(New York) Malgré leurs efforts les plus vaillants, les élus républicains du Texas ont échoué à soustraire leur loi controversée sur l’avortement à l’examen des tribunaux fédéraux. Mais ils n’ont encore rien perdu, tant s’en faut.

Dans une décision rendue vendredi matin, la Cour suprême des États-Unis a autorisé les cliniques d’avortement du Texas à contester devant un juge fédéral de première instance la loi de cet État du Sud-Ouest qui interdit la plupart des avortements après la sixième semaine de grossesse.

Or, loin de se réjouir de cette décision, les militants et les groupes pro-choix l’ont accueillie avec une bonne dose de pessimisme. Car la plus haute instance américaine n’a pas simplement refusé de bloquer cette loi qui délègue au citoyen ordinaire le pouvoir de la faire respecter, avec la possibilité d’empocher une prime d’au moins 10 000 $ en cas de condamnation.

Elle n’a également fourni aux cliniques d’avortement qu’une voie étriquée pour la contester. Et ce, même si la mesure viole un droit constitutionnel conféré par l’arrêt « Roe v. Wade », qui a légalisé l’avortement aux États-Unis en 1973 jusqu’à la viabilité fœtale, soit environ 22 semaines.

Il est stupéfiant de constater que la Cour suprême a essentiellement déclaré que les tribunaux fédéraux ne peuvent pas arrêter ce système de chasseur de primes adopté pour refuser de manière flagrante aux Texanes leur droit constitutionnel à l’avortement.

Nancy Northup, présidente du Center for Reproductive Rights

« La Cour a abandonné son devoir de veiller à ce que les États ne défient pas ses décisions. Cela fait maintenant 100 jours que cette interdiction de six semaines est en vigueur, et la décision d’aujourd’hui signifie qu’il n’y a pas de fin en vue », poursuit Mme Northup.

Tous les juges de la Cour suprême, sauf l’ultraconservateur Clarence Thomas, ont ouvert la voie à la contestation de la loi texane devant la justice fédérale. Mais une majorité de cinq juges conservateurs a exclu de poursuites éventuelles de nombreux responsables texans, dont le procureur général, les juges et les greffiers des tribunaux de l’État. Seuls les responsables autorisés à prendre des mesures disciplinaires contre les cliniques d’avortement pourront être poursuivis.

Ils sont au nombre de quatre.

Les héritiers de John C. Calhoun

C’était la troisième fois que la Cour suprême déclinait de bloquer la loi texane. L’instance avait refusé de le faire une première fois le jour de son entrée en vigueur, le 1er septembre dernier.

Comme cela avait été le cas en septembre, la juge progressiste Sonia Sotomayor a exprimé sa dissidence en ne ménageant ni les législateurs texans ni ses collègues de la Cour suprême.

En faisant référence aux femmes du Texas qui n’ont pas les moyens de se rendre dans un autre État pour obtenir un avortement, elle a écrit : « Leur seule alternative est de mener à terme des grossesses non désirées ou de tenter des avortements volontaires en dehors du système médical. »

La Cour aurait dû mettre un terme à cette folie il y a des mois, avant que la loi S.B. 8 n’entre en vigueur. Elle n’a pas réussi à le faire alors, et elle échoue encore aujourd’hui.

— Sonia Sotomayor, juge progressiste

Dans un passage enflammé de sa dissidence, la magistrate originaire du Bronx a reproché aux membres du bloc conservateur de la Cour de faire le jeu de politiciens qui adoptent aujourd’hui des tactiques comparables selon elle à celles de John Calhoun, grand défenseur de l’esclavage au XIXsiècle.

« C’est un défi effronté à notre structure fédérale, a-t-elle écrit à propos de la loi texane. Elle fait écho à la philosophie de John C. Calhoun, un virulent défenseur du Sud esclavagiste, qui insistait sur le fait que les États avaient le droit d’apposer leur “veto” ou d’“annuler” toute loi fédérale avec laquelle ils étaient en désaccord. »

En signant l’opinion de la majorité, le juge conservateur Neil Gorsuch a ignoré les attaques les plus dures de la juge Sotomayor. Il a précisé que la décision de la Cour suprême était de nature procédurale, sans plus.

« Dans cette affaire préliminaire, la Cour n’est pas saisie de l’ultime question de fond – à savoir si la loi S.B. 8 est conforme à la Constitution fédérale. La sagesse de la loi S.B. 8 en tant que politique publique n’est pas non plus à l’ordre du jour. »

L’autre loi sur l’avortement

Les pro-choix avaient une autre raison de se montrer pessimistes à la suite de la décision de la Cour suprême. À la fin de juin ou au début de juillet, celle-ci rendra une décision à propos d’une autre loi sur l’avortement, celle du Mississippi, qui pourrait enlever toute pertinence à la question texane.

Débattue début décembre devant la Cour suprême, la loi du Mississippi interdit la plupart des avortements après la 15semaine de grossesse. Dans sa décision très attendue, la Cour suprême pourrait réaliser le grand rêve de la droite conservatrice et chrétienne en infirmant l’arrêt « Roe v. Wade ». Une telle décision mettrait fin à tout débat concernant la loi texane.

Selon un autre scénario possible, une majorité conservatrice pourrait préserver l’arrêt « Roe v. Wade » tout en remettant en question le critère de la viabilité fœtale. Ce faisant, elle pourrait non seulement valider la loi du Mississippi, mais peut-être également celle du Texas.

En attendant, les opposants à l’avortement au Texas ont accueilli la décision de la Cour suprême de vendredi de façon beaucoup plus favorable que leurs adversaires.

« Nous sommes encouragés par le fait que le tribunal a fait preuve de retenue judiciaire au cours des 100 derniers jours, ainsi qu’aujourd’hui, lorsqu’il n’a pas bloqué la loi », a déclaré John Seago, directeur législatif de l’organisation Right to Life. « Tant que cette loi salvatrice se poursuivra au Texas, nous verrons les enfants à naître et les femmes continuer à être protégés au Texas. »