L’auteur et éditeur Larry Siems, qui a joué un rôle important dans la documentation des abus perpétrés par les autorités américaines au nom de la « guerre au terrorisme », était aux premières loges le 11 septembre 2001 lorsque les tours du World Trade Center ont été prises pour cible par Al-Qaïda.

En route vers Manhattan ce matin-là, celui qui vit à Brooklyn a entrevu brièvement les tours… et les flammes de son wagon de métro. « Les gens se regardaient en se disant que ça devait être une attaque », souligne-t-il.

Après s’être rendu dans les bureaux de PEN, une association de défense des écrivains où il travaillait, le New-Yorkais a vu la seconde tour imploser.

La portée personnelle du drame ne tarderait pas à se faire pleinement sentir. Des enfants de l’école de son fils ont perdu des parents dans l’attaque, des pompiers du poste de son secteur sont morts.

Pour une enquête internationale

Le choc, dit M. Siems, était total pour la population de la mégapole américaine. Les appels à la vengeance sont cependant restés rares à l’époque.

L’idée dominante dans la population locale était qu’il fallait lancer une enquête internationale et traquer les responsables de cette attaque « extrêmement bien orchestrée » pour les traduire en justice. L’administration du président George W. Bush devait cependant opter pour une approche beaucoup plus musclée.

PHOTO PAUL J. RICHARDS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le maire de New York Rudy Giuliani et le président George W. Bush constatent les dégâts causés par les attentats, le 14 septembre 2001, en compagnie d’un représentant des pompiers de New York.

« Il y avait un autre choix possible, ce n’était pas mystérieux. Ça nous aurait permis d’aller de l’avant avec beaucoup de soutien international. Le choix que nous avons fait s’est avéré extrêmement dommageable », note M. Siems, qui dit avoir été consterné par la rapidité avec laquelle les attaques ont été « instrumentalisées » par l’administration.

L’intervention militaire en Afghanistan, la détention hors la loi de présumés terroristes, souvent innocents, à la prison de Guantánamo, le lancement d’un programme d’enlèvements extrajudiciaires et l’autorisation de recourir à la torture ont ouvert la voie à de graves violations des droits de la personne, relève l’éditeur.

L’intervention en Irak, cyniquement justifiée par la volonté supposée de Saddam Hussein de développer des armes de destruction massive, mais aussi par des liens fictifs entre le dictateur, Al-Qaïda et les attentats du 11-Septembre, a aussi tourné au drame, faisant des centaines de milliers de morts tout en déstabilisant la région.

Bien que le bilan de la réponse américaine aux attentats paraisse sombre, les États-Unis tardent à faire la lumière sur tout ce qui s’est passé, déplore M. Siems.

PHOTO COLUMBIA UNIVERSITY

Larry Siems résidait à Brooklyn lors des attentats.

Notre pays est particulièrement peu doué pour composer avec ses erreurs. Comme un enfant gâté, il préfère pelleter les problèmes vers l’avant, nier ses responsabilités, mais ça ne revient qu’à retarder l’inévitable.

Larry Siems, éditeur

Le fait que la prison de la base militaire de Guantánamo demeure en activité, 20 ans après l’arrivée des premiers détenus vêtus d’orange, témoigne éloquemment de cette propension, selon l’éditeur, qui a fait paraître il y a quelques années le témoignage d’un ressortissant mauritanien, Mohamedou Ould Slahi, détenu 14 ans sur place avant d’être relâché sans accusation. Le livre a inspiré le film The Mauritanian, sorti plus tôt cette année.

« Si on avait dit aux gens de New York après les attentats qu’on allait appréhender une foule de personnes et les détenir pendant des décennies sans jamais les accuser, ils auraient dit que ce n’était pas la bonne chose à faire », dit-il.

Selon lui, le président américain Barack Obama a contribué à l’impasse actuelle en décidant de passer l’éponge sur les actions de l’administration Bush après son arrivée au pouvoir en 2008. Sa propre administration a d’ailleurs poursuivi certains programmes controversés, dont les frappes de drones, et échoué à fermer Guantánamo malgré ses promesses.

Les responsables des abus perpétrés dans le cadre de la « guerre au terrorisme » demeurent impunis, déplore M. Siems, qui voit mal comment les États-Unis peuvent se passer d’un vaste exercice d’introspection à ce sujet.

« La réaction américaine aux attentats du 11 septembre 2001 a renforcé le sentiment de vulnérabilité et de peur de la population, l’idée que nous sommes attaqués, et a ouvert la voie à de nombreuses erreurs que nous refusons toujours de voir en face », dit-il.

Des initiatives controversées

Des opérations militaires désastreuses

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Destruction de la statue de Saddam Hussein à Bagdad, en 2003

L’administration Bush a lancé dès 2001 une offensive militaire en Afghanistan pour faire tomber les talibans et appréhender les dirigeants d’Al-Qaïda. Les efforts militaires ont bien permis d’affaiblir considérablement l’organisation terroriste, rappelle Graeme Smith, ancien analyste de l’International Crisis Group, mais la tentative de créer un État démocratique a échoué. Deux ans après l’intervention en Afghanistan, l’administration américaine a envahi l’Irak pour renverser Saddam Hussein, même si le dictateur n’avait aucun lien avec Al-Qaïda. Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, estime que l’invasion a été un « désastre ». Des centaines de milliers de personnes sont mortes dans l’insurrection qui a suivi la chute du dictateur, dit-il, et le conflit a favorisé l’émergence du groupe armé État islamique.

Enlèvement et torture

PHOTO SHANE T. MCCOY, U. S. NAVY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La prison de Guantánamo en 2002

L’administration Bush, qui souhaitait donner une latitude maximale aux services de renseignements pour traquer les terroristes et déjouer de futures attaques, a autorisé la CIA à enlever des dizaines d’individus à l’étranger en vue de les transférer, hors de tout processus judiciaire, dans des prisons secrètes ou encore à la base militaire de Guantánamo pour être interrogés et torturés. Un rapport du Sénat américain paru en 2014 a indiqué que les techniques « les plus sévères » avaient été utilisées sur les détenus, parfois avec des conséquences dramatiques. Aucun des responsables du programme n’a été mis en accusation.

Des drones meurtriers

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Préparation d’un drone, à Kandahar en 2016

L’administration américaine a aussi autorisé l’exécution de frappes de drones contre de présumés terroristes dans des pays avec lesquels les États-Unis n’étaient pas ouvertement en guerre. À son arrivée au pouvoir en 2008, Barack Obama a intensifié les frappes au Pakistan, au Yémen ou encore en Somalie. Selon le Bureau of Investigative Journalism, son administration en a permis 10 fois plus au cours de ses deux mandats que celle de George W. Bush. Elles se sont poursuivies, à un rythme moindre, sous Donald Trump. L’administration de Joe Biden a restreint cette année leur utilisation de façon à limiter le nombre de victimes civiles.

Le Patriot Act

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Vidéoconférence d’Edward Snowden organisée par l’Université McGill, en 2016

La guerre au terrorisme lancée par l’administration américaine s’est aussi fait sentir sur le territoire national par l’adoption de réformes conférant un pouvoir accru aux autorités pour faire enquête. Le Patriot Act comprenait notamment des dispositions facilitant l’interception des communications des Américains eux-mêmes. L’une de ses dispositions a été utilisée pour justifier un programme de collecte de métadonnées téléphoniques à grande échelle de la National Security Agency (NSA) dont la portée a été dévoilée par le sonneur d’alerte Edward Snowden en 2013. Une commission gouvernementale a conclu par la suite que le programme n’avait pas aidé à prévenir des attaques terroristes.