La première année du mandat de Joe Biden se termine sur un bilan en demi-teinte. À tort ou à raison, on juge que le nouveau président des États-Unis n’a pas été à la hauteur des attentes et de ses propres ambitions. Professeur de politique américaine à l’Université Concordia, Graham Dodds explique les raisons de cette déception…

Q. Comment décrire la première année du mandat de Joe Biden ? Y a-t-il un mot pour résumer le tout ?

R. S’il n’y en avait qu’un, je dirais « déception ». Les attentes étaient très hautes, trop peut-être. Beaucoup de gens pensaient qu’une fois Trump parti, tout reviendrait à la normale. D’autres pensaient qu’ils seraient le nouveau Franklin Delano Roosevelt, qu’il changerait l’État-providence américain, qu’il se débarrasserait des inégalités, qu’il résoudrait le problème de la pandémie, qu’il inverserait la tendance conservatrice en politique américaine. Mais tout cela était irréaliste. Les États-Unis sont un pays très divisé, et Biden ne peut pas faire ce qu’il veut. Il a besoin du Congrès, qui est lui-même très divisé.

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Graham Dodds, professeur de politique américaine à l’Université Concordia

Q. Quelles sont ses réalisations, malgré tout ?

R. Il a eu un certain succès avec la pandémie, entre autres dans la distribution des vaccins. Il a aussi réussi à faire signer sa loi d’infrastructures, ce que les deux présidents avant lui n’avaient pas réussi à faire. Un bon coup. Il a nommé des juges, qui seront en poste pendant des décennies et auront un impact à long terme. Je crois aussi qu’il a réassuré ses alliés sur le plan international.

Q. Son niveau de popularité est pourtant au plus bas. Un récent sondage nous apprend que seulement 40 % des Américains approuvent sa présidence. Seul Donald Trump a fait pire que lui après un an à la Maison-Blanche. Où a-t-il raté son coup ?

R. On a l’impression que Biden a sous-performé parce que la pandémie est encore là, que l’économie est fragile et qu’il n’a pas réussi à faire adopter Build Back Better, son ambitieux programme de réformes sociales et environnementales. Il s’est laissé narguer pendant des mois par le sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Joe Manchin, qui a fini par s’opposer au plan. Mais en effet, je crois qu’il aurait pu faire mieux sur certains points.

Q. À quoi pensez-vous ? Au retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan, qui a permis le retour des talibans à Kaboul ?

R. Il a mal paru sur ce point, sans aucun doute. Ça lui a fait mal politiquement même si, à sa décharge, il honorait l’entente que Donald Trump avait négociée. Mais ce n’est pas tout. Sur le plan intérieur, il aurait pu mieux communiquer sur l’économie pour convaincre les Américains que tout ne va pas si mal. Il aurait aussi pu agir plus tôt pour certaines nominations importantes. Le nouvel ambassadeur à Ottawa n’a été nommé qu’il y a quelques semaines. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Enfin, il aurait pu être moins « patient » avec le Congrès et faire plus de choses plus rapidement. Mais il semble que ce ne soit pas sa personnalité…

Q. Justement. Comment décrivez-vous son style de présidence ?

R. C’est un président qui croit aux processus institutionnels, qui essaie d’être gentil, d’abaisser la température, de ne pas être trop brutal. Il y a beaucoup moins de drame qu’avec Donald Trump. C’est une grosse différence. Avec Trump, on pouvait chaque jour s’attendre à des insultes ou des déclarations spectaculaires. Il n’y a rien de cela avec Biden. Moins divertissant ? Je suppose. Ennuyeux ? Je ne sais pas.

Q. À quoi doit-on s’attendre, selon vous, pour l’année 2022 ?

R. Chaque président est habituellement au sommet le premier jour de son mandat, et devient de moins en moins populaire à mesure que les jours passent. Il y a des chances pour que l’environnement politique de Biden lui soit de moins en moins acquis. Les élections de mi-mandat, qui doivent avoir lieu l’an prochain, sont traditionnellement défavorables au parti au pouvoir. Il y a des chances pour que les républicains prennent le contrôle de la Chambre des représentants des États-Unis, probablement du Sénat. Il est aussi possible que la Cour suprême rende des décisions qui pousseront les politiques à droite concernant l’avortement ou le contrôle des armes à feu. Bref, si Biden a eu de la difficulté à agir cette année, ça risque d’être encore plus difficile pour lui en 2022. Et puis il y a la politique étrangère. Il doit rassurer l’OTAN. Faire face à la Chine et la contenir. De même avec la Russie. Si Poutine attaque l’Ukraine, ce sera un test pour lui.

Il y a des choses préoccupantes. Mais au fond, qui peut vraiment prédire ce qui va se passer ?