(Washington) Barack Obama l’a laissé entendre, Donald Trump l’a scandé à sa tonitruante manière, mais c’est sans doute Biden qui, à l’occasion du retrait d’Afghanistan cette semaine, l’a exposé le plus clairement : les États-Unis ne veulent plus être les gendarmes du monde.

« “Il est temps de mettre fin à cette guerre éternelle” […] C’est Biden qui l’a dit mais cela aurait facilement pu être Trump », note Charles Franklin, professeur à la Marquette Law School.

Il commente un discours prononcé mardi par le président américain, au lendemain de l’annonce du départ des derniers militaires américains, après vingt années de guerre en Afghanistan.

Loin de faire profil bas après un retrait chaotique qui l’a fragilisé auprès de l’opinion publique, Joe Biden a saisi l’occasion pour exposer très clairement sa doctrine internationale.

« Il ne s’agit pas que de l’Afghanistan. Il s’agit de mettre fin à une époque d’interventions militaires majeures destinées à recréer d’autres pays », a-t-il dit.

Pour Benjamin Haddad, du centre de recherches Atlantic Council basé à Washington, c’est là « le plus éloquent rejet de l’internationalisme » par un président américain « depuis des décennies », selon un commentaire sur Twitter.

Certes, « America is back », « l’Amérique est de retour », répète souvent le démocrate de 78 ans, mais il a expliqué à quelles conditions.

« Nos erreurs »

« Nous devons apprendre de nos erreurs », a-t-il dit.

« Nous devons nous donner des missions avec des objectifs clairs et réalistes, pas des objectifs que nous n’atteindrons jamais », et « nous devons nous concentrer clairement sur la sécurité des États-Unis ».

Joe Biden se targue d’une très longue expérience de politique étrangère, comme sénateur puis comme vice-président de Barack Obama.

Ce dernier a d’ailleurs initié, sans doute sans le dire aussi frontalement que Joe Biden, un repli de l’interventionnisme américain.

Barack Obama avait ainsi estimé que l’emploi d’armes chimiques par Bachar al-Assad serait une « ligne rouge » appelant une riposte armée. Mais quand Damas l’a franchie, en août 2013, le président démocrate n’a finalement pas déclenché les frappes aériennes prévues.  

Pour Joe Biden, la rivalité qui oppose les nations démocratiques aux régimes autoritaires tels que la Chine doit prendre le pas sur les grandes opérations militaires. Dans son esprit, la démocratie doit prouver qu’elle peut répondre, mieux que les dictatures, aux grands défis tels que le changement climatique ou la pandémie, tout en étanchant la soif de prospérité des classes moyennes.

Dans cette grande compétition, Joe Biden compte sur le jeu des alliances, une différence radicale avec Donald Trump. Il organise d’ailleurs à l’automne un sommet virtuel rassemblant des chefs d’État et de gouvernement de nations démocratiques, dont la liste n’a pas été dévoilée.

Les États-Unis « ont toujours hésité entre s’isoler des péchés du monde et répandre les bienfaits de leur modèle. Depuis 1945, ils avaient choisi d’être les défenseurs puis les missionnaires de la démocratie. Ils rentrent à la maison », a commenté sur Twitter l’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud.

« Nounou »

La gestion très unilatérale du retrait d’Afghanistan a de fait secoué les pays alliés des États-Unis. Et elle a réjoui Pékin et Moscou, qui se sont empressés d’y lire un avertissement pour les pays ayant tout misé sur le soutien militaire américain.

« Il semble y avoir un degré certain de frustration » même s’il est difficile de savoir « à quel point c’est profond » parmi les alliés des États-Unis, à propos de la gestion du retrait d’Afghanistan, estime Tricia Bacon, professeure à l’American University.

Mercredi, au lendemain du grand discours de Joe Biden, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est vu appliquer les réserves du président américain en matière internationale.

Joe Biden lui a redit sa promesse de l’aider contre « l’agression » russe en Crimée, en lui fournissant en particulier des équipements militaires.

Mais le président américain n’a pas, loin de là, ouvert grand les portes de l’OTAN à l’Ukraine, très désireuse de rejoindre l’alliance militaire atlantiste.

Et Joe Biden n’a pas reculé non plus sur Nord Stream 2, un projet de gazoduc russe qui inquiète beaucoup Kiev. Plutôt que des sanctions, la Maison-Blanche a choisi l’approche diplomatique sur ce dossier délicat.

Ailleurs qu’en Europe, Joe Biden « a peut-être bien baissé le rideau pour de bon sur l’interventionnisme militaire américain au Proche et Moyen-Orient au sens large », analyse dans un blogue Imad Harb, directeur de recherches et d’analyse au « Arab Center » de Washington.

Faute de soutien militaire américain garanti, cela pourrait amener les pays de la région tentés de hausser la voix et d’agir contre l’Iran à faire preuve « de la plus grande retenue », estime-t-il.