(New York) Sur deux pâtés de maisons, la 183Rue, dans l’arrondissement de Queens, a la forme d’un entonnoir sans goulot. Les inondations soudaines n’y sont pas rares. Mais, jusqu’à mercredi soir, elles ne s’étaient jamais avérées mortelles.

« Nous étions tous à l’intérieur, c’est tout ce que j’ai à dire. Nous étions tous à l’intérieur quand c’est arrivé », a laissé tomber Dylan Ramskriet, dont la mère Pramatee, 43 ans, et le frère Khriskah, 22 ans, sont morts noyés dans un appartement situé au sous-sol d’une résidence se dressant au plus creux du tronçon.

Ce qui est arrivé était visible de la rue recouverte de boue séchée où le jeune homme s’est adressé brièvement à quelques journalistes, jeudi matin. Une partie du mur extérieur de la maison de deux étages où il vivait avec sa famille a cédé sous la pression de l’eau.

« Au moment où nous avons vu [l’eau], nous étions déjà repoussés », a enchaîné Dylan, qui a survécu avec son père Dameshwar, 44 ans, grâce à l’intervention rapide des pompiers de New York.

« C’est tout ce que j’ai à dire », a-t-il répété, les yeux rougis par les pleurs et le manque de sommeil, avant de quitter la scène du drame.

  • La tempête Ida a inondé de nombreuses voies de circulation de New York, notamment à Brooklyn.

    PHOTO ED JONES, AGENCE FRANCE-PRESSE

    La tempête Ida a inondé de nombreuses voies de circulation de New York, notamment à Brooklyn.

  • Une importante quantité d’eau a envahi le sous-sol de cet immeuble situé dans Queens. Trois personnes y sont mortes noyées, rapportent les autorités.

    PHOTO MARK LENNIHAN, ASSOCIATED PRESS

    Une importante quantité d’eau a envahi le sous-sol de cet immeuble situé dans Queens. Trois personnes y sont mortes noyées, rapportent les autorités.

  • Dans le même quartier, Felix Delapuente constate les dégâts dans son appartement.

    PHOTO MARY ALTAFFER, ASSOCIATED PRESS

    Dans le même quartier, Felix Delapuente constate les dégâts dans son appartement.

  • Le métro de New York a été paralysé par la tempête.

    PHOTO STEPHANIE KEITH, THE NEW YORK TIMES

    Le métro de New York a été paralysé par la tempête.

  • Les restes de l’ouragan Ida ont fracassé toutes sortes de records météorologiques à New York.

    PHOTO STEPHANIE KEITH, THE NEW YORK TIMES

    Les restes de l’ouragan Ida ont fracassé toutes sortes de records météorologiques à New York.

  • Des ouvriers ont été dépêchés dans les rues de Brooklyn.

    PHOTO ED JONES, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des ouvriers ont été dépêchés dans les rues de Brooklyn.

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Avec leurs trombes d’eau apocalyptiques, les restes de l’ouragan Ida ont fracassé toutes sortes de records météorologiques à New York, dont 80 mm de pluie en une heure à Central Park, transformé des voies en rivières où flottaient des voitures abandonnées par leurs conducteurs et paralysé le métro et les trains de banlieue de New York.

Mais la tempête tropicale a aussi fait une dizaine de victimes dans la métropole américaine, dont la plupart sont mortes comme les Ramskriet, dans des appartements en sous-sol légaux ou illégaux situés dans l’arrondissement de Queens, où quantité d’immigrés entreprennent leur vie américaine.

La plus jeune de ces victimes avait 2 ans. La plus vieille, 86.

« Malheur à nous »

Le quartier populaire où vivaient les Ramskriet a pour nom Hollis. L’ironie veut qu’il soit situé tout près de Jamaica Estates, le quartier cossu où Donald Trump a passé la majeure partie de sa jeunesse.

La crème du monde politique de New York y a convergé jeudi matin pour faire le point sur la tempête et livrer un message unanime sur l’urgence d’investir dans les infrastructures et de lutter contre le réchauffement climatique.

« Ce qui s’est passé [mercredi] – les trains stoppés, les gens abandonnés –, […] je ne veux pas que cela se reproduise », a déclaré la nouvelle gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, entourée du sénateur Chuck Schumer et du maire de New York, Bill de Blasio, entre autres.

PHOTO MARY ALTAFFER, ASSOCIATED PRESS

La nouvelle gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, s’adressant aux médias jeudi.

La native de Buffalo a évoqué l’une des attractions touristiques les plus célèbres de son coin de pays pour illustrer les conséquences les plus spectaculaires et inquiétantes de la tempête tropicale Ida.

« Les crues soudaines sont maintenant une réalité en milieu urbain, a-t-elle dit. Ce ne sont pas les vagues de l’océan ou du détroit. Ce sont des crues soudaines qui viennent du ciel. C’était littéralement les chutes du Niagara ici, et je suis allée aux chutes du Niagara des milliers de fois. »

Le sénateur Schumer, de son côté, a appelé le Congrès à adopter deux projets de loi ayant pour objectif d’atténuer les conséquences de tempêtes tropicales comme Ida. L’un des textes dégagerait 1000 milliards de dollars pour les infrastructures traditionnelles, alors que l’autre s’attaquerait en partie au réchauffement climatique en réduisant de moitié les émissions de CO2 d’ici 2030, selon lui.

« Malheur à nous si nous ne reconnaissons pas que ces changements sont dus aux changements climatiques », a-t-il dit en notant que le record de pluie en une heure à Central Park avait été battu deux fois en huit jours. « Malheur à nous si nous ne faisons pas rapidement quelque chose à ce sujet. »

Une tempête mortelle

Ida n’aura pas seulement été mortelle dans la Grosse Pomme. Au moins 43 personnes ont perdu la vie mercredi soir dans les États de New York, du New Jersey, de la Pennsylvanie et du Connecticut.

PHOTO MATT ROURKE, ASSOCIATED PRESS

La rivière Schuylkill est sortie de son lit à Philadelphie, en Pennsylvanie.

De nombreux survivants s’estimaient chanceux d’avoir échappé à la mort.

« Dieu merci, mon père était debout », a raconté Samir Mujahidul, 15 ans, qui s’est couché à 21 h mercredi après être rentré du Bangladesh avec ses deux sœurs et sa mère. « Il nous a tous réveillés, puis nous avons pris tous nos papiers et sommes sortis. »

Comme les Ramskriet, dont ils étaient de proches voisins, Samir et sa famille vivaient dans un appartement au sous-sol. Jeudi matin, ils ont mis à sécher tous leurs vêtements qui avaient été submergés par l’inondation de la veille.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Shail et Samir Mujahidul

« Dieu merci, nous avons survécu. Dieu merci, nous avons fui l’endroit au bon moment », a dit l’adolescent sous le regard de son père Shail, qui travaille dans un restaurant de la chaîne Popeyes. « Mais qu’en est-il des autres ? »

Non loin de là, MD Rahman ne s’estimait pas aussi chanceux. La crue soudaine a bousillé le moteur de la voiture sur laquelle compte ce chauffeur Uber pour gagner sa vie.

« Je voulais la garer ailleurs, mais ma femme m’a dit de ne pas sortir parce que c’était trop dangereux », a-t-il déclaré. « Maintenant, je ne sais plus quoi faire pour payer mon loyer et nourrir ma famille. J’ai trois enfants et une femme. »

J’ai l’impression de passer d’une crise à l’autre. J’ai à peine pu survivre à la pandémie, et voilà qu’arrive cette tempête. Je ne sais plus quoi faire.

MD Rahman, chauffeur Uber

Quand on lui demande où il vit, MD Rahman n’a pas de mal à désigner l’endroit où se trouve la maison dont il occupe un appartement au sous-sol avec sa famille.

« Nous vivons en face de la maison où deux personnes sont mortes noyées », a-t-il dit.