(Washington) Longtemps femme politique la plus puissante des États-Unis et première opposante à Donald Trump, la cheffe des démocrates au Congrès Nancy Pelosi doit désormais mettre à l’œuvre ses talents reconnus de stratège pour surmonter des tensions internes qui grondent, et avoir une chance d’appliquer les promesses de Joe Biden.

Une aile gauche frustrée par des ambitions jugées trop modérées et des centristes réticents à soutenir certains programmes perçus comme trop coûteux : près de cinq mois après l’arrivée à la Maison-Blanche du nouveau président, des failles sont apparues chez les démocrates à mesure que les négociations s’enlisaient autour de ses grands projets.

Et une récente polémique autour des propos d’une élue de la Chambre des représentants, Ilhan Omar, a fait émerger d’autres vives divisions.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, REUTERS

La représentante du Minnesota, Ilhan Omar

Première femme présidente de la Chambre, troisième personnage le plus puissant de la politique américaine après le président et sa vice-présidente Kamala Harris, Nancy Pelosi doit impérativement maintenir la cohésion de son groupe, dont la majorité déjà étroite en janvier s’est encore rétrécie ces derniers mois.

Si le chef démocrate du Sénat Chuck Schumer joue les équilibristes avec sa quasi-égalité à la chambre haute depuis janvier, les tensions des dernières semaines ont encore compliqué la tâche de cette politicienne chevronnée, âgée de 81 ans.

Plus de « repoussoir »

« On est tous plus efficaces quand on a un repoussoir en face », déclare à l’AFP Tom Cole, élu républicain de la Chambre, en référence aux féroces batailles ayant opposé Nancy Pelosi et le républicain Donald Trump.

« C’est très dur quand on contrôle tout » : les deux chambres du Congrès et la Maison-Blanche, lâche-t-il.

Chez les progressistes, le malaise a grandi en voyant que Joe Biden privilégiait, en public, les négociations avec les centristes pour parvenir à des accords sur ses projets de loi emblématiques, depuis un vaste plan d’investissements dans les infrastructures jusqu’à une réforme de la police ou la lutte contre le changement climatique.

Or les élections parlementaires de mi-mandat de novembre 2022 approchent. Traditionnellement, peu d’avancées législatives sont obtenues en année électorale et les démocrates risquent bien ensuite de perdre leurs majorités.

« Tout le monde voit que la fenêtre [d’action] va se refermer », souligne Michael Ceraso, un consultant démocrate qui avait travaillé sur la campagne de Bernie Sanders en 2016.  

Avec l’ascension de ce sénateur indépendant et d’autres personnalités au Congrès, comme Alexandria Ocasio-Cortez, l’aile gauche a le sentiment d’avoir renforcé le parti ces cinq dernières années mais « aucune loi n’a été adoptée qui corresponde à l’ADN du mouvement progressiste », explique-t-il à l’AFP.

PHOTO JACQUELYN MARTIN, ASSOCIATED PRESS

La représentante de New York, Alexandria Ocasio-Cortez

Les modérés estiment de leur côté que ce sont eux qui ont en grande partie contribué à reprendre la majorité à la Chambre en 2018, en arrachant des sièges dans des fiefs conservateurs.  

Nancy Pelosi, qui s’est engagée à quitter le perchoir après les élections de 2022, a balayé jeudi ces divisions.  

« Ce ne sont pas des failles. Nous sommes un parti démocratique, qui n’approuve pas tout sans discussion, au garde-à-vous. Qui voudrait être dans un parti comme cela ? » a-t-elle lancé aux journalistes.

Nous partageons un fond commun dans notre parti, le fait d’être là pour les familles américaines qui travaillent et je n’ai aucun doute sur le fait que nous adopterons au final des lois pour aider les familles américaines qui travaillent.

Nancy Pelosi, cheffe des démocrates au Congrès

Et après avoir accepté les explications d’Ilhan Omar sur ses propos controversés visant Israël et les États-Unis, la cheffe des démocrates avait proclamé dimanche que le sujet était clos.  

« Son point fort »

Si « Pelosi ne peut en effet pas se permettre de perdre beaucoup de voix », reconnaît Kyle Kondik, professeur de sciences politiques à l’Université de Virginie, elle joue en fait avec un « avantage » : son groupe parlementaire « est bien plus homogène idéologiquement que d’anciennes majorités démocrates à la Chambre ».

Et sur la colline du Capitole à Washington, son groupe semblait plutôt apaisé jeudi.  

« Nous comprenons tous que nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre. Et cela joue au final curieusement en sa faveur », en poussant vers des accords, confie à l’AFP le modéré Gerry Connolly.  

Mais avec un avertissement à ses pairs : « La cohésion est essentielle à notre réussite. »

Ces négociations internes, « c’est son point fort », renchérit Tim Ryan, élu démocrate de l’Ohio.  

« C’est là qu’elle est magistrale, dans la stratégie pour rassembler assez de votes et je ne me risquerai jamais, jamais, à dire qu’elle ne va pas être capable de le faire. »