exprimé une certaine amertume à l’issue de l’audition de la juge Jackson.

« Certaines des attaques contre cette juge étaient injustes, implacables et indignes du Sénat des États-Unis », a déclaré jeudi matin le président de la commission judiciaire du Sénat, Dick Durbin.

La juge Jackson a répondu aux questions des sénateurs de la commission judiciaire pendant plus de 22 heures, consacrant une partie importante de ce temps à se défendre de tout laxisme envers les pédophiles.

Le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley a mené la charge dans cette bataille, demandant notamment à plusieurs reprises à la juge Jackson si elle regrettait d’avoir imposé trois mois de prison à un jeune homme de 18 ans reconnu coupable de possession de pédopornographie.

« Ce que je regrette, c’est que dans le cadre d’une audience sur mes qualifications pour être juge à la Cour suprême, nous ayons passé beaucoup de temps à nous concentrer sur ce petit sous-ensemble de mes condamnations », a-t-elle déclaré.

Un signal à QAnon ?

La professeure Huberfeld croit comprendre pourquoi le sénateur Hawley et plusieurs autres de ses collègues ont opté pour cette approche.

Je pense que le parcours de la juge Jackson est vraiment remarquable et qu’il y avait très peu de choses à attaquer. Les républicains se sont donc raccrochés à ce qu’ils pouvaient.

Nicole Huberfeld, professeure de droit de l’Université de Boston

Elle a cependant noté que les peines prononcées par la magistrate dans les dossiers de pédopornographie ne s’écartaient pas vraiment de celles infligées par les autres juges fédéraux dans des affaires semblables.

« Je ne suis pas sûre que je devrais le mentionner, mais certaines personnes semblent penser que c’était un moyen pour des sénateurs de signaler aux adeptes de QAnon qu’ils étaient de leur côté », a-t-elle soutenu en rappelant l’obsession des complotistes de ce mouvement pour les allégations de pédophilie.

La juge Jackson a également été accusée de complaisance à l’égard des terroristes en raison de son rôle en tant qu’avocate de l’aide juridique auprès de détenus de Guantánamo.

Elle ne s’est pas départie de son sang-froid devant les sénateurs républicains. Mais elle a cédé à l’émotion après avoir été louangée par deux sénateurs démocrates, dont Cory Booker.

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La juge Ketanji Brown Jackson essuie ses larmes après un poignant discours du sénateur démocrate du New Jersey Cory Booker.

« Vous êtes une personne qui est tellement plus que votre race et votre sexe – vous êtes une chrétienne, vous êtes une maman, vous êtes une intellectuelle, vous aimez les livres », a dit l’élu du New Jersey, alors que la juge Jackson essuyait des larmes. « Je vois mes ancêtres et les vôtres. Vous avez mérité cette place. Vous êtes digne. Vous êtes une grande Américaine. »