(New York) Tout au long de la campagne présidentielle de 2020, Joe Biden a répété qu’il n’avait rien à envier à Donald Trump en ce qui a trait à l’art de négocier. Et, fort de sa longue expérience à Washington, il le prouverait dès son arrivée à la Maison-Blanche en appelant des élus républicains du Congrès.

« Rassemblons-nous. Nous devons trouver comment aller de l’avant », se promettait-il de leur dire. « Parce qu’il y a tellement de choses sur lesquelles nous sommes vraiment d’accord », avait-il ajouté en s’adressant à des électeurs de Philadelphie à quelques semaines du scrutin.

À l’approche du premier anniversaire de son élection, Joe Biden a encore une chance de prouver ses qualités de négociateur. Mais il devra le faire non pas avec les élus républicains, mais avec ceux de son propre parti.

Et il espère y parvenir avant son départ pour la 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra du 1er au 12 novembre à Glasgow, en Écosse.

Idéalement, pour la Maison-Blanche, cela devrait se traduire, d’ici la fin de la semaine, par la tenue de votes au Congrès sur les deux grandes réformes voulues par Joe Biden. L’une, déjà approuvée par le Sénat, prévoit des investissements de 1200 milliards de dollars pour moderniser les infrastructures décaties des États-Unis (ponts, routes, ports, réseaux électriques, etc.).

L’autre poursuit un double objectif : améliorer la prise en charge de la santé, de l’éducation et de la petite enfance, en plus de lutter contre les dérèglements climatiques. Elle devait contenir une enveloppe de 3500 milliards de dollars. Cette somme devrait cependant être ramenée à environ 2000 milliards, en raison des objections de deux sénateurs démocrates centristes, Joe Manchin et Kyrsten Sinema.

Si un vote n’est pas tenu sur cette réforme, Joe Biden voudra au moins annoncer une « entente » avant de s’envoler pour Glasgow. Sur les ondes de CNN, dimanche, la cheffe démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, s’est montrée optimiste à ce sujet.

Des promesses en péril

Mais quelle entente ?

Joe Biden a démontré par le passé qu’il n’était pas réfractaire aux compromis. En 2009, par exemple, il s’était vu confier par Barack Obama la mission de trouver les appuis républicains dont il avait besoin au Sénat pour l’adoption éventuelle d’un plan de relance de 800 milliards de dollars.

Après des négociations ardues, le vice-président avait recruté trois sénateurs républicains, soit un de plus que nécessaire. Aux progressistes qui allaient plus tard lui reprocher de ne pas avoir obtenu un montant plus élevé, il devait répondre : « J’aime quand la gauche dit : ‟Eh bien, nous aurions pu avoir plus." D’accord, allez-y ! Trouvez-moi 60 votes ! »

Cette fois-ci, en raison d’une procédure différente, Joe Biden n’a pas besoin du soutien d’un seul républicain pour faire adopter sa réforme la plus ambitieuse. Mais il ne peut pas se permettre de perdre l’appui d’un seul des 50 sénateurs du groupe démocrate.

D’où le pouvoir disproportionné que peuvent exercer les sénateurs Manchin et Sinema. Le premier semble avoir réussi à éliminer à lui seul la pierre d’assise de la stratégie de Joe Biden pour lutter contre le réchauffement climatique. Il s’agit d’un programme de 150 milliards de dollars destiné à encourager les producteurs d’électricité à abandonner les énergies fossiles et à punir ceux qui résistent à la transition.

La deuxième semble de son côté avoir bloqué une hausse des contributions fiscales des entreprises et des Américains les plus riches. Hausse qui devait non seulement concrétiser une des promesses électorales les plus importantes de Joe Biden, mais également financer en partie sa réforme.

La liste complète des engagements qui devront être abandonnés en partie ou en totalité à cause des positions des sénateurs Manchin et Sinema n’est pas encore connue. Mais Joe Biden a déjà fait son deuil d’un collège communautaire gratuit pendant deux ans et d’un congé parental de 12 semaines.

Une attitude bienveillante

Pour autant, Joe Biden refuse de participer au festival d’insultes, d’accusations et de menaces que réservent les militants progressistes aux sénateurs Manchin et Sinema.

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Le sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Joe Manchin

« Joe n’est pas un mauvais gars », a déclaré le président, en parlant du sénateur de Virginie-Occidentale, lors d’une assemblée publique retransmise par CNN mercredi soir dernier. « Il est un ami. Et, à la fin, il s’est toujours ravisé et a voté [avec nous]. »

Cette attitude bienveillante fait partie du style de négociation que privilégie Joe Biden. « Il faut partir du principe que l’autre n’est pas un idiot », a-t-il confié au journaliste Evan Osnos, qui le cite dans la biographie qu’il a consacrée au président.

Ce dernier a ajouté : « Il est très important de communiquer à votre interlocuteur que vous comprenez son problème. »

On suppose que cet esprit a prévalu dimanche lors des négociations menées par Joe Biden avec Joe Manchin et le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer, à sa résidence du Delaware.

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La sénatrice démocrate de l’Arizona Kyrsten Sinema

Le président a également tenu plusieurs rencontres avec Kyrsten Sinema. « Elle est aussi intelligente que le diable », a-t-il déclaré mercredi soir au sujet de l’énigmatique sénatrice d’Arizona. « Elle est très favorable au volet environnemental de mon plan. »

Puis, un soupçon d’impatience dans la voix, il a ajouté : « Là où elle ne le soutient pas, c’est qu’elle dit qu’elle n’augmentera pas d’un seul sou les impôts des entreprises ou des riches, point final. Et c’est là que le bât blesse. »

D’autres sources de revenus sont envisagées pour financer une réforme qui demeurerait historique si son enveloppe s’approchait des 2000 milliards de dollars.

Mais le temps presse pour Joe Biden, dont la prétention à l’excellence en matière de négociation pourrait s’avérer aussi trompeuse que celle de Donald Trump.