(New York) Pendant un conciliabule entre les avocats et la juge au procès de Ghislaine Maxwell, le tout premier témoin de la défense a esquissé un sourire en direction de l’ancienne compagne de Jeffrey Epstein, jeudi matin, dans une salle d’audience de Manhattan.

Derrière le masque noir qui cachait la moitié de son visage, la fille du magnat de la presse britannique Robert Maxwell a peut-être rendu son sourire au témoin, Cimberly Espinosa, qui lui a servi d’assistante de 1996 à 2002. Impossible d’en être certain.

Ce qui est sûr, cependant, c’est que l’accusée de 59 ans a passé une meilleure journée que les 10 précédentes d’un procès qui pourrait lui valoir une peine d’emprisonnement de 80 ans si elle est reconnue coupable d’avoir fourni au financier de New York des jeunes filles mineures afin qu’il puisse les exploiter sexuellement.

« Je respectais beaucoup Ghislaine », a déclaré Espinosa en évoquant les années au cours desquelles elle s’occupait de gérer avec Maxwell les nombreuses propriétés d’Epstein. « Je l’admirais. »

En six ans de travail auprès d’Epstein et Maxwell, Espinosa a affirmé ne jamais les avoir vus s’engager dans une activité inappropriée avec des filles mineures. Elle a même décrit Epstein comme un homme « généreux » qui payait les frais de scolarité des enfants de ses employés et leur donnait des billets gratuits pour un spectacle aussi couru que The Lion King après son ouverture à Broadway.

Des récits bouleversants

C’était la première fois que les membres du jury entendaient quelque chose de positif à propos de Ghislaine Maxwell et Jeffrey Epstein. Au cours des journées précédentes, les procureurs fédéraux avaient dépeint la figure mondaine de la jet-set comme une rabatteuse doublée d’une prédatrice qui recrutait et dressait des adolescentes vulnérables pour les offrir en pâture à un pervers millionnaire.

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Ghislaine Maxwell, lors de son procès, jeudi

Quatre femmes, dont trois ont témoigné sous des pseudonymes, ont présenté aux jurés des récits bouleversants. À tour de rôle, elles ont affirmé avoir été d’abord séduites par la sollicitude de Maxwell et l’offre d’aide financière d’Epstein avant d’être poussées à accomplir des actes sexuels tarifés à New York, en Floride et au Nouveau-Mexique, de 1994 à 2004.

« Carolyn » s’est notamment souvenue d’un commentaire de Ghislaine Maxwell alors que celle-ci palpait son corps nu d’adolescente de 14 ans. « Tu as un corps superbe pour M. Epstein et ses amis », lui aurait dit Maxwell.

« Mon âme est brisée », a dit « Carolyn » à la barre en éclatant en sanglots.

Mais les avocats de la défense n’ont pas manqué d’exploiter les contradictions ou les incohérences des principaux témoins de l’accusation. Lors d’un contre-interrogatoire, l’un d’eux a notamment placé « Carolyn » sur la défensive en rappelant qu’elle n’avait pas mentionné le nom de Ghislaine Maxwell lors d’une interview avec le FBI en 2007 ou dans des poursuites subséquentes contre Jeffrey Epstein.

Une experte à la barre

La défense a poursuivi son travail de sape jeudi en appelant à la barre Elizabeth Loftus, célèbre psychologue cognitive américaine et spécialiste de la mémoire humaine, dont la renommée découle notamment de ses recherches sur la fabrication et le fonctionnement des « faux souvenirs ».

La professeure de l’Université de la Californie à Irvine a expliqué aux jurés que ses recherches l’avaient poussée à conclure que le fait d’être exposés à des faussetés pouvait conduire des gens à former de faux souvenirs qu’ils considèrent comme réels.

« Au fur et à mesure que la mémoire s’amenuise, elle devient plus vulnérable à la contamination », a déclaré Loftus en réponse à une question de Bobbu Sternheim, une des avocates de Ghislaine Maxwell.

« Les gens deviennent la proie de la désinformation. Ça devient leur mémoire », a-t-elle ajouté.

L’experte n’a commenté aucun des témoignages de la poursuite, qui ont pris fin vendredi dernier par celui d’Annie Farmer, la seule victime présumée du duo Epstein-Maxwell qui s’est exprimée sans pseudonyme. Mais il est évident que les avocats de la défense se serviront de ses théories sur les faux souvenirs lors de leurs plaidoiries finales.

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La psychologue Elizabeth Loftus quitte le tribunal après avoir témoigné au procès de Ghislaine Maxwell, jeudi, à New York.

Les procureurs fédéraux avaient demandé en vain à la juge au procès, Alison Nathan, de refuser à la défense le droit d’appeler la professeure Loftus à la barre.

De Weinstein à Maxwell

Lors de leur contre-interrogatoire, ils ont mis en cause l’intégrité de l’experte en laissant entendre que son témoignage pour la défense était inspiré par la soif du gain. Loftus a admis être payée 600 $ de l’heure par les avocats de Ghislaine Maxwell.

Lara Pomerantz a également rappelé que Loftus avait témoigné des centaines de fois pour la défense lors de procès, mais seulement une fois pour la poursuite. L’un de ces témoignages est survenu lors du procès de l’ancien producteur de cinéma Harvey Weinstein.

« Vous avez écrit en 1991 un livre sur votre expérience intitulé Witness for the Defense [Témoin pour la défense], n’est-ce pas ? a demandé Pomerantz.

— Exact, a répondu Loftus.

— Avez-vous écrit un livre intitulé Impartial Defense ?

— Je n’ai pas de livre portant un tel titre. »

En réponse à une question de Pomerantz, l’experte a admis que la mémoire pouvait devenir plus fiable si une personne a été victime d’expériences traumatisantes répétées.

« Plus vous êtes exposé à quelque chose, meilleure est votre mémoire », a-t-elle dit.

On se doute que cette réponse n’a pas soutiré à Ghislaine Maxwell un sourire sous son masque noir.