L’accès à l’avortement pourrait être restreint de façon draconienne dès mercredi au Texas. L’entrée en vigueur d’une nouvelle loi expose potentiellement à de coûteuses poursuites civiles toute personne soupçonnée d’avoir aidé une femme enceinte depuis plus de six semaines à interrompre sa grossesse.

De nombreuses importantes organisations de défense du droit à l’avortement aux États-Unis ont demandé lundi en urgence à la Cour suprême de suspendre, au moins temporairement, l’application de la loi après qu’une Cour fédérale d’appel eut rejeté leur demande en fin de semaine.

« Sans intervention, la plupart des Texanes qui désirent un avortement seront forcées à compter de mercredi de parcourir des centaines de kilomètres pour l’obtenir à l’extérieur de l’État, si elles peuvent se le permettre », a relevé notamment dans un communiqué Alexis McGill Johnson, présidente de la Planned Parenthood Federation of America.

Comme ont déjà tenté de le faire plusieurs autres États, les législateurs texans ont adopté au printemps un projet de loi qui vise à interdire tout avortement au-delà de six semaines de grossesse.

Les initiatives précédentes de ce type ont été bloquées rapidement par les tribunaux à la demande d’organisations pro-choix. Elles ont ciblé en justice les représentants de l’État chargés de les appliquer en faisant valoir que l’arrêt Roe v. Wade protège en principe l’accès à l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus, autour de 25 semaines de gestation.

Le projet de loi texan complique le tout, puisqu’il confère à de simples citoyens plutôt qu’à l’État la possibilité de sanctionner les personnes supposément fautives, en rendant possibles des poursuites civiles pouvant mener à l’octroi de dommages de 10 000 $.

Il prévoit par ailleurs que les personnes ciblées pour avoir aidé une femme à obtenir un avortement au-delà de six semaines de grossesse ne peuvent obtenir le remboursement de leurs frais judiciaires par la partie adverse, même en cas de victoire devant les tribunaux.

Une approche « créative »

Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a indiqué en donnant son aval au projet de loi, en mai, qu’il permettrait de « sauver des ravages de l’avortement » de nombreux « enfants ».

PHOTO JABIN BOTSFORD, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Greg Abbott, gouverneur du Texas

Josh Blackman, professeur de droit rattaché au South Texas College of Law de Houston, note en entrevue que l’approche adoptée par les législateurs de l’État est « créative » et susceptible de donner du fil à retordre à ses opposants.

En refusant de bloquer l’application du projet de loi, la Cour d’appel fédérale a semblé vouloir envoyer le message, dit-il, que les cliniques et les médecins pratiquant des avortements devront attendre d’être poursuivis par un individu pour pouvoir s’adresser aux tribunaux plutôt que de procéder d’emblée en ciblant un responsable gouvernemental.

Dans l’intermédiaire, les cliniques offrant des avortements « vont sentir la pression » découlant de cette menace judiciaire, souligne M. Blackman.

De nombreuses organisations qui pratiquent des avortements au Texas ont déjà indiqué qu’elles seraient tenues de restreindre de façon draconienne, dès mercredi, leurs services si la loi entre en vigueur.

Des dizaines d’avocats avaient signé une lettre au printemps pour dénoncer le projet de loi, reprochant aux élus texans de déroger à des principes constitutionnels « élémentaires ». Ils leur reprochaient notamment d’ignorer le fait qu’une personne doit traditionnellement avoir subi un préjudice direct pour pouvoir lancer une poursuite.

Multiplication des restrictions

La polémique texane survient alors que les procédures juridiques visant à restreindre l’accès à l’avortement se multiplient à un rythme sans précédent à travers les États-Unis.

Le Guttmacher Institute souligne que l’année en cours « est la pire jamais enregistrée », puisque les 90 nouvelles restrictions introduites en six mois dépassent le total annuel le plus élevé jamais observé depuis l’arrêt Roe v. Wade en 1973.

Cette flopée de nouvelles lois est imputable à l’action de législateurs républicains galvanisés par le changement de composition de la Cour suprême, qui a basculé résolument à droite en raison des nominations effectuées durant la présidence de Donald Trump.

Le plus haut tribunal du pays doit se prononcer prochainement sur une loi adoptée par l’État du Mississippi qui vise à interdire tout avortement au-delà de 15 semaines de grossesse.

Dans une récente analyse, la National Association of Criminal Defense Lawyers (NACDL) relève que le renversement du célèbre arrêt entraînerait une interdiction quasi complète de l’avortement dans de nombreux États.

Nina Ginsberg, avocate de Virginie qui a participé à la rédaction du rapport, note qu’on assiste déjà dans le pays à une multiplication de poursuites criminelles ciblant des praticiens et qu’un nombre croissant de femmes ayant obtenu des avortements sont ciblées par des procureurs zélés qui évoquent abusivement des dispositions du Code criminel en vue de sanctionner leur décision.

« Si Roe v. Wade est renversé ou limité par la Cour suprême, on peut s’attendre à ce que ce type de situation se multiplie », note Mme Ginsberg.