(Tulsa) Joe Biden a affirmé mardi s’être rendu sur les lieux d’un massacre d’Afro-Américains à Tulsa, dans l’Oklahoma, afin d’« aider à rompre le silence » qui a longtemps pesé sur l’un des pires épisodes de violence raciste de l’histoire des États-Unis.  

« Les évènements dont nous parlons se sont déroulés il y a 100 ans, et cependant, je suis le premier président en 100 ans à venir à Tulsa », a insisté le démocrate en disant vouloir « faire éclater la vérité ».  

« Je suis venu ici pour aider à rompre le silence. Car dans le silence, les blessures se creusent ».  

Le massacre raciste de Tulsa a « trop longtemps été oublié dans notre Histoire. Aussitôt qu’il s’est produit, il y a eu un effort manifeste pour l’effacer de notre mémoire », a-t-il dénoncé en soulignant la présence dans le public, devant lui, de trois survivants centenaires de ce massacre : Viola Fletcher, Hughes Van Ellis et Lessie Benningfield Randle.

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Viola Fletcher (au centre) et Hughes Van Ellis (à sa droite) étaient présents au discours de Joe Biden à Tulsa.

« Certaines injustices sont si atroces, si terrifiantes, si douloureuses qu’elles ne peuvent pas rester enterrées », a poursuivi l’ancien vice-président de Barack Obama.  

Mardi, il est devenu le premier président à commémorer en personne à Tulsa l’une des pages les plus sombres de l’histoire des États-Unis, en présence de trois survivants centenaires.

Les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants des victimes attendaient du président qu’il « rende justice », au nom de ceux qui n’ont pas survécu, avait confié Kristi Williams, l’une d’entre eux. Selon elle, le pays « a l’opportunité de réparer le tort » causé à sa communauté.

Le 31 mai 1921, des hommes noirs venus défendre un jeune Afro-Américain arrêté et accusé d’avoir agressé une femme blanche s’étaient trouvés face à des centaines de manifestants blancs en colère devant le tribunal de Tulsa.

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Mardi, Joe Biden est devenu le premier président à commémorer en personne à Tulsa l’une des pages les plus sombres de l’histoire des États-Unis, en présence de trois survivants centenaires.

Dans une ambiance tendue, des coups de feu avaient été tirés, et les Afro-Américains avaient fui vers leur quartier de Greenwood.

Le lendemain, à l’aube, des Blancs avaient pillé et brûlé commerces et maisons de ce qui était alors surnommé « Black Wall Street », exemple de réussite économique.

Comme les pertes économiques engendrées, le bilan humain est difficile à estimer, mais selon les historiens jusqu’à 300 Afro-Américains ont été tués, et près de 10 000 ont perdu leur logement, sans qu’un seul responsable blanc soit condamné.

La police avait même armé certains assaillants, selon le rapport d’une commission d’enquête. Au final, les autorités allèrent jusqu’à accuser les habitants de Greenwood d’avoir fomenté une émeute.

Le droit de vote des Afro-Américains

Joe Biden a profité de ce discours historique pour dénoncer les attaques « absolument sans précédent » contre le droit de vote des Afro-Américains, « le droit le plus fondamental », par le biais de lois restreignant l’accès aux urnes dans certains États conservateurs.  

« Ce droit sacré est attaqué avec une intensité que je n’ai jamais vue », a déclaré le démocrate.  

Depuis la présidentielle, les projets de loi limitant l’accès au vote se sont multipliés dans les États à l’initiative des républicains. Ils sont dénoncés par les démocrates comme frappant particulièrement les minorités.  

À Tulsa, le président a donc promis de se « battre » pour qu’une loi électorale censée protéger l’accès aux urnes soit adoptée en juin par le Congrès, ainsi qu’un autre texte nommé en hommage à John Lewis, figure de la lutte pour les droits civiques décédé en 2020.  

La Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates, a approuvé en mars le premier projet de loi (HR.1).  

« Le Sénat l’examinera plus tard ce mois-ci et je me battrai comme un diable, avec tous les outils à ma disposition, pour qu’il soit adopté », a-t-il déclaré, tout en admettant que sa majorité à la chambre haute était trop étriquée pour garantir ce vote.  

Excuses officielles

Khalid Kamau, 44 ans, avait fait la route depuis la Géorgie, moins pour commémorer le massacre que pour célébrer l’existence passée « d’une communauté noire prospère et autonome ».

« Si cela a existé une fois, ça peut exister à nouveau. »

Dans les rues, quelques pancartes rappelaient que « les vies des Noirs comptent », ou exigeaient la fin d’un « racisme généralisé ».

Le révérend Robert Turner, dont l’église méthodiste afro-américaine Vernon est l’un des rares bâtiments de Greenwood à avoir échappé à la destruction en 1921, a lancé une pétition demandant des réparations.

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Une femme agite un drapeau devant l’église méthodiste afro-américaine Vernon.

« J’espère que ce pays s’occupera enfin des citoyens qu’il a mal traités pendant des siècles, à savoir les Afro-Américains », a-t-il confié. Aux États-Unis, des descendants d’esclaves font des demandes similaires.

Lundi, le maire de Tulsa George Bynum a présenté des excuses formelles pour « l’incapacité de la municipalité à protéger notre communauté en 1921 ».

Dans cette localité de l’Oklahoma, État du Sud esclavagiste et un des bastions du Ku Klux Klan, les effets de cette destruction se ressentent encore aujourd’hui.

« Quand les touristes visitent Tulsa, ils n’arrivent pas à croire à quel point la ségrégation est toujours présente, ou à quel point le racisme est évident », a expliqué Michelle Brown, responsable des programmes éducatifs au centre culturel local.

« Il est temps de guérir »

Le 19 avril, certains des derniers survivants centenaires s’étaient déplacés à Washington pour témoigner devant le Congrès et demander à ce que le pays reconnaisse leur souffrance.

Dès 2001, une commission avait recommandé que les habitants de Greenwood reçoivent une compensation. Jusqu’ici, ces appels sont restés vains.

Pour LaShaundra Haughton, 51 ans, arrière-petite-fille de survivants du massacre, « il est temps de guérir, il est temps de dire la vérité, il est temps de tout mettre en lumière ».

Une volonté de transparence récemment illustrée par les fouilles entreprises pour retrouver les fosses communes où avaient été enterrées les nombreuses victimes noires.