(New York) Quelques jours après le meurtre de George Floyd, Eric Adams, probable futur maire de New York, n’a pas hésité à utiliser un concept qui en indispose d’autres. Il voulait décrire le mal qui gangrénait selon lui les services municipaux, dont il devrait hériter la responsabilité à compter du 1er janvier 2022.

« Le problème du racisme systémique a imprégné et saturé toutes les agences de notre ville », a-t-il tweeté le 7 juin 2020. « Ce n’est pas seulement le NYPD [New York City Police Department] qui a besoin d’une réforme radicale. Le FDNY [Fire Department of the City of New York] est l’un des derniers grands bastions du racisme au plus haut niveau. »

PHOTO MARK LENNIHAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Eric Adams, candidat à la mairie de New York

Il ne croyait pas si bien dire en ce qui a trait au FDNY, sigle du service des incendies de New York. Le 1er octobre dernier, le New York Times a révélé que neuf pompiers de cette agence, dont au moins un lieutenant, avaient été suspendus en catimini pour avoir échangé par téléphone des messages et des mèmes racistes sur la mort de George Floyd.

Dans l’un des mèmes, un personnage de Sesame Street refuse le salaire qu’on lui offre en tant que nouveau policier. « Être capable de tirer légalement sur des enfants noirs est un paiement suffisant », dit-il.

Un autre est composé d’un faux profil de George Floyd sur un site de rencontres. Son « match » est le genou d’un homme blanc.

Dans un échange, des participants du groupe de discussion secret comparent les Noirs à des animaux sauvages. L’un d’entre eux lance : « Les animaux sauvages se comportent mieux. »

À un autre moment, des participants suggèrent d’utiliser des boyaux d’incendie pour disperser les manifestants de Black Lives Matter, comme au temps de la répression des militants des droits civiques à Birmingham, en Alabama.

Ces exemples illustrent le ton des messages et des mèmes qui ont valu aux participants des suspensions sans paie allant de quelques jours à six mois.

La frustration d’un juge

Nicholas Garaufis, juge fédéral de Brooklyn, fait partie des New-Yorkais que cette histoire a scandalisés. En 2007, il a présidé à un procès pour discrimination intenté par le département de la Justice des États-Unis contre le FDNY, dont 93 % des 11 000 pompiers étaient alors blancs.

En 2011, il a confié à un ancien procureur fédéral la responsabilité de superviser les progrès du FDNY en matière de diversité. Le procès auquel il avait présidé venait de déterminer que le service des incendies avait fait preuve de discrimination à l’égard des candidats noirs et d’autres minorités dans son processus d’embauche.

Et vendredi dernier, le juge Garaufis a sommé le commissaire du FDNY à comparaître devant lui. Il voulait connaître la raison pour laquelle les plus sévères suspensions de l’histoire du FDNY avaient été cachées au public.

« Pourquoi ne pas révéler qu’il y a des conséquences à l’envoi de messages racistes au sein du FDNY ? », a-t-il demandé, tout en exprimant sa frustration d’avoir pris connaissance des suspensions en lisant son journal.

Daniel Nigro, commissaire du FDNY depuis 2014, a prétexté un motif réglementaire pour justifier sa discrétion. Il a par ailleurs évoqué des progrès sur le plan de l’embauche de pompiers issus des minorités ethniques.

« Le service est maintenant trois fois plus diversifié qu’il ne l’était quand j’ai commencé », a-t-il déclaré.

En chiffres, cela donne aujourd’hui 75 % de Blancs au sein du FDNY, 13 % d’Hispaniques, 8 % de Noirs et 2 % d’Asiatiques. À titre comparatif, les Blancs ne représentent que 47 % des policiers du NYPD.

Après avoir souligné les progrès effectués depuis sa prise de fonction, Daniel Nigro a convenu que des problèmes persistaient sur le plan de l’inclusion. « Si les gens embauchés ne se sentent pas les bienvenus, il est difficile d’en convaincre d’autres de faire du service des incendies une carrière », a-t-il dit.

Jusque dans les toilettes

Le concept du racisme systémique ne fait pas plus l’unanimité aux États-Unis qu’au Québec. De façon générale, les conservateurs le rejettent, n’y voyant qu’une façon détournée de culpabiliser les Blancs.

Ce point de vue a longtemps été dominant au sein du FDNY. Les défenseurs du service ont notamment nié que ses examens d’embauche étaient discriminatoires. Selon eux, ces examens n’avaient qu’un seul but : assurer que les meilleurs candidats soient recrutés. Et il ne fallait rien voir de mal au fait que plus de 90 % d’entre eux étaient Blancs.

Le nouveau processus d’embauche imposé par le juge Garaufis en 2011 a forcé le FDNY à accueillir plus de pompiers de couleur. Mais il n’a pas mis fin à certaines pratiques ou mentalités. Ainsi, jusqu’en 2019, on pouvait lire ce paragraphe dans un manuel de formation :

« La motivation dans la lutte contre les incendies est en grande partie une question de cohésion d’équipe. La cohésion d’équipe rencontre des problèmes particuliers lorsque l’équipe doit s’adapter à de nouveaux membres, à des minorités ou à des femmes, ou à des membres qui posent problème parce qu’ils ne se comportent pas bien. »

Le manuel a été purgé de ses passages jugés racistes ou sexistes. Mais le racisme et le sexisme sont toujours présents sur le terrain. Lors de la comparution du commissaire du FDNY, le juge Garaufis a donné l’exemple d’une caserne où les pompiers se servaient encore récemment de papier de toilette sur lequel le visage de Barack Obama était imprimé.

En notant que le FDNY est sous surveillance depuis 2007, il s’est demandé à quel moment de telles manifestations de racisme prendraient fin.

« Avec toutes les questions récentes, il est difficile de voir quand cela se produira », a-t-il déclaré.

Après avoir adopté le concept de racisme systémique, le probable futur maire de New York pourrait-il réussir là où d’autres ont échoué ?