La prochaine élection présidentielle américaine se conclura-t-elle… sur un coup d’État ? Pour certains, l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, il y aura un an le 6 janvier, annonce le scénario catastrophe. D’ici là, le sort de la démocratie américaine pourrait reposer sur les travaux de la commission d’enquête du Congrès, qui veut faire la lumière sur ce qui s’est passé à la Maison-Blanche pendant l’émeute.

(New York) Vers un coup d’État « légalisé » ?

Même s’il vit à plus de 9000 km de Washington, Arieh Kovler a vu venir l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole des États-Unis avant presque tout le monde.

PHOTO JOHN MINCHILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Partisans de Donald Trump, lors un rassemblement le mercredi 6 janvier 2021 à Washington

Le 21 décembre 2020, de son domicile de Jérusalem, en Israël, cet expert en communication d’entreprise a publié une série de tweets dont le premier devait s’avérer prophétique, à quelques détails près.

« Le 6 janvier, des milices trumpistes armées se rassembleront à Washington, sur ordre de Trump. Il est très probable qu’elles essaieront de prendre d’assaut le Capitole après que [le Congrès] aura certifié la victoire de Joe Biden. Je ne pense pas que cela ait encore été compris », écrivait-il en se fondant sur sa lecture régulière des sites favoris des extrémistes et des complotistes américains, comme Gab, 4chan et 8kun.

Près d’un an plus tard, Arieh Kovler, né à Londres il y a 40 ans et marié à une Américaine, s’étonne encore du manque de préparation de la police et de l’armée. Et même s’il s’attendait à encore plus de violence, il demeure troublé par ce qu’il a vu ce jour-là.

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des partisans du président Donald Trump dans la rotonde du Capitole américain à Washington, le 6 janvier 2021

« Je suis juif, mais l’assaut du Capitole a produit sur moi un effet semblable à l’incendie de Notre-Dame de Paris. J’ai eu l’impression que quelque chose de sacré était détruit », confie-t-il au téléphone.

Et le reste de 2021 n’a pas chassé chez lui cette impression, bien au contraire.

Nous avons peut-être assisté à la dernière élection démocratique aux États-Unis.

Arieh Kovler, expert en communication d’entreprise

Des développements troublants

Cette fois-ci, Arieh Kovler est loin d’être le seul à sonner l’alarme. À l’approche du premier anniversaire de l’assaut contre le temple de la démocratie américaine, de nombreux experts, journalistes et citoyens des États-Unis et d’ailleurs voient cet évènement sans précédent comme l’ébauche d’un coup d’État à venir.

Ils citent à l’appui plusieurs développements troublants qui ont suivi l’attaque du Capitole : l’adhésion d’une forte majorité de dirigeants et d’électeurs républicains au mythe d’une élection volée en 2020 ; l’adoption de lois électorales controversées par plusieurs États dominés par les républicains ; la marginalisation des responsables républicains ayant tenu tête à Donald Trump en 2020 ; l’apologie de la violence par des élus républicains du Congrès.

Ces développements poussent Theda Skocpol, politologue et professeure de sociologie à l’Université Harvard, à brosser un sombre portrait du Grand Old Party.

« Je dirais que le Parti républicain est désormais constitué d’une coalition de personnes prêtes à recourir aux menaces de violence et de personnes prêtes à s’en tenir à une manipulation maximale du système du Collège électoral et du contrôle des élections par les États. Si vous mettez ces deux choses ensemble, vous obtenez une formule pour un gouvernement dominé de façon permanente par la minorité », dit-elle.

Dans un tel contexte, Theda Skocpol n’hésite pas à évoquer la possibilité d’un « coup d’État légalisé » où le recours à la violence ne serait même pas nécessaire.

Je pense que si les choses sont aussi ou plus serrées en 2024 qu’en 2020, l’élection sera en fait volée sous une apparence légale.

Theda Skocpol, politologue et professeure de sociologie à l’Université Harvard

Une analogie saisissante

Mary McCord n’est pas aussi certaine que la violence ne sera pas au rendez-vous en 2024. La professeure de droit à l’Université Georgetown établit une analogie saisissante pour exprimer son inquiétude face à la dérive antidémocratique des dirigeants républicains.

Elle les compare aux chefs du groupe terroriste État islamique, qu’elle a observés de près du temps où elle était responsable de la sécurité nationale au sein du ministère de la Justice américain.

PHOTO JIM BOURG, ARCHIVES REUTERS

L’ancien président Donald Trump, le 6 janvier 2021

« Nous avons vu que les leaders des mouvements terroristes étrangers ciblent et recrutent ceux qui se sentent socialement et politiquement marginalisés, dit-elle. Et ils y parviennent par la désinformation, la propagande et la diabolisation de leurs ennemis. Cette approche a pour effet d’accroître la population qui devient prête à croire que la violence est le seul moyen de redresser la situation. C’est ce que les leaders terroristes étrangers font. Et maintenant, nous voyons des leaders ici, dans notre propre pays, s’engager dans le même type de comportements antidémocratiques.

« Et le danger est que cela se propage dans les communautés locales, en commençant par les commissions électorales locales. »

Dans une certaine mesure, Lane Flynn est l’incarnation de ce développement. Pendant huit ans, cet homme d’affaires a occupé le poste de président du Parti républicain du comté de DeKalb, situé majoritairement en banlieue d’Atlanta, en Géorgie.

Or, le printemps dernier, il a décidé de ne pas solliciter un troisième mandat, reconnaissant ne plus être en phase avec les républicains de son comté.

« Nous existons depuis 240 ans »

« Les gens ont certainement le droit d’être représentés par quelqu’un qui est plus susceptible de partager leurs opinions », explique celui qui reconnaît la légitimité de la présidence de Joe Biden.

Lane Flynn décrit l’attaque du Capitole comme une « honte ».

Avec le recul, il est absurde de dire que la rhétorique de l’administration [Trump] et de certains médias de droite n’a pas contribué à la violence.

Lane Flynn, ancien président du Parti républicain du comté de DeKalb

Mais il refuse de voir dans l’attaque du 6 janvier 2021 un signe avant-coureur d’une démocratie en voie d’extinction.

« Nous existons depuis 240 ans, dit-il. Nous avons fait face à de pires crises dans le passé. Nous avons eu une guerre civile qui a tué plus de 600 000 Américains, et nous en sommes sortis plus forts. »

Theda Skocpol, qui ausculte l’« Amérique rouge » depuis des années, aimerait partager la confiance de Lane Flynn. Mais la radicalisation des républicains la fait douter.

« J’ai parlé à ces gens », dit la sociologue, qui a notamment cosigné The Tea Party and the Remaking of Republican Conservatism, ouvrage paru en 2012. « Ce sont des gens aimables qui croient des choses absolument malicieuses. C’est ce qui me surprend. Je ne me serais jamais attendue qu’un si grand nombre d’Américains croient en un être humain aussi maléfique que Donald Trump. »

Est-ce à dire que le monde pourra pousser un soupir de soulagement si ce dernier renonce à briguer la présidence en 2024 ?

« Non, répond Theda Skocpol. Vous pourriez avoir une version compétente de Trump. »

Objectif : Capitole

Le récit d’heure en heure de l’assaut contre le siège du Congrès à Washington

8 h 17

Tweet de Donald Trump : « Les États veulent corriger leurs votes, ils savent maintenant qu’ils étaient fondés sur des irrégularités et des fraudes […]. Tout ce que Mike Pence a à faire, c’est de les renvoyer dans les États ET NOUS AVONS GAGNÉ. Fais-le Mike, le moment du courage extrême est venu ! »

10 h 50

Devant les quelque 30 000 personnes rassemblées devant la Maison-Blanche pour une manifestation en soutien à Donald Trump, Rudolph Giuliani, avocat personnel du président, appelle à un « procès par combat ».

10 h 58

Un contingent des Proud Boys, groupe d’extrême droite, quitte le rassemblement et se dirige vers le Capitole.

12 h

Donald Trump entame son discours de plus d’une heure, répétant ses fausses allégations sur une élection truquée, critiquant Mike Pence et appelant ses partisans à marcher vers le Capitole et à se battre « comme des diables » pour « stopper le vol » de l’élection présidentielle.

12 h 28

Un agent du service de protection fédéral rapporte qu’entre 10 000 et 15 000 personnes se dirigent vers le Capitole.

12 h 53

Des émeutiers submergent la police le long du périmètre extérieur à l’ouest du Capitole, repoussant les clôtures temporaires.

12 h 58

Le chef de la police du Capitole, Steven Sund, demande aux sergents d’armes du Sénat et de la Chambre des représentants d’appeler au déploiement de la Garde nationale.

13 h

Peu après son entrée dans l’hémicycle de la Chambre avec les sénateurs, Mike Pence diffuse une lettre déclarant que la Constitution lui interdit d’intervenir dans la certification des résultats de l’élection présidentielle.

13 h 12

Le représentant républicain d’Arizona Paul Gosar et le sénateur républicain du Texas Ted Cruz s’opposent à la certification des résultats de l’élection présidentielle en Arizona. Les sénateurs et les représentants se séparent pour débattre de l’objection.

13 h 30

Débordés, les policiers sont forcés de se retirer sur les marches du Capitole.

13 h 34

La mairesse de Washington, Muriel Bowser, demande des renforts militaires au secrétaire de l’armée, Ryan McCarthy.

14 h 05

Kevin Greeson, un des partisans de Donald Trump, meurt d’une crise cardiaque à l’extérieur du Capitole.

14 h 12

Après des combats violents, un premier émeutier entre dans le Capitole par une fenêtre brisée, ouvrant par la suite une porte pour d’autres.

14 h 13

Mike Pence est transféré de l’hémicycle du Sénat à un bureau voisin. Le Sénat ajourne ses travaux.

14 h 14

L’officier Eugene Goodman éloigne un groupe d’émeutiers de l’endroit où le vice-président et des sénateurs sont évacués.

14 h 20

La Chambre ajourne ses travaux.

14 h 23

À l’extérieur du Capitole, Elie Khater, un émeutier, asperge d’un produit chimique le visage d’un policier du Capitole, Brian Sicknick, qui mourra le lendemain.

14 h 24

Tweet de Donald Trump : « Mike Pence n’a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays et notre Constitution, en donnant aux États une chance de certifier des faits corrigés, pas ceux frauduleux ou incorrects qu’on leur avait demandé de certifier. Les USA exigent la vérité ! »

14 h 28

Le chef de la police du Capitole appelle à nouveau au déploiement de la Garde nationale.

14 h 38

Tweet de Donald Trump : « S’il vous plaît, soutenez notre police et les forces de l’ordre du Capitole. Ils sont vraiment du côté de notre pays. Restez pacifiques ! »

14 h 44

Ashli Babbitt, une des émeutières, est abattue par la police du Capitole alors qu’elle tente de pénétrer dans le lobby du président de la Chambre en passant par une fenêtre.

15 h 19

Le secrétaire de l’armée informe le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, et la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, que la mobilisation de la Garde nationale a été approuvée.

16 h 05

Joe Biden tient une conférence de presse au cours de laquelle il appelle le président Trump à « demander une fin à ce siège ».

16 h 17

Donald Trump diffuse une vidéo dans laquelle il répète ses fausses allégations sur l’élection présidentielle, exprime son affection pour les émeutiers (« Nous vous aimons. Vous êtes très spéciaux », leur dit-il) et les prie de « rentrez chez [eux] en paix ».

16 h 26

Rosanne Boyland, une des partisanes de Donald Trump, est piétinée à mort à l’entrée d’un des tunnels du Capitole après avoir perdu connaissance à cause d’une surdose d’amphétamines.

17 h 20

Les premiers contingents de la Garde nationale arrivent au Capitole.

17 h 40

Les militaires et les policiers ont repris le contrôle du Capitole. Les dirigeants du Congrès annoncent que la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020 reprendra en soirée.

18 h 01

Tweet du président : « Voilà ce qui arrive quand une victoire électorale écrasante et sacrée est arrachée à ce point sans ménagement & violemment à de grands patriotes qui ont été injustement maltraités pendant si longtemps. Rentrez chez vous dans l’amour & la paix. Rappelez-vous ce jour à jamais ! »

19 h

Facebook retire les publications du président Trump de Facebook et Instagram pour avoir « contribué, plutôt que de diminuer, le risque de violence en cours ».

19 h 02

Twitter supprime les tweets de Trump et suspend son compte pendant 12 heures pour « violations répétées et graves de [sa] politique d’intégrité civique ».

20 h 06

Présidé par Mike Pence, le Sénat reprend le débat sur l’objection concernant la certification des résultats de l’élection présidentielle en Arizona.

21 h

Nancy Pelosi rouvre le débat à la Chambre.

7 janvier 2021

3 h 24

Après la défaite de toutes les objections, le Congrès complète la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020, confirmant la victoire de Joe Biden par 306 grands électeurs contre 232 grands électeurs pour Donald Trump.

Sources : The New York Times, Washington Post, CNN, Forbes, Daily Beast

Des auditions pour conjurer « une guerre civile »

Jill Wine-Banks nourrit de grands espoirs à l’égard de la commission du Congrès chargée d’enquêter sur le 6-Janvier.

« J’ai l’impression que les auditions télévisées pourraient éloigner les Américains du précipice d’une guerre civile et sortir certains d’entre eux de leurs silos d’information », dit l’unique femme de l’équipe de procureurs à avoir instruit l’affaire du Watergate.

PHOTO SHANNON STAPLETON, ARCHIVES REUTERS

Partisans de Donald Trump rassemblés devant le Capitole le 6 janvier 2021

Créée l’été dernier, la commission spéciale de la Chambre des représentants a déjà recueilli plus de 300 témoignages et 30 000 documents, dont une note de John Eastman, un des avocats de Donald Trump, qui explique comment Mike Pence aurait pu torpiller la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020 par le Congrès.

Or, malgré les pressions de Donald Trump, l’ex-vice-président a diffusé une lettre peu après 13 h, le 6 janvier, réitérant son intention d’accomplir son devoir constitutionnel.

Une heure plus tard, le Capitole était pris d’assaut par des partisans de l’ex-président, lequel venait de les encourager à marcher vers le siège du Congrès et à se battre « comme des diables » pour « stopper le vol » de l’élection.

PHOTO ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, 
ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Partisans de Donald Trump devant le Capitole, le 6 janvier 2021

« Pendons Mike Pence ! », ont scandé certains des émeutiers.

Des auditions télévisées

La commission d’enquête doit tenir en 2022 plusieurs semaines d’auditions télévisées. Selon sa vice-présidente, la représentante républicaine Liz Cheney, ces auditions devraient exposer « exactement ce qui s’est passé chaque minute de la journée du 6 janvier ici au Capitole et à la Maison-Blanche, et ce qui a conduit à cette violente attaque ».

Jill Wine-Banks espère que ces auditions auront le même effet sur l’opinion que celles tenues par le Congrès durant l’affaire du Watergate.

« Le peuple américain avait pu voir par lui-même ce qui était arrivé et mesurer la crédibilité de John Dean [conseiller juridique de la Maison-Blanche] par rapport à celle de Bob Haldeman [chef de cabinet de la Maison-Blanche]. Cela avait changé la perception du public de façon spectaculaire », rappelle la juriste de 78 ans.

Reste à voir s’il se trouvera un acteur pour tenir le rôle de John Dean, qui avait dévoilé les efforts de Richard Nixon pour cacher le rôle de la Maison-Blanche dans le cambriolage des bureaux du Parti démocrate à Washington. Plusieurs alliés de Donald Trump, dont Mark Meadows, Steve Bannon, Roger Stone et Mike Flynn, ont refusé de collaborer pleinement avec la commission.

N’empêche : la commission semble avoir élargi son mandat initial, qui consistait à établir les faits et proposer des lois. Désormais, elle cherche aussi à déterminer si des crimes ont été commis par Donald Trump et consorts, y compris la fraude électronique et l’entrave d’une procédure officielle du Congrès.

La fraude électronique serait liée aux collectes de fonds organisées par l’ancien président et ses alliés.

Il y a de nombreuses preuves du recours à de fausses informations [sur le scrutin de 2020] pour récolter des millions et des millions de dollars.

Jill Wine-Banks, procureure

L’autre crime pourrait découler des déclarations et actions de Donald Trump au cours de la journée du 6 janvier. La commission se penche notamment sur les 187 minutes qui se sont écoulées entre le début de l’attaque du Capitole et le moment où l’ancien président a exhorté ses partisans à rentrer à la maison.

Elle cherche également à savoir pourquoi le déploiement de renforts militaires a pris plus de trois heures.

La commission voudra terminer ses travaux avant les vacances d’été du Congrès et les dernières semaines de la campagne pour les élections de mi-mandat. Car les républicains ne manqueront pas de mettre fin à ses activités s’ils deviennent majoritaires à la Chambre après l’échéance électorale de novembre. Selon eux, la commission n’a d’autre objectif que de salir Donald Trump et ses électeurs.

Jill Wine-Banks a une autre explication.

« Ils ne veulent pas que les Américains sachent la vérité », dit-elle.