(New York) Le 16 février 2022 n’est pas qu’une simple date au calendrier. Lors d’une vidéoconférence avec ses alliés occidentaux la semaine dernière, Joe Biden a déclaré que Vladimir Poutine pourrait choisir ce mercredi pour envahir l’Ukraine.

Est-ce à dire que le président américain aura l’air fou si la journée se passe sans que les soldats russes fassent la moindre incursion en territoire ukrainien ?

« Non ! », s’est exclamé mardi William Pomeranz, spécialiste de la Russie au cercle de réflexion Wilson Center.

« Jusqu’à un certain point, oui », a répondu de son côté Michael Kimmage, historien des relations entre les États-Unis et la Russie.

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Vladimir Poutine, président de la Russie

De toute évidence, le bien-fondé des avertissements que multiplie Joe Biden concernant la crise ukrainienne ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes.

Mais ces déclarations font partie d’une partie de poker dont le gagnant est encore loin d’être connu. Et c’est encore plus vrai au lendemain de l’annonce par la Russie d’un retrait partiel des forces russes déployées autour de l’Ukraine.

Que l’invasion survienne mercredi, jeudi ou vendredi, ça ne fait guère de différence. L’important, c’est que Biden a mis en évidence les actions de la Russie, de sorte qu’il a obligé Poutine à émettre certains démentis qu’il ne voulait probablement pas émettre, le plus notable étant qu’il n’a pas l’intention d’envahir l’Ukraine.

William Pomeranz, spécialiste de la Russie au cercle de réflexion Wilson Center

Michael Kimmage n’est pas convaincu par cet argument. Certes, convient-il, la Maison-Blanche s’en servira sans doute si la Russie n’envahit pas l’Ukraine. Mais il serait illusoire de croire que les déclarations de l’administration Biden sur une invasion à telle ou telle date ont un effet sur les plans de Vladimir Poutine, selon lui.

La guerre de l’information

« Le fait que les États-Unis aient dévoilé son calendrier ne pèsera pas lourd dans les décisions de Poutine », dit cet ancien responsable au sein du département d’État sous Barack Obama. « Les deux parties tentent chacune de leur côté de jouer au plus fin. Et il est possible que Poutine ait fourni au gouvernement américain des informations erronées sur une invasion pour semer la confusion. »

Chose certaine, Joe Biden s’est écarté de l’approche adoptée par Barack Obama face à Vladimir Poutine lors de la crise qui a mené à l’annexion de la Crimée en 2014. Dans un article récent, le New York Times a noté que les renseignements américains avaient empêché l’administration Obama de diffuser au public ce qu’ils savaient des intentions du président russe à l’époque.

À l’opposé, l’administration Biden n’hésite pas à déclassifier des informations sur les plans russes présumés qui vont plus loin que la simple date d’une invasion. Elle a notamment accusé la Russie de vouloir justifier une action militaire en Ukraine en se servant de fausses vidéos.

« Je n’ai pas de contact au sein de la CIA pour savoir à quel point la CIA a donné le feu vert à la diffusion de ces informations, mais je dirai que cette transparence a placé Poutine sur la défensive, jusqu’à un certain point », dit William Pomeranz.

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Le président de la Russie, Vladimir Poutine, et le chancelier d’Allemagne, Olaf Scholz, en rencontre mardi au Kremlin, à Moscou

L’annonce du retrait partiel de troupes russes déployées autour de l’Ukraine est intervenue juste avant la rencontre à Moscou entre Vladimir Poutine et le chancelier allemand Olaf Scholz, qui s’est dit « ravi ».

Le président russe a confirmé le retrait après la rencontre, laissant croire que Moscou envisage peut-être une désescalade militaire.

Prudence à Washington

À Washington, Joe Biden a accueilli l’annonce russe de façon prudente.

« Ce serait une bonne chose, mais nous ne l’avons pas encore vérifié », a déclaré le président américain depuis la Maison-Blanche, en faisant allusion au retrait partiel de troupes russes. « En effet, nos analystes indiquent qu’ils restent dans une position très menaçante. »

Tout en précisant qu’« une invasion demeure une possibilité réelle », il a promis de « donner toutes les chances à la diplomatie » pour l’empêcher.

Les analystes s’accordent avec Joe Biden pour dire qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions de l’annonce russe de mardi.

« Je suis certain que beaucoup d’historiens et d’analystes de salon poseront la question : “Poutine est-il en train de vaciller ?” Nous le saurons dans peu de temps. »

En attendant, William Pomeranz estime que, de façon générale, Joe Biden gère bien la crise ukrainienne, opinion que partage Michael Kimmage.

« Jusqu’à présent, ça se passe bien », dit le professeur et directeur du département d’histoire de l’Université catholique d’Amérique. « Biden a gardé la porte de la diplomatie ouverte. Il a gardé ses déclarations sur Poutine lui-même plutôt modérées. Et il n’a pas fait de concessions dans le même temps.

« En termes de leadership américain de l’OTAN, Biden a été fondamentalement responsable et compétent. On ne peut qu’imaginer la différence si un président Trump avait été au pouvoir à ce moment-ci. »