(Minneapolis) Mémorial ou zone de non-droit ? Le carrefour où est mort George Floyd, à Minneapolis, présente, selon les heures et les jours, deux facettes de plus en plus difficiles à concilier.

Côté pile : le « square George Floyd », tel que l’ont rebaptisé ses animateurs, est devenu un lieu de recueillement, de débats enflammés et de création artistique, dédié à la lutte contre les violences policières et le racisme.

Côté face : des coups de feu, certains mortels, déchirent parfois ses nuits, ses accès sont filtrés par des vigiles et des voitures sans plaque rôdent régulièrement aux alentours.  

A la fin mai, des foules bouleversées par le calvaire de George Floyd, un quadragénaire noir filmé pendant de longues minutes en train d’étouffer sous le genou d’un policier blanc, s’étaient précipitées sur le trottoir où il s’est éteint pour déposer bouquets, bougies et autres messages griffonnés.

Afin de surmonter son « traumatisme », Jeanelle Austin, une femme noire de 36 ans ayant grandi dans le quartier, a commencé à prendre soin du site, d’abord en ramassant les poubelles, puis en tentant de préserver les « offrandes » de ces anonymes.

« Les gens se souviennent de moi parce que je tenais chaque fleur comme si c’était de l’or », raconte-t-elle à l’AFP. De plus en plus investie, elle collabore désormais avec des conservateurs bénévoles et avec la famille Floyd dans l’idée de créer une structure pérenne.

Les proches du défunt ont promis vendredi de consacrer à l’aménagement du quartier 500 000 des 27 millions de dollars de dédommagement que la mairie va leur verser. « Les gens viendront ici pour célébrer la culture noire », selon leur avocat Ben Crump.

En attendant, Jeanelle Austin relève que le site fourmille déjà d’initiatives : c’est « à la fois une communauté, un moteur d’émancipation, un lieu pour exprimer sa douleur, manifester ou venir en pèlerinage ».

Points de contrôle

L’AFP n’a toutefois pas pu constater ce foisonnement, le square ayant été verrouillé après la mort d’un jeune homme, abattu sur place le 6 mars. L’auteur des tirs, membre d’un gang local comme sa victime, a été inculpé de meurtre, a annoncé lundi le procureur local.

Dans les jours suivant cet homicide, personne ou presque ne pouvait franchir les points de contrôle érigés aux quatre entrées du carrefour pour filtrer les accès à l’« État indépendant de George Floyd ».

Dans des guérites de fortune, des vigiles, parfois armés de fusils, assuraient aux badauds et journalistes qu’ils « n’étaient pas en sécurité » avant de les prier de déguerpir « pour respecter le deuil de la communauté ».

Dans ce contexte, une journée de « prières silencieuses » prévue pour marquer le coup d’envoi du procès de Derek Chauvin, le policier accusé du meurtre de George Floyd, a même été annulée.

Ce climat de tensions n’est pas nouveau : des coups de feu résonnent presque chaque soir dans le quartier depuis cet été, et ils ont fait une dizaine de morts ou de blessés, selon la police.

Un chauffeur VTC a assuré à l’AFP avoir transporté une de ces victimes, en sang, qui n’avait pas voulu attendre les secours.

« Otages »

Pour le maire démocrate de la ville, Jacob Frey, il y a « deux vérités » associées à l’angle de la 38e rue et de l’avenue Chicago : « À certains moments, c’est un espace merveilleux de réunion pour la communauté, qui doit être honoré et respecté », a-t-il déclaré lors d’un point-presse jeudi. « À d’autres moments, c’est très dangereux. »

« J’entends de plus en plus de riverains qui se sentent otage de la situation », a renchéri le chef de la police, Medaria Arradondo.

De fait, un homme âgé, installé depuis 45 ans tout près de ce croisement, a confié quitter sa maison tous les après-midi depuis des semaines pour aller dormir chez sa sœur. S’exprimant sous couvert d’anonymat par peur de représailles, il a déploré que le square serve « d’aimant pour des gens sans domicile ni emploi », « des zonards ».

Pour rétablir le calme, les autorités ont prévu de rouvrir le carrefour à la circulation à la fin du procès du policier Derek Chauvin, d’ici un mois et demi.  

Mais les militants du square ne l’entendent pas de cette oreille. Avant de libérer l’espace, ils veulent des engagements fermes de la municipalité sur des réformes de la police et l’avenir du mémorial. « Pas de justice, pas de rue », clament-ils.