(New York) Sur un ton grave, le narrateur de la pub électorale vantait la vaste expérience de Joe Biden en matière de politique étrangère, l’opposant à l’approche imprévisible et dangereuse de Donald Trump, contempteur d’alliés et louangeur de « dictateurs et tyrans ».

« C’est un moment qui nécessite un leadership fort, stable et constant. Nous avons besoin de quelqu’un qui a fait ses preuves et qui a la confiance du monde entier », déclarait la voix hors champ en évoquant les années du candidat démocrate à la vice-présidence des États-Unis ainsi qu’à la tête de la commission des affaires étrangères du Sénat.

Mais que subsistera-t-il de cette confiance après que les derniers soldats américains auront quitté l’Afghanistan ?

Et que restera-t-il de la crédibilité de Joe Biden auprès de ses concitoyens, après les scènes traumatisantes qui se multiplient autour de l’aéroport de Kaboul depuis la prise de pouvoir éclair des talibans ?

Élu en partie en raison de cette expérience internationale dont il se targuait lors de sa campagne, le 46e président américain espère sans doute reprendre la main. Mais chacun de ses choix peut encore se retourner contre lui, y compris celui de ne pas reporter le départ des troupes américaines d’Afghanistan au-delà de la date prévue du 31 août.

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Joe Biden a réitéré mardi sa décision de ne pas reporter le départ des troupes américaines d’Afghanistan au-delà de la date prévue du 31 août.

La décision plaira aux talibans, qui ont mis en garde l’administration américaine contre tout report du retrait des GI. Mais elle consterna les alliés des États-Unis. Mardi matin, lors d’une réunion virtuelle du G7, ceux-ci ont demandé à Joe Biden de maintenir les soldats américains à l’aéroport de Kaboul au-delà du 31 août pour permettre la poursuite des évacuations.

Le chef de la Maison-Blanche a rejeté cette demande.

« Nous sommes actuellement en voie d’achever notre mission d’ici le 31 août », a-t-il déclaré lors d’une brève allocution en fin d’après-midi mardi, tout en précisant qu’il avait demandé aux militaires de préparer des « plans de contingence » au cas où les talibans ne coopéreraient pas.

Contredit par la réalité

Cette déclaration finira peut-être par être contredite par la réalité, comme plusieurs autres émanant de l’administration américaine sur l’Afghanistan. Sur ce plan, Joe Biden est peut-être le plus grand fautif. Car si sa crédibilité est aujourd’hui en péril, c’est en grande partie à cause de ses propres messages contradictoires, erronés ou trompeurs.

« L’idée que, d’une manière ou d’une autre, il y a un moyen de sortir [de l’Afghanistan] sans que le chaos s’ensuive, je ne sais pas comment cela serait possible », a déclaré le président le 18 août lors d’une entrevue accordée à ABC.

Or, Joe Biden n’avait jamais auparavant soulevé la possibilité que le retrait des troupes américaines puisse être accompagné de chaos.

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Des soldats américains montent la garde alors que des Afghans sont assis près de la partie militaire de l’aéroport de Kaboul, le 20 août dernier.

« Nous le ferons de manière responsable, délibérée et sûre », a-t-il déclaré le 14 avril dernier en annonçant son intention de mettre fin à près de 20 ans de guerre en Afghanistan, message qu’il a réitéré le 8 juillet dernier.

Ce même jour, il a nié que la prise de pouvoir des talibans était « inévitable ». Et il a ajouté, en rejetant la possibilité d’une répétition de l’évacuation humiliante de l’ambassade des États-Unis à Saigon en 1975 : « Il n’y aura aucune circonstance où vous verrez des gens être soulevés du toit de l’ambassade des États-Unis en Afghanistan. »

Après la prise de pouvoir des talibans, qui était en fait inévitable selon le renseignement américain, Joe Biden a fait plusieurs autres déclarations douteuses.

Le 20 août, il a notamment déclaré que l’organisation terroriste Al-Qaïda n’était plus présente en Afghanistan, une fausseté. Et il a affirmé n’avoir « vu aucune remise en cause de notre crédibilité par nos alliés à travers le monde ».

Au Royaume-Uni, en Allemagne et en Lettonie, entre autres, des politiciens d’envergure ont pourtant utilisé les mots « chaos », « catastrophe » et « débâcle » pour décrire une situation qui, selon l’un d’eux, « a causé des dommages fondamentaux à la crédibilité politique et morale de l’Occident ».

70 700 personnes évacuées

Joe Biden n’est évidemment pas le seul à avoir émis des faussetés sur l’Afghanistan. Certains de ses critiques les plus féroces ont eux-mêmes contribué à justifier ou à concevoir les politiques futiles ou désastreuses des États-Unis dans ce pays depuis 2001.

Même d’honnêtes et courageux journalistes ont parfois raté la cible. « Je suis assise ici depuis 12 heures dans l’aéroport, 8 heures sur l’aérodrome et je n’ai pas vu un seul avion américain décoller. Comment diable allez-vous évacuer 50 000 personnes dans les deux prochaines semaines ? Ça ne peut pas arriver », a tweeté la journaliste de CNN Clarissa Ward le 20 août.

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Une femme traîne une valise sur laquelle est assis un enfant lors d’une opération d’évacuation à l’aéroport international de Kaboul.

Or, dans la seule journée du 23 août, 21 600 personnes ont été évacuées de l’aéroport de Kaboul, selon le Pentagone. Au cours des 12 premières heures de la journée de mardi, 12 000 autres personnes ont été évacuées, portant le total des personnes évacuées depuis le 14 août à 70 700, a annoncé Joe Biden. Total dont ce dernier s’est félicité et qui pourrait l’aider à rehausser son image auprès du public américain.

Mais les alliés des États-Unis ne sont pas les seuls à souhaiter que les soldats américains restent à l’aéroport de Kaboul au-delà du 31 août.

Tant du côté démocrate que du côté républicain, des parlementaires font valoir que l’évacuation de tous les Américains d’Afghanistan prendra plus de temps que cette échéance ne le permettra.

Lors de son intervention à la Maison-Blanche, Joe Biden a invoqué la menace d’attentats terroristes pour justifier sa décision de retirer les soldats américains de Kaboul le plus rapidement possible. Selon lui, cette menace vient de la branche du groupe État islamique en Afghanistan.

Il n’a pas précisé le nombre de civils américains ou de partenaires afghans qui doivent encore être évacués. Il a indiqué que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, fournirait ce mercredi des informations à ce sujet.

Sa crédibilité – ou ce qu’il en reste – tiendra en partie au nombre de ceux qu’il laissera derrière.