Un tribunal d’appel britannique a autorisé vendredi l’extradition vers les États-Unis du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, qui fait face à des accusations d’espionnage susceptibles de lui valoir des décennies de prison.

La décision a suscité une levée de boucliers immédiate de nombreuses organisations de défense de la liberté de la presse, inquiètes d’un « dangereux précédent » pouvant décourager les enquêtes journalistiques sur les questions de sécurité nationale.

La Haute Cour de Londres a conclu que la juge ayant traité le dossier en première instance, Vanessa Baraitser, avait erré en janvier en refusant l’extradition de Julian Assange sous prétexte qu’il souffrait de dépression et risquait de se suicider une fois détenu outre-mer.

La justice américaine a fourni par la suite une série d’assurances visant à garantir que l’homme de 50 ans serait bien traité, précisant notamment qu’il ne serait jamais placé en isolement ou détenu dans une prison à sécurité maximale et qu’il pourrait éventuellement purger sa peine en Australie, d’où il est originaire, s’il est condamné.

Selon le tribunal d’appel, les États-Unis auraient dû se voir accorder la possibilité d’offrir ces assurances avant que la décision de janvier ne soit rendue puisqu’elles permettent d’écarter les craintes évoquées pour sa santé mentale.

Le dossier doit maintenant être transmis sur ordre de la Haute Cour de Londres à la secrétaire d’État à l’Intérieur, Priti Patel, qui doit donner son aval avant que l’extradition puisse aller de l’avant.

PHOTO DANIEL LEAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Julian Assange sur le balcon de l’ambassade de l'Équateur à Londres, en mai 2017

Documents sensibles

Les avocats de Julian Assange ont fait savoir dans un communiqué qu’ils entendaient porter la cause en appel devant la Cour suprême dans l’espoir de bloquer le processus.

Rien ne garantit cependant que le tribunal acceptera de se pencher sur la question.

Julian Assange a été arrêté en 2019 après être demeuré pendant sept ans dans l’ambassade d’Équateur à Londres pour échapper aux suites d’une enquête lancée en Suède sur des allégations d’agression sexuelle qui a depuis été abandonnée.

Son équipe de défense a déjà affirmé que sa décision de s’installer dans l’ambassade découlait de sa crainte d’être rapidement extradé du pays scandinave vers les États-Unis.

La justice américaine lui reproche d’avoir aidé en 2010 l’analyste militaire Chelsea Manning à obtenir des documents sensibles sur les actions de l’armée en Irak et en Afghanistan ainsi que des centaines de milliers de câbles diplomatiques confidentiels avant de les diffuser, sur WikiLeaks, sans précautions appropriées.

Il aurait ainsi porté atteinte à la sécurité nationale et contrevenu, selon l’acte d’accusation, aux dispositions d’une vieille loi américaine sur l’espionnage.

Dans sa décision rendue en janvier, la juge Baraitser avait cautionné de larges pans des allégations américaines quant au caractère criminel des activités de Julian Assange avant d’évoquer sa santé mentale pour refuser l’extradition.

PHOTO HOLLIE ADAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

La prison HMP Belmarsh de Londres, où Julian Assange est détenu

« En danger »

Rebecca Vincent, de l’organisation Reporters sans frontières, a accusé vendredi la Haute Cour de Londres de « jouer avec la vie » du fondateur de WikiLeaks en approuvant son extradition malgré sa fragilité.

Il a été visé parce qu’il a publié des informations qui étaient d’intérêt public, ce qui ne devrait pas être un crime aux États-Unis ou ailleurs.

Rebecca Vincent, de Reporters sans frontières

La conjointe de Julian Assange, Stella Morris, a décrié la décision en relevant que son conjoint était un journaliste d’exception injustement ciblé pour avoir mis en lumière des « crimes de guerre » américains.

« Comment les juges peuvent-ils accepter de l’extrader vers un pays qui a comploté pour le tuer ? », a-t-elle déclaré en faisant écho à une récente enquête de Yahoo News suggérant que les services de renseignement américains avaient échafaudé des plans pour l’enlever ou l’éliminer alors qu’il vivait dans l’ambassade à Londres.

« La vie de Julian est encore une fois en danger, tout comme le droit des journalistes de publier des informations que les gouvernements et les grandes entreprises jugent dérangeantes », a souligné l’éditeur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson.

Le directeur adjoint du Comité pour la protection des journalistes, Robert Mahoney, a déploré dans la même veine qu’un jugement « qui porte gravement atteinte au journalisme » soit rendu le jour même où deux journalistes, philippin et russe, recevaient le prix Nobel de la paix pour leur travail.

L’administration du président américain Joe Biden devrait, dit M. Mahoney, montrer son attachement à la liberté de la presse en garantissant qu’aucun journaliste d’enquête ne puisse être poursuivi en fonction des dispositions de la loi sur l’espionnage.

175 ans

Durée maximale de la peine d’emprisonnement à laquelle s’expose Julian Assange s’il est reconnu coupable des accusations portées contre lui par la justice américaine

Source : Comité pour la protection des journalistes