(Washington) Ils ont le destin des grandes réformes de Joe Biden en main : deux élus démocrates pourraient faire dérailler les ambitions du président américain au Sénat, où sa majorité tangue face à une opposition républicaine qui a promis de ne rien lâcher.

Le président démocrate prône la négociation et le consensus pour faire passer ses grands projets-droit de vote, impôts, infrastructures, transition écologique - visant à relancer l’économie ébranlée par la COVID-19 et mettre fin aux injustices sociales.

Mais le blocage vient d’abord de son camp.

Le sénateur de Virginie-Occidentale, Joe Manchin, a annoncé dimanche qu’il s’opposait à une vaste réforme électorale défendue par M. Biden qui doit protéger le droit de vote des Afro-Américains.

Ce texte permettrait de neutraliser la quinzaine de lois déjà adoptées par des États républicains depuis janvier et qui restreignent, selon leurs détracteurs, l’accès aux urnes d’une minorité qui a voté en masse pour M. Biden en 2020.

Mais pour le parlementaire centriste, élu dans un État conservateur acquis à Donald Trump, cette loi « diviserait encore plus » le pays.

Il souhaite que le texte soit le fruit d’une « union entre démocrates et républicains », difficile à trouver tant les deux partis sont à couteaux tirés sur cette question, comme sur d’autres.

S’il a réussi à faire adopter rapidement, en mars, un vaste plan de soutien à l’économie américaine, frappée par la pandémie, ses deux autres projets titanesques font l’objet d’âpres négociations au Congrès.  

L’un, pour les familles américaines, s’élève à 1800 milliards de dollars et l’autre, pour les infrastructures, porte sur un montant allant de 1000 à 1700 milliards.

Après avoir voté sans sourciller les baisses d’impôts voulues par Donald Trump, les républicains sont redevenus partisans de l’orthodoxie budgétaire, et ont dénoncé une proposition démocrate « imprudente et irresponsable » qui alourdirait la dette américaine. Ils refusent également le financement de ses plans par des augmentations d’impôts.

Équilibriste

Avec 50 sénateurs sur 100-et la voix déterminante de la vice-présidente Kamala Harris en cas d’égalité - les démocrates ne doivent faire face à quasiment aucune défection.

Or, pour la plupart des grandes lois, les démocrates ont aussi besoin de 10 voix républicaines s’ils veulent éviter un « filibuster », terme de piraterie qui désigne un type d’obstruction parlementaire.

Des voix s’élèvent pour abroger cette règle qui permettrait de voter à la majorité simple. Ce que refuse Joe Manchin, mais aussi Kyrsten Sinema, sénatrice démocrate centriste de l’Arizona, un État historiquement conservateur.

« Il faut poursuivre nos efforts pour nous assurer d’avoir ces dix voix », a assuré M. Manchin, soulignant que sept républicains avaient voté la procédure de destitution de Donald Trump.  

La semaine dernière, Joe Biden a ouvertement exprimé sa frustration en rendant responsable de l’impasse « deux membres du Sénat qui votent plus souvent avec mes amis républicains ». Une allégation qui s’est révélée fausse, selon les médias américains.

Et Joe Biden manque de moyens de pression face à ces deux élus, estime Casey Burgat, spécialiste des lois à l’université George Washington.

L’administration Biden « doit garder M. Manchin au sein des 50 votes, donc il ne faut pas s’éloigner de ce qu’il est prêt à accepter », dit-il à l’AFP.

Cela vaut aussi pour Kyrsten Sinema, qui ne s’est pas exprimée jusqu’ici.

« Je suis sûr qu’elle passe des messages depuis son bureau en disant “je ne veux pas m’opposer publiquement, mais je représente un État difficile et votre majorité tient aussi grâce à moi” », explique l’universitaire.

M. Biden, qui s’est bâti une réputation de fin négociateur au long de ses trois décennies comme sénateur, pourrait accepter des propositions moins ambitieuses pour convaincre les démocrates récalcitrants et les républicains.

Mais à trop composer avec les conservateurs, il risquerait alors de perdre le soutien des démocrates progressistes qui trouvent déjà un le plan d’investissements dans les infrastructures trop timoré.

« Ça a toujours été un travail d’équilibriste que de satisfaire Elizabeth Warren, Bernie Sanders et Joe Manchin en même temps », rappelle Casey Burgat.

Comme le montre Kyrsten Sinema, les démocrates « ne peuvent pas se permettre de perdre un seul sénateur, ce qui les rend tous incroyablement importants », dit-il.