Des Québécois qui étaient dans la métropole américaine le matin du 11 septembre 2001 racontent comment ils ont vécu les attaques.

« On voyait un nuage de poussière arriver vers nous »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr David Lussier

Le DDavid Lussier était monté voir une patiente dans sa chambre d’hôpital du Beth Israel Medical Center, à Manhattan, peu avant 9 h le 11 septembre 2001, quand il a constaté qu’elle était sortie pour passer des examens.

« En quittant la chambre, j’ai croisé une télévision allumée aux nouvelles en direct, dit-il. Ils montraient un trou dans l’une des tours du World Trade Center. »

À ce moment, la théorie qui circulait dans les médias était qu’un petit avion venait de foncer peut-être par accident dans la tour Nord. Le DLussier savait que s’il montait un étage de plus dans l’hôpital, il pourrait avoir une vue directe des tours jumelles.

Il est allé voir la scène de ses yeux. Pendant qu’il regardait les tours, un Boeing 767 qui volait à basse altitude est apparu dans son champ de vision avant d’aller percuter la tour sud du World Trade Center.

Secoué par ce qu’il venait de voir, le DLussier a « étrangement » poursuivi sa matinée comme l’horaire le prévoyait.

« On avait une réunion de département où on discutait de cas de patients. On a fait la réunion comme d’habitude. À un moment donné, quelqu’un est venu dire au chef de département que la première tour s’était écroulée. »

Après la réunion, le DLussier et des collègues sont retournés à la fenêtre juste au moment où la deuxième tour s’est effondrée.

Je me suis dit : “Mon Dieu, il y a des gens dans cette tour.” On voyait un nuage de poussière arriver rapidement vers nous.

Le Dr David Lussier

Vers 12 h 30, le DLussier a eu l’idée d’appeler sa blonde à Montréal pour lui raconter ce qui s’était passé. « Quand je l’ai jointe, elle était en panique, car elle essayait de m’appeler sans savoir si j’étais en sécurité ou non. On n’avait pas de cellulaires dans ce temps-là. J’ai su après que des hôpitaux à Montréal donnaient congé à des patients pour accueillir des blessés de New York. »

Au Beth Israel Medical Center, des civières ont été installées sur le trottoir. « Tout le monde était prêt à aider. Mais il n’y a eu personne. Il n’y a pas eu de blessés parce que les gens sont morts. »

Le lendemain soir, David Lussier s’est rendu sur le site de l’effondrement des tours, et a aidé à organiser une station médicale. « Il a fallu évacuer deux fois, car ils pensaient qu’un édifice autour allait s’écrouler. »

Durant une évacuation, un pompier a fait une crise d’asthme. « Je l’ai amené à un hôpital près de là. Des collègues médecins, eux, sont allés aider des secouristes à identifier des restes humains retrouvés dans les décombres. »

L’odeur des attentats

Après toutes ces années, David Lussier, aujourd’hui médecin gériatre à Montréal, se souvient surtout de l’ampleur qu’avait le site de l’effondrement des tours. Et de l’odeur. « Dans toute la ville, il y avait cette odeur de brûlé qui est restée pendant des semaines. »

Ce qui reste, 20 ans plus tard, c’est aussi le souvenir des photos de personnes disparues que les familles affichaient sur des poteaux de téléphone et le long des rues à Manhattan, dans l’espoir que leur proche ait réussi à s’échapper des tours et se soit réfugié chez quelqu’un, ou bien ait été amené à l’hôpital.

Je me souviens encore d’un homme que sa famille recherchait. Sur la photo, on le voyait avec ses trois enfants, dans sa cour, avec des jouets autour… Ces images étaient là durant des mois. Évidemment, ils n’ont retrouvé personne.

Le Dr David Lussier

À travers toute cette horreur, David Lussier se souvient aussi d’un sentiment de collégialité qui animait New York à ce moment. « Il y avait une entraide humaine qui était assez impressionnante. Je me souviens d’avoir marché le long du West Side Highway avec un inconnu et on a parlé tout le long. »

Arrivé à New York au début du mois de juillet, le DLussier a été rejoint par sa femme, également médecin. Le couple a travaillé et habité à New York pendant deux ans.

« New York, c’est une ville qui te prend beaucoup d’énergie, mais qui t’en donne tellement aussi. Ce sont les plus belles années de notre vie qu’on a passées à New York. Ç’a été une grosse, grosse peine d’amour quand on a quitté la ville. »

David Lussier et sa famille sont retournés en visite à Manhattan il y a quelques années. Sa femme et sa fille sont allées visiter le monument à la mémoire des quelque 3000 personnes tuées dans les attaques du 11 septembre 2001, situé à l’emplacement où s’élevaient les tours jumelles.

Mais David Lussier n’a pas voulu y aller.

« C’était trop intense. De revoir cet endroit… C’est quelque chose que je ne veux pas revivre. »

« On est passés proche »

L’évènement Québec-New York devait se tenir au pied des tours jumelles le 11 septembre 2001. De nombreux Québécois s’étaient déplacés dans la métropole américaine pour y faire découvrir les talents d’ici. Trois d’entre eux racontent leur journée.

Nadia Seraiocco

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Au matin du 11 septembre, Nadia Seraiocco, qui était responsable des relations de presse pour l’évènement culturel Québec-New York 2001, devait déjeuner au Windows on the World, le restaurant situé aux 106e et 107e étages de la tour nord du World Trade Center. « Nous avions une réservation à 10 h, dit-elle. On est passés proche… » Elle était dans son bureau à l’hôtel Ambassy Suite, à quelques mètres des tours jumelles, peu avant 9 h, lorsque le bruit d’une explosion a retenti. « On croyait que c’était lié à de la construction, mais on voyait des gens courir, alors on est sortis pour voir. » Là, Nadia Seraiocco a aperçu un trou béant dans la tour Nord. « À côté de moi, une femme tremblait. Elle disait : “It’s a plane, it’s a plane !” [C’est un avion !]. » Mme Seraiocco et ses collègues ont alors décidé de quitter le quartier afin de ne pas nuire aux équipes de secours. « C’est à ce moment qu’on a vu le deuxième avion frapper la tour Sud. Le train d’atterrissage est tombé sur l’auvent de la tour d’appartements où j’habitais. C’était surréel. » Nadia Seraiocco a vu des gens sauter de la tour enflammée. À ce jour, elle n’a donné que peu d’entrevues. « Il fallait que ça décante. » Victime d’un choc post-traumatique, elle souligne que sa vie n’a plus jamais été la même après ce jour fatidique. « Pendant longtemps, j’ai eu peur de la fumée. Depuis cinq ans environ, je suis consciente d’avoir vécu un choc post-traumatique, et que ça m’a causé des problèmes, comme des douleurs dans le corps. J’ai accepté que c’était lié, c’est la machine humaine qui est faite comme ça. »

Claude Deschênes

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le journaliste culturel de Radio-Canada Claude Deschênes était à New York pour y couvrir l’évènement Québec-New York 2001. « Mon collègue caméraman et moi étions dans le taxi quand on a appris à la radio qu’un deuxième avion avait percuté une tour. On s’est arrêtés sur West Broadway, car c’était impossible d’aller plus au sud, avec les sirènes, les véhicules d’urgence et le périmètre de sécurité qui venait d’être établi. C’est de là qu’on a vu les deux tours s’effondrer. J’ai dit en ondes que c’était le pire spectacle que j’avais vu de ma vie. Mon souvenir, c’est le bruit. Malgré tout, le bruit était doux. Ça n’a rien à voir avec les effets spéciaux qu’on ajoute dans les films. C’était beaucoup plus délicat que ça. Quand tu le vois, il n’y a pas de reprise. C’est imprimé à vie. Tu as l’impression d’appartenir pour toujours au “peuple de New York”. C’était un hasard que c’est moi qui aie été là, mais ça reste pour moi l’affectation de ma vie. »

Philippe Cannon

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE CANNON

Philippe Cannon dirigeait la production de l’évènement Québec-New York 2001 et travaillait dans le pont piétonnier qui reliait la tour nord du World Trade Center et le World Financial Center le matin du 11 septembre 2001, quand son équipe et lui ont entendu un bruit sourd. « Peu après, des gens ont commencé à passer dans le pont piétonnier pour sortir dehors. On comprenait qu’il s’était passé quelque chose 80 étages au-dessus de nos têtes, mais on ne savait pas quoi. » Certains disaient que le système de climatisation avait explosé. D’autres que c’était un incendie. « C’était surréel. On ne réalisait pas du tout dans quel évènement on était. Puis on s’est fait dire par un employé du FBI de sortir de là, d’aller à Midtown. » Avant de partir, M. Cannon a décidé d’appeler sa mère à Montréal. « Pendant que je suis en train de lui dire que j’étais dans mon hôtel au pied des tours, la tour tombe et la communication coupe. Ma mère a passé 45 minutes à croire que son fils était décédé. » Avec d’autres Québécois, il a réussi à se rendre aux bureaux de la délégation du Québec. « Là, j’ai rappelé ma mère et on a fait une chaîne téléphonique pour appeler les proches des employés de l’évènement, pour leur dire qu’ils étaient en vie. » Les Québécois sont finalement rentrés chez eux en autocar. Ce n’est que le 28 septembre, dans un grand spectacle marathon organisé au Centre Bell pour venir en aide à New York, que Philippe Cannon a senti ses nerfs lâcher. « Après avoir donné le go pour ouvrir les portes et laisser le public entrer, le spectacle a commencé et je suis allé derrière une unité mobile de télé et là, c’était too much. »