(New York) Octobre 2020 : tablant sur sa nouvelle image de héros national, voire international, Andrew Cuomo distille ses « leçons de leadership » inspirées de sa gestion de la pandémie de coronavirus dans un nouveau livre qui deviendra un best-seller.

« Donald Trump n’était pas le seul à avoir un microphone. J’en avais un, moi aussi. Et j’avais quelque chose d’autre : la crédibilité », écrit le gouverneur démocrate de New York dans American Crisis.

À la veille de la parution du livre, l’hebdomadaire The New Yorker consacre à l’auteur un portrait coiffé d’un titre évocateur (et un brin sarcastique) : « Le roi de New York ». Le mois suivant, le même homme reçoit un prix Emmy en reconnaissance de « son utilisation magistrale de la télévision pour informer et calmer les gens partout à travers le monde ».

Quelques mois plus tard, Andrew Cuomo traverse la pire crise de sa carrière politique. Ses problèmes ont pour origine sa gestion de la pandémie dans les établissements pour personnes âgées de l’État. Gestion qui vaut aujourd’hui à son administration de faire l’objet d’une enquête menée conjointement par le FBI et le bureau du procureur fédéral de Brooklyn.

Et voilà que le gouverneur est soupçonné non seulement d’avoir contribué à la mort inutile de milliers d’aînés, mais également d’avoir cherché à camoufler les données sur ces décès.

Est-ce à dire que le « roi de New York » était nu ?

Selon Richard Mollot, directeur d’un groupe de pression new-yorkais, Andrew Cuomo a longtemps bien paru en comparaison avec Donald Trump, qui « était une telle catastrophe en tant que président, en tant que personne aux prises avec une urgence sanitaire presque sans précédent et en tant qu’être humain ».

« Le fait d’avoir dans la pièce une personne qui parlait comme un adulte était une révélation pour les gens », a ajouté celui dont l’organisation s’intéresse aux établissements pour aînés.

Un rapport cinglant

Mais Donald Trump n’est plus à la Maison-Blanche. Et des problèmes qui ont été balayés sous le tapis par Andrew Cuomo et des médias parfois complaisants ont refait surface au cours des dernières semaines.

La redoutable procureure générale de New York, Letitia James, a relancé une des controverses le 28 janvier dernier. Dans un rapport cinglant de 76 pages, la démocrate de 62 ans a confirmé que l’État de New York avait sous-estimé de façon grossière le nombre de décès liés à la COVID-19 chez les résidants d’établissements pour personnes âgées. Comme les critiques d’Andrew Cuomo le disaient déjà, l’État avait brossé un portrait partiel de la situation en excluant de son bilan les résidants morts à l’hôpital.

Du coup, le bilan officiel des décès liés à la COVID-19 est passé de 8500 à environ 15 000 chez les résidants d’établissements pour aînés de l’État de New York.

Le rapport de la procureure générale a été suivi il y a deux semaines par un aveu explosif de l’adjointe principale d’Andrew Cuomo. Lors d’une rencontre virtuelle avec des parlementaires new-yorkais, Melissa DeRosa a admis que l’État avait refusé de leur fournir, l’été dernier, le nombre exact de morts de la COVID-19 dans les établissements pour aînés, afin de ne pas donner de munitions à l’administration Trump et à son ministère de la Justice, qui auraient pu les utiliser contre le gouverneur.

L’aveu a suscité l’indignation générale.

« Ça illustre un mépris total pour le bien-être des résidants, actuels ou futurs. Ces données sont essentielles », a commenté Richard Mollot, directeur du groupe de pression Long-Term Care Community Coalition. « Pouvez-vous imaginer si vous viviez à New York et qu’un de vos parents avait besoin de soins en maison de retraite et que vous le placiez dans un endroit que vous pensiez être bon alors qu’en réalité, il y a eu un tas de morts ? »

Une ordonnance controversée

Une autre question est de savoir si l’administration Cuomo a commis une entrave à la justice. Sa crainte de la politisation des données de l’État par le procureur général des États-Unis, William Barr, n’était peut-être pas infondée. Mais il demeure que ce dernier avait bel et bien demandé ces données, le 26 août dernier, aux gouverneurs démocrates de quatre États, dont New York, ayant émis des ordonnances relatives à la COVID-19 et « susceptibles d’avoir causé le décès de résidants d’établissements pour personnes âgées ».

Dans le cas de l’État de New York, une ordonnance liée à la COVID-19 a été émise le 25 mars dernier.

Elle poussait les établissements pour personnes âgées à admettre ou à réadmettre des résidants ayant reçu leur congé de l’hôpital après y avoir été traités pour la COVID-19, et ce, même s’ils étaient encore contagieux. L’idée était de libérer des lits d’hôpitaux le plus rapidement possible.

L’ordonnance a été retirée le 10 mai. Entre-temps, les établissements pour personnes âgées de New York ont accueilli plus de 6300 résidants positifs à la COVID-19.

Combien d’aînés sont morts dans les établissements pour personnes âgées de New York à cause de l’ordonnance d’Andrew Cuomo ? La question reste en suspens en attendant la fin des enquêtes en cours et à venir. Mais les critiques du gouverneur ne se satisfont pas de son explication selon laquelle des foyers de contamination existaient dans ces établissements avant même l’ordonnance du 25 mars.

Janice Dean, météorologue chez Fox News, est devenue l’une des figures les plus reconnues parmi ces critiques, après avoir vu ses beaux-parents succomber à la COVID-19. La Canadienne d’origine éprouve aujourd’hui des sentiments ambivalents face au déballage médiatique concernant la gestion de la pandémie dans les établissements pour aînés de New York.

Tout en se disant « reconnaissante » de voir les médias s’intéresser « enfin aux décisions tragiques » du gouverneur Cuomo et à la « dissimulation qui a suivi », cet intérêt semble arriver un peu tard « pour les familles qui dénoncent la situation depuis 10 mois », a-t-elle déclaré à La Presse.

« Cependant, si cela signifie que nos familles verront un peu de justice pour les êtres chers que nous avons perdus, alors je me réjouis des manchettes. Mieux vaut tard que jamais », a-t-elle ajouté.

56 %

Malgré les tuiles qui lui tombent sur la tête, Andrew Cuomo demeure relativement populaire dans l’État de New York. Selon un sondage du Sienna College publié mardi dernier, 56 % des électeurs de son État sont satisfaits de sa performance. C’est quand même 21 points de pourcentage de moins qu’en avril 2020, alors que ses conférences de presse marquées au coin de la franchise et de la compassion, du moins en apparence, lui valaient des compliments dans les médias américains et internationaux.