Dès l’annonce du premier verdict de culpabilité, une explosion de joie s’est produite dans la rue où George Floyd a rendu son dernier soupir, le 25 mai dernier.

D’autres clameurs, accompagnées de coups de klaxon, ont suivi la lecture des deux autres verdicts de culpabilité visant Derek Chauvin.

Et une larme a coulé le long de la joue de B. J. Wilder, un géant coiffé d’une casquette portant le slogan qui a retenti dans les rues des États-Unis et de nombreuses autres villes du monde après la mort de l’Afro-Américain de 46 ans : Black Lives Matter.

« Ma ville ne brûlera pas ce soir », a déclaré l’homme de 39 ans devant le mémorial fleuri en l’honneur de George Floyd, où des centaines de personnes s’étaient rassemblées mardi après-midi pour attendre le verdict du jury au procès de l’ex-policier blanc de 45 ans.

C’est un soulagement. C’est un nouveau jour. Enfin ! Un peu de justice. Nous pouvons enfin respirer. C’est comme si quelqu’un avait enlevé son genou de nos cous.

B. J. Wilder

Après un peu plus de 10 heures de délibérations, le jury au procès de Derek Chauvin a frappé fort, déclarant l’accusé coupable de meurtre au deuxième et au troisième degré et d’homicide involontaire. L’ancien policier, qui avait servi 19 ans au sein du service de police de Minneapolis avant d’être renvoyé, a aussitôt été menotté et écroué. Passible de 40 ans d’emprisonnement, il connaîtra sa peine dans huit semaines.

Le meurtre au deuxième degré — le chef d’accusation le plus grave — consiste à causer la mort d’une personne, sans intention de la causer, en commettant un autre crime. Dans cette affaire, le crime présumé était une agression au troisième degré.

Une vidéo accablante

Dans un pays où les jurys déclarent rarement coupables les policiers inculpés de meurtre, Derek Chauvin n’aura pu échapper à la révulsion provoquée par une vidéo de 8 minutes et 46 secondes filmée par Darnelle Frazier, une adolescente de 17 ans. Celle-ci se trouvait à l’extérieur d’un dépanneur appelé Cup Foods lors de l’arrestation de George Floyd pour usage d’un faux billet de 20 dollars.

Sa vidéo montre le policier blanc maintenant un genou sur le cou de George Floyd pendant que ce dernier répète près de 30 fois « je ne peux pas respirer » avant de mourir. Une version de 9 minutes et 29 secondes a été présentée pendant le procès. « Utilisez votre bon sens. Croyez vos yeux. Ce que vous avez vu, vous l’avez vu », a déclaré lundi l’un des procureurs de l’État du Minnesota, Steve Schleicher, lors de son argumentaire final.

Le jury, composé de sept femmes et de cinq hommes d’origines ethniques diverses, ne semble pas avoir eu de mal à ignorer les causes invoquées par l’avocat de Derek Chauvin, Eric Nelson, pour expliquer la mort de George Floyd — son hypertension artérielle, son cœur malade, sa consommation de drogues et son exposition au monoxyde de carbone, entre autres.

Les autorités de Minneapolis et du Minnesota ont partagé, jusqu’à un certain point, le sentiment de soulagement éprouvé par de nombreux Afro-Américains de cette ville, de cet État et de tous les autres endroits où ils sont présents aux États-Unis. Elles avaient déployé au centre-ville un imposant dispositif de sécurité, y compris quelque 3000 membres de la Garde nationale, par crainte de violences. De nombreux commerçants avaient de leur côté placardé leurs vitrines.

Or, après l’annonce du verdict, la foule massée devant le palais de justice de Minneapolis, au centre-ville, a réagi avec la même joie que celle du square nommé en l’honneur de George Floyd.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTOPHER HARRIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

George Floyd

Les réactions de Biden

À Washington, Joe Biden s’est exprimé deux fois plutôt qu’une à propos du procès de Derek Chauvin. En début d’après-midi, il a évoqué « la pression et l’anxiété ressentie » par la famille de George Floyd en cette deuxième journée de délibérations du jury.

« Je prie pour que le verdict soit le bon. À mon avis, c’est accablant », a déclaré le président après s’être entretenu au téléphone avec Philonise Floyd, l’un des frères de George Floyd.

En début de soirée, après un autre coup de fil aux Floyd, Joe Biden a salué le verdict, tout en reconnaissant qu’une telle décision était « trop rare » pour de nombreux Noirs victimes de brutalité policière.

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Le président américain Joe Biden, hier à la Maison-Blanche

« C’était un meurtre en pleine lumière du jour, et il a arraché les œillères au monde entier pour qu’il voie le racisme systémique dont la vice-présidente vient de parler », a-t-il déclaré de la Maison-Blanche après une intervention de Kamala Harris quelques instants plus tôt.

« Le racisme systémique est une tache sur l’âme de notre nation », a-t-il ajouté en appelant le Congrès à adopter un projet de réforme de la police qui a franchi l’étape de la Chambre des représentants, mais qui est bloqué au Sénat.

Cela peut être un pas de géant dans la marche vers la justice en Amérique.

Joe Biden, président des États-Unis

Comme il l’avait fait en après-midi, Joe Biden a exprimé en soirée de la compassion pour la famille Floyd, y compris George, cet ancien athlète à la fois charismatique et vulnérable, qui avait quitté le Texas dans l’espoir de refaire sa vie au Minnesota.

Il s’est notamment souvenu des mots que lui a dits la fillette du défunt, Gianna Floyd, le printemps dernier : « Papa a changé le monde. »

PHOTO NICHOLAS PFOSI, REUTERS

Philonise Floyd, frère de George, et Ben Crump, avocat de la famille, crient victoire lors d’une conférence de presse à Minneapolis après l’annonce du verdict.

Un verdict ne suffit pas

À l’intersection de la 36e Rue et de l’avenue Chicago, où les voies de George Floyd et de Derek Chauvin se sont croisées pour la dernière fois, certains en doutaient.

« La police est satisfaite de pouvoir sacrifier un gars comme Chauvin, qui était vraiment une pomme pourrie », a déclaré Tuan Bah, chômeur de 37 ans. « Mais, au jour le jour, elle va continuer à se protéger. Il n’y aura pas de changement réel. Peu importe la ville, les dirigeants protègent la police. Regardez ce qui vient de se passer à Chicago. »

Tuan Bah faisait référence à la mort d’Adam Toledo, cet adolescent hispanique de 13 ans abattu le 29 mars dernier par un policier après avoir levé les mains pour lui montrer qu’il n’était pas armé. Jeudi, la région de Minneapolis vivra un autre moment difficile à l’occasion des funérailles de Daunte Wright, ce jeune Noir de 20 ans tué lors d’une arrestation par une policière blanche qui croyait avoir à la main son pistolet Taser.

« La justice a été rendue dans le cas de George Floyd, mais il y a encore tant à faire », a déclaré Lolita Johnson, travailleuse sociale de 39 ans. « Au Minnesota, nous faisons face aux préjugés implicites, au racisme systémique, à des problèmes qui vont bien au-delà la sécurité publique. Cela s’étend aux soins de santé, au système d’éducation, au marché du travail. Ce verdict, aussi bienvenu soit-il, ne peut pas être le mot de la fin. »