(Washington) Doyen de la Cour suprême des États-Unis, à l’œil pétillant d’intelligence et d’humour derrière ses lunettes cerclées, le juge Stephen Breyer a imprimé une marque profonde sur la doctrine progressiste américaine.

Son départ à la retraite en juin prochain, annoncé mercredi, va permettre à Joe Biden de le remplacer par un magistrat nettement plus jeune.

Le juriste âgé de 83 ans a siégé à l’institution un gros quart de siècle, aux côtés de ses huit pairs à majorité conservatrice.  

Être donc dans la minorité n’a jamais retiré à ce brillant magistrat sa jovialité ni la passion avec laquelle il a défendu de façon opiniâtre ses convictions, au premier rang desquelles son opposition à la peine de mort. Parmi ses autres combats chers : l’environnement ou le droit à l’avortement.

PHOTO ERIN SCHAFF, ARCHIVES REUTERS

Le juge Stephen Breyer, féru de philosophie, est sans doute le plus francophile des juges américains. Parlant couramment la langue de Molière, il parsème ses discours de références à Proust ou à Stendhal. On le voit ci-haut posant pour la photo officielle des juges de la Cour suprême des États-Unis, à Washington, le 23 avril 2021..

Connu pour ses traits d’esprit et sa grande culture, il est devenu en 1994 le deuxième juge nommé à la haute cour par le président démocrate Bill Clinton, après Ruth Bader Ginsburg, l’icône féministe décédée en 2020.

Tout comme « RBG », au fil d’argumentaires ciselés, Stephen Breyer s’est imposé comme un pilier du temple du Droit américain, chargé de veiller à la constitutionnalité des lois.

La Constitution, justement, le juge Breyer en porte toujours un mince exemplaire annoté dans la poche intérieure de sa veste. Mais les autres livres ne sont jamais loin de ce natif de San Francisco, auteur de plusieurs ouvrages sur les libertés ou le droit international.  

Admirateur de Proust

Ce féru de philosophie est sans doute le plus francophile des juges américains. Parlant couramment la langue de Molière, il parsème ses discours de références à Proust ou à Stendhal.

Il aime également citer Cicéron —« En temps de guerre, les lois sont muettes » — pour rappeler que, durant la Seconde Guerre mondiale, 70 000 Américains d’origine japonaise avaient été internés sans raison dans des camps.

Après un prestigieux parcours académique qui l’a vu collectionner les diplômes à l’université Stanford, à la faculté britannique d’Oxford et à l’école de droit de Harvard, Stephen Breyer a entamé sa carrière en 1964 en tant qu’assistant du juge de la Cour suprême Arthur Goldberg.

Un temps spécialisé dans la lutte contre les trusts, il a également été conseiller du procureur dans le scandale du Watergate.

Marié à une psychologue issue de l’aristocratie britannique, avec laquelle il a eu trois enfants, le juge Breyer a enseigné à Harvard jusqu’en 1980. Il est ensuite resté en Nouvelle-Angleterre, nommé par le président Jimmy Carter à la cour d’appel de Boston, qu’il finira par diriger.

« Poulet à la king »

Possédant une grande capacité de travail, homme de consensus, Stephen Breyer aurait probablement obtenu sa nomination à la Cour suprême plus tôt s’il n’avait eu son blason terni par des révélations sur son omission à cotiser aux caisses de retraite pour une employée de maison.

Cette affaire a retardé son arrivée à la haute instance, dont il a ensuite obstinément défendu l’indépendance, malgré les critiques récurrentes qui en font un organe politisé.

Une défiance qui s’est accentuée sous le mandat de Donald Trump. L’ex-président républicain a nommé trois magistrats conservateurs à la cour, des processus controversés que Stephen Breyer s’est toujours gardé de critiquer publiquement.  

Dans un entretien avec l’AFP en 2016, l’éminent juriste avait refusé de dresser le portrait-robot du candidat idéal.  

« Je ne peux pas suggérer au président qui il devrait désigner. Ce n’est pas mon boulot… Cela reviendrait à demander la recette du poulet à la king… au poulet ! », s’était-il amusé.