(New York) Il avait promis de rétablir les normes bafouées par son prédécesseur. Or, pendant ses deux premiers mois à la Maison-Blanche, il aura ignoré l’une d’elles. Comment ? En devenant le premier président américain en plus de 100 ans à ne pas tenir une seule conférence de presse officielle au cours de cette période.

Joe Biden mettra fin à ce record ce jeudi à 14 h, mais pas avant d’avoir été critiqué par nombre de journalistes pour son refus de se plier à une tradition instituée en 1913 par Woodrow Wilson. Ronald Reagan et Bill Clinton n’ont-ils pas tous les deux pris part à ce rituel dès le neuvième jour de leur présidence respective ?

« Il est le président, et les Américains sont en droit de s’attendre à ce qu’il se soumette régulièrement à des questions substantielles », a sermonné la page éditoriale du Washington Post, le 7 mars dernier.

Deux jours plus tard, l’animateur de Fox News Sean Hannity accusait la Maison-Blanche de « cacher » Joe Biden pour cause de déclin cognitif.

On verra bien.

En attendant, Nikki Usher, professeure de journalisme à l’Université d’Illinois, croit comprendre pourquoi la Maison-Blanche a attendu au 65jour de la présidence de Joe Biden pour programmer son premier grand oral.

« Je pense qu’ils veulent prolonger la phase de la lune de miel le plus longtemps possible », a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique, en faisant allusion au taux de popularité relativement élevé dont jouit le 46président.

La professeure Usher estime en outre que Joe Biden a hérité de Barack Obama son approche ambivalente à l’égard des médias. Les deux hommes respectent le rôle des journalistes, mais ils se méfient d’eux.

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit quand même de politiciens qui comprennent que la presse est une épée. Et cette épée peut faire très mal si elle est manipulée de la mauvaise façon.

Nikki Usher, professeure de journalisme à l’Université d’Illinois

« Tout à perdre »

John Kennedy est l’un des présidents qui ont su le mieux tirer avantage de cette arme. Le 25 janvier 1961, soit cinq jours seulement après son investiture, il est devenu le premier président américain à tenir une conférence de presse télévisée en direct. Il a souvent donné l’impression d’aimer ce rituel qui lui permettait de rivaliser d’esprit avec les journalistes et d’étaler son sens de l’humour.

Les présidents américains et les médias
  • Aux conférences de presse officielles, le président Trump préfère des rencontres plus informelles avec les journalistes, comme ici dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, en mai 2017.

    PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    Aux conférences de presse officielles, le président Trump préfère des rencontres plus informelles avec les journalistes, comme ici dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, en mai 2017.

  • Barack Obama s’adresse aux journalistes, lors de la première conférence de presse diffusée à heure de grande écoute de sa présidence, le 9 février 2009.

    PHOTO CHARLES DHARAPAK, ARCHIVES LA PRESSE

    Barack Obama s’adresse aux journalistes, lors de la première conférence de presse diffusée à heure de grande écoute de sa présidence, le 9 février 2009.

  • Bill Clinton répond aux questions des reporters, lors de la première conférence de presse de son second mandat, le 28 janvier 1997.

    PHOTO PAUL J. RICHARDS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Bill Clinton répond aux questions des reporters, lors de la première conférence de presse de son second mandat, le 28 janvier 1997.

  • John Kennedy, lors de sa première conférence de presse — télévisée et en direct — en tant que président, le 25 janvier 1961

    PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    John Kennedy, lors de sa première conférence de presse — télévisée et en direct — en tant que président, le 25 janvier 1961

  • En attendant l’arrivée du président Dwight Eisenhower, les journalistes s’assoient à leur place, alors que les caméramans et photographes installent leur matériel au fond de la salle, quelques minutes avant le début de la première conférence de presse où une couverture visuelle intégrale est permise à la Maison-Blanche, le 19 janvier 1955.

    PHOTO BILL ALLEN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    En attendant l’arrivée du président Dwight Eisenhower, les journalistes s’assoient à leur place, alors que les caméramans et photographes installent leur matériel au fond de la salle, quelques minutes avant le début de la première conférence de presse où une couverture visuelle intégrale est permise à la Maison-Blanche, le 19 janvier 1955.

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Mais son prédécesseur immédiat, Dwight Eisenhower, a sans doute exprimé l’opinion de plusieurs présidents concernant les conférences de presse, télévisées en direct ou non. « Je vais monter la croix hebdomadaire habituelle et vous laisser planter les clous », a-t-il déclaré aux journalistes au début de sa présidence.

Cette attitude n’est pas injustifiée, selon David Clementson, professeur de journalisme à l’Université de Géorgie.

« Selon mes recherches, un président a pratiquement tout à perdre et très peu, voire rien, à gagner en tenant une conférence de presse », a-t-il déclaré lors d’une conversation téléphonique.

David Clementson donne quatre raisons pour expliquer le phénomène. L’une tient au fait que les téléspectateurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, ont tendance à donner raison aux journalistes lorsque ceux-ci reprochent au président d’avoir éludé une question.

« Malgré les sondages indiquant une perte de confiance dans les médias, les gens croient les journalistes dans ces circonstances », a expliqué le professeur.

Donald Trump semble avoir lui-même confirmé une autre des raisons avancées par David Clementson.

Plus le président parle, moins il sera présidentiel, car il devra dire des choses qui divergeront inévitablement des opinions, expériences, espoirs, rêves et désirs personnels des électeurs.

David Clementson, professeur de journalisme à l’Université de Géorgie

« De façon plus générale, les recherches démontrent que la familiarité engendre le mépris », poursuite le professeur Clementson.

Le prédécesseur de Joe Biden aurait notamment validé cette thèse le printemps dernier lorsque ses conférences de presse quotidiennes sur la pandémie de coronavirus ont contribué à cimenter les opinions défavorables des électeurs à son égard.

L’exemple d’Obama

Voilà donc un modèle que Joe Biden ne cherchera pas à imiter.

« Durant l’administration précédente, chaque conférence de presse générait de la nouvelle à cause des choses outrageantes que le président disait, a rappelé Nikki Usher. Vous ne verrez pas cela avec le président Biden. Il ne s’attaquera pas à des journalistes et ne les traitera pas de tous les noms. »

Mais il devra surmonter ses propres penchants, dont celui de commettre des gaffes verbales. Ce défaut a peut-être pesé sur la décision de la Maison-Blanche de reporter la date de cette première conférence de presse.

Or, au moment de fixer cette date, les conseillers de Joe Biden ne savaient pas encore que certains sujets explosifs, dont la gestion de la frontière sud et le contrôle des armes à feu, rivaliseraient d’importance avec la COVID-19 et l’économie.

Chose certaine, Joe Biden voudra éviter de nuire à son propre message en commettant une déclaration controversée sur un sujet secondaire. Son ancien patron, Barack Obama, est tombé dans ce piège, le 22 juillet 2009, lors d’une conférence de presse devant porter sur son projet de réforme de la santé.

« La police de Cambridge a agi de façon stupide », a-t-il déclaré au milieu d’une réponse plutôt nuancée sur l’arrestation par un policier blanc du professeur noir de Harvard Henry Louis Gates sur son propre balcon.

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le sergent James Crowley, de la police de Cambridge, boit une gorgée, alors qu’il prend une bière en compagnie de Joe Biden (de dos), du professeur Henry Louis Gates et de Barack Obama, à la Maison-Blanche, en 2009.

Pour désamorcer la controverse qui avait suivi sa réponse, Barack Obama avait dû inviter le professeur et le policier à boire une bière à la Maison-Blanche.

« Bien plus tard, j’ai appris […] que l’affaire Gates avait provoqué une énorme chute de mon soutien parmi les électeurs blancs, plus importante que celle qui résulterait de tout autre évènement au cours des huit années de ma présidence. C’est un soutien que je n’allais jamais récupérer complètement », a écrit Barack Obama dans Une terre promise, ses mémoires.