(New York) Mercredi dernier, le grand patron de Walt Disney a mis le paquet, offrant un don de 5 millions de dollars à l’organisation de défense des droits LGBTQ Human Rights Campaign. La réponse de l’organisation : « Non, merci. »

Bob Chapek, le PDG en question, tentait de se faire pardonner le silence de son entreprise, géant économique de la Floride, face au projet de loi baptisé « Don’t Say Gay » par ses critiques et adopté mardi dernier par le Sénat de l’État. Le texte vise à interdire aux enseignants de parler d’orientation sexuelle ou d’identité de genre aux élèves d’un certain âge.

L’épisode reflète deux tendances. D’abord celle des grandes sociétés américaines à renoncer à défendre les principes de pluralisme, d’inclusion et de tolérance qu’elles professent. Et celle de la Floride à rivaliser de zèle avec les États les plus conservateurs pour imposer une vision de la société qui rappelle les années 1950 à certains égards.

La société Walt Disney n’a pas toujours été aussi timorée.

En 2016, elle a menacé de cesser le tournage des films Marvel en Géorgie si le gouverneur de cet État promulguait un projet de loi controversé « sur la liberté religieuse ». Selon ses critiques, le texte visait à permettre aux entreprises de refuser de servir ou d’embaucher des personnes LGBTQ.

Plus de 400 entreprises, dont Time Warner, Apple, Dell et Hilton, ont appuyé Disney en exprimant leur opposition au projet de loi, qui a fini par être abandonné par le gouverneur.

L’année suivante, une mobilisation semblable a forcé la Caroline du Nord à abroger une loi obligeant les personnes transgenres à utiliser les toilettes correspondant à leur sexe de naissance.

Disney, dont le PDG était alors Bob Iger, s’est également retrouvée en première ligne de cette « guerre des toilettes ». De toute évidence, le successeur d’Iger a choisi une autre voie en Floride, comme les autres chefs d’entreprise.

Mais sa position est devenue intenable. On y reviendra.

« Fausses histoires »

Entre-temps, il faut parler de Ron DeSantis. Lundi dernier, lors de son passage au festival des fraises de Floride, le gouverneur républicain a pris la couleur de ce fruit lorsqu’un journaliste a utilisé l’expression « Don’t Say Gay » en lui posant une question sur le projet de loi contesté.

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Ron DeSantis, gouverneur républicain de la Floride

« Est-ce que c’est écrit dans le projet de loi ? Est-ce que c’est écrit dans le projet de loi ? Je vous demande de me dire si c’est dans le projet de loi », a-t-il dit d’un ton courroucé, tout en accusant le journaliste de propager de « fausses histoires ».

Le passage clé du projet de loi se lit ainsi : « L’enseignement en classe par le personnel de l’école ou des tiers sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne peut avoir lieu de la maternelle à la troisième année ou d’une manière qui ne soit pas adaptée à l’âge ou au développement des élèves, conformément aux normes de l’État. »

Les promoteurs du projet de loi estiment qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Les opposants y voient un texte discriminatoire contre les personnes LGBTQ qui ouvre la voie à des poursuites de parents contre les commissions scolaires.

Plusieurs autres projets de loi républicains soulèvent la polémique ces jours-ci en Floride. Jeudi dernier, le Sénat de cet État a approuvé un texte interdisant tout enseignement ou toute formation qui amène un élève ou un employé à se sentir coupable ou honteux des actions collectives passées de sa race ou de son sexe, y compris l’esclavage et la ségrégation.

La législation, baptisée « Stop WOKE Act », permet aux parents ou aux employés d’intenter des recours en justice contre les commissions scolaires ou les entreprises qui enfreignent cette loi.

La veille, les parlementaires de Floride avaient exaucé un autre vœu de Ron DeSantis en adoptant un projet de loi créant le premier corps policier aux États-Unis chargé de réprimer la fraude électorale.

Et la semaine précédente, ils avaient approuvé une loi interdisant l’avortement après la 15e semaine de grossesse, y compris en cas de viol et d’inceste.

« Je vous ai laissés tomber »

Ne manque plus que la signature de Ron DeSantis pour que ces textes deviennent loi. La Floride s’inscrira alors officiellement dans un mouvement national qui, selon l’analyste politique Ron Brownstein, ramène les États-Unis « à un monde antérieur aux années 1960, dans lequel les droits et libertés fondamentaux varient » d’un État à l’autre.

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Bob Chapek, PDG de Walt Disney

Mais Bob Chapek, PDG de Walt Disney, jure qu’il n’a pas dit son dernier mot. Il entend ainsi rencontrer Ron DeSantis pour le convaincre d’abandonner au moins un des projets de loi républicains de Floride, celui que ses détracteurs appellent « Don’t Say Gay ».

Il s’agit pour lui d’un revirement. Dans une note adressée lundi dernier à son personnel, M. Chapek a d’abord défendu son silence sur le texte controversé en disant que Walt Disney pouvait en faire plus pour promouvoir la tolérance « à travers le contenu inspirant [qu’elle produit], la culture accueillante [qu’elle crée] et les organisations communautaires diverses [qu’elle soutient] ».

Il a dû changer d’approche après le tollé que sa note a soulevé au sein de son personnel.

À la fin de la semaine dernière, il s’est excusé de ne pas avoir été « un allié plus fort dans la lutte pour l’égalité des droits ».

« Je vous ai laissés tomber », a-t-il dit en annonçant la suspension des donations politiques de Disney en Floride.

Ron DeSantis, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, n’a manifesté aucune intention de reculer. Au contraire, il n’a pas hésité samedi à accuser « Woke Disney » d’adopter « la propagande démocrate ».

Cette réplique explique en bonne partie pourquoi les entreprises ne se battent plus – ou seulement du bout des lèvres – contre les lois jugées discriminatoires ou rétrogrades. Les républicains semblent avoir trouvé le mot magique pour les museler : woke.